La privatisation de l’enseignement français est un projet solidement ancré au sein du patronat et des institutions qui servent ses intérêts. Qu’il s’agisse du Medef, du ministère de l’éducation, ou bien de l’Union européenne, cela fait de nombreuses années que les perspectives de profits considérables que représente une privatisation de l’éducation hantent la politique scolaire française.
Par le passé, de nombreuses mesures ont laissé apparaître cette volonté de transformer l’école française, prétextant vouloir s’aligner sur différents « modèles » étrangers (masquant la réelle dynamique derrière les réformes), pour « moderniser » ce « bloc monolithique » que serait le système éducatif français. On peut citer la réforme du baccalauréat (vers la casse du diplôme national), la sélection à l’université (loi ORE), le renforcement de l’autonomie des universités (loi LRU), etc.
Cela se concrétise une nouvelle fois : le ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer vient d’annoncer vouloir donner « un peu d’air au système » en renforçant le rôle du secteur des ressources humaines, permettant aux établissements scolaires d’embaucher jusqu’à 10 % des enseignants par ce moyen. L’important ici n’est pas le chiffre, mais le principe d’embauche, allant contre l’affectation selon un concours unique à échelle nationale qui se pratique actuellement. C’est à nouveau une grave entorse faite au caractère national et homogène de l’éducation. Désormais, le plus dur est accompli, et nous pouvons déjà prévoir l’augmentation de ces 10 % au fil des années, voire au fil des annonces…
Grâce aux expériences passées, on sait que lorsqu’on accroît l’autonomie des établissements (qu’ils soient scolaires ou hospitaliers), on tend systématiquement vers davantage d’inégalités entre les zones et les régions. Dans ce cas précis, on peut craindre que les meilleurs établissements ne s’accaparent les meilleurs professeurs.
Pour en revenir à des principes plus généraux qui permettront de comprendre pourquoi cette dynamique libérale est à craindre, nous devons dire que l’école privée s’est révélée être un échec scolaire et financier, celle-ci étant moins bonne et coûtant plus cher ! On peut citer l’exemple de la Suède : écarts qui se creusent, pression sur les enseignants, pratiques managériales, moins bons résultats scolaires, dépendance au numérique, hausse de la violence (le résultat de la relation client-prestataire entre élèves et professeurs), hausse de la précarité, et surtout, nouvelles formules d’enseignements qui privilégient « l’esprit d’entreprise » (qui est en réalité un esprit d’employabilité, de flexibilité, de mobilité, pour préparer à la future exploitation), les matières « utiles » contre la philosophie, l’histoire, la littérature (comment alors l’école pourrait elle former au rôle de citoyen ?), etc. Une véritable catastrophe pour l’école suédoise qui était l’une des meilleures d’Europe au début du siècle ! Voilà ce qui attend ceux qui voudront laisser la gestion du système scolaire à des entreprises cotées en Bourse !
En France, les réformes successives ne font qu’accroître la colère des enseignants (trop souvent considérés comme des « fainéants de fonctionnaires ») de plus en plus débordés par le manque d’effectifs, l’augmentation du nombre d’heures de travail, l’incompréhension de la hiérarchie convertie à la pensée nouvelle managériale, et une situation qui ne s’améliore ni pour les notes ni pour le comportement des élèves. Certains s’indignent de la qualité de l’éducation française et vantent les mérites d’autres systèmes (anglo-saxons, finlandais, allemand…) sans comprendre pourquoi la situation se dégrade de jours en jours : suppression de postes d’enseignants, coupes budgétaires, précarisation avec le recours aux contractuels, gel des salaires des enseignants titularisés, rétablissement du jour de carence, etc. Ou comment saboter un service public pour mieux le critiquer par la suite *.
La bataille pour l’enseignement n’est pas une bataille idéologique. Il s’agit d’une bataille d’intérêts. On peut donner l’exemple des « Entretiens Enseignants-Entreprises », séminaires financés en grande partie par l’État, dans lesquels le discours en faveur de la libéralisation de l’enseignement est largement diffusé. Ici, pas de batailles théoriques entre professeurs d’économie, de sociologie, d’histoire ou de philosophie. Dans un compte-rendu fait par le Monde Diplomatique, on retrouve lors d’une séance, côte à côte, des personnalités comme Emmanuel Macron, Denis Kessler (ancien vice-président du Medef), Pascal Lamy (ancien commissaire européen du commerce et ancien directeur général de l’OMC), etc. Sans oublier une série de grands patrons du CAC 40. Autrement dit : patronat, lobbyistes, think-tanks libéraux et membres du gouvernement se côtoient pour prêcher la bonne parole « new age ». Le tout s’inscrivant dans un plan du ministère de l’éducation (qui admet ne pas avoir autant de liens avec les syndicats comme la CGT ou la CFDT qu’avec le MEDEF !). Il paraît donc évident que ce projet reflète les intérêts de la classe capitaliste et des institutions qui la représentent. Cette classe veut s’emparer des milliers de milliards de dollars que représentent ce marché potentiel, mais également transformer l’éducation de manière à exploiter davantage les travailleurs issus du système scolaire (ou carrément au sein du système scolaire avec l’exploitation des apprentis et des stagiaires) : responsabilité, flexibilité, esprit d’entreprenariat remplaceront peu à peu les savoirs acquis de l’Humanité essentiels à chaque citoyen français.
Le rôle de l’UE est également central. Par le processus de Bologne, par les GOPE, et par les traités, cette institution européenne aux mains du capital veut soumettre la France à ses désirs. Les représentants du Medef le répètent eux-mêmes sans cesse dans leurs discours, considérant la France en retard par rapport au projet européen et appelant très clairement à ne pas respecter les décisions des parlements nationaux pour des questions aussi graves que la suppression du salaire minimum (le SMIC étant une absurdité dans l’Europe libérale !).
Il faut comprendre que toutes les mesures et réformes successives depuis plusieurs années, pouvant paraître isolées au premier abord, révèlent une dynamique qui vise à libéraliser l’école dans le SEUL but de faire davantage de profit et d’exploiter davantage les travailleurs. Le patronat prétend vouloir renouer le lien entre l’entreprise et l’école, tout en imputant le chômage au mauvais travail des professeurs ! Si nous continuons de nous laisser prendre nos conquis sociaux, produits de luttes sociales historiques, nous nous retrouverons dans une situation accablante. Cette bataille n’est pas qu’une simple bataille sociétale, c’est une bataille de classes qui relève directement de la contradiction entre prolétariat et capital.
*Technique dont nous avons vu l’efficacité avec la SNCF…
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