Le football, lui aussi, n’a pas échappé à la logique néo-libérale des premiers traités de l’Union Européenne du Capital. Il y a 23 ans, l’affaire Bosman éclata. Les grandes forces d’argent du milieu du football se frottèrent les mains, quoi de mieux que cette affaire pour légitimer une libéralisation à outrance des transferts et des quotas (de bons sens). Il ne s’agit en aucun cas ici de culpabiliser Jean-Marc Bosman, dont la plainte envers son club belge était parfaitement légitime et qui malgré ce qu’il en dit1 n’est en aucun cas responsable des dérives du football moderne. En appliquant l’un des dogmes de l’orthodoxie libérale, cet arrêt a tué le football populaire.
« Je ne dirais pas que le juge qui a rendu la décision dans cette affaire doit finir en prison, parce que je serais attaqué en diffamation, mais on a créé la mort d’un métier, la mort d’une économie et la mort d’une moralité. Auxerre, dans un premier temps, a bien résisté à l’arrêt Bosman. Après, il n’a plus résisté. » Guy Roux
En plus d’avoir mis un terme au football à échelle humaine, la mondialisation du marché dérégulé est ruineuse pour la quasi-totalité des amateurs de football. Les droits TV de chaque championnat européen – dont la valeur augmente exponentiellement depuis l’ordre néo-libéral – atteignent aujourd’hui des sommes tellement faramineuses que seuls les investisseurs privés sont en mesure de peser dans les enchères. La valeur des droits TV du championnat anglais, par exemple, a septuplé en l’espace de vingt ans. Pour la Ligue 1, le même phénomène se constate à une autre échelle.
Devant cette hausse du montant à offrir pour acquérir la diffusion du championnat national, il est impossible pour une télévision publique – qui subit de plein fouet la cure d’austérité budgétaire imposée par l’Union Européenne du Capital2 – de rentrer dans la conversation.
La règle du jeu est simple, c’est le plus gros chèque qui l’emporte – sur des sommes censées avoisiner le prix de réserve fixé par la Ligue de football professionnel, au fur et à mesure que les chaînes payantes se sont refilées la marchandise,le montant à payer pour regarder à la fois la Ligue 1, les grands championnats européens et les principales compétitions internationales (Ligue des Champions/Euro/Coupe du Monde) n’a fait qu’augmenter au grand détriment des consommateurs.
Aujourd’hui, un mordu de football doit souscrire à Bein Sports (15 euros), RMC Sport (19,90 euros) et Canal Plus (19 euros), soit un total de 53,90 euros à débourser pour pouvoir regarder le sport qui le passionne.
Faisant acte d’un mécontentement grandissant venant des consommateurs n’ayant pas pu regarder convenablement les phases de poule de la Ligue des Champions mardi soir, Eric Weill, patron d’RMC Sport, a annoncé sur les ondes radios que « la semaine prochaine, une offre à moins de 39 euros avec les trois chaînes sera lancée ». En admettant qu’il ne s’agisse pas d’une fausse promesse pour essuyer ses plâtres, c’est évidemment insuffisant puisque l’entrée en jeu du groupe espagnol Mediapro dans l’acquisition des droits TV de Ligue 1 va de toute manière refaire grimper les prix. Le groupe ayant lui-même annoncé que leur chaîne (pour un service de 7 à 8 rencontres sur 10 par journée de championnat) coûtera 25 euros. Pierre Rondeau, qui enseigne l’économie à la « Sports Management School », prédit même qu’en 2020, le montant à payer pour visionner le football atteindra 80 euros par mois. Celui-ci fut pourtant celui qui attaqua la suggestion de Raquel Garrido : nationaliser les droits TV, idée lui valant même d’être insultée d' »espèce de tourte » par le chroniqueur Pierre Ménès. Leurs seuls arguments sont : « Les recettes des droits TV représentent 50 à 60 % des budgets de certains clubs », « L’étatisation plongerait donc ces clubs dans la faillite puisqu’ils sont télé-dépendants ». La messe du mode de production actuel est dite, priorité aux créanciers, les classes populaires s’adapteront. Ils ont en fait intériorisé le « There is no alternative » tchatchérien, étonnant venant d’un économiste ayant conseillé Benoit Hamon ! Quoi que…
Des institutions communistes du sport, et vite !
Tout d’abord, il serait temps que la Ligue de football professionnel devienne réellement une administration publique et non pas ce qu’elle est actuellement : une association sous propriété de ses membres associés – donc privée – disposant d’un monopole réglementé. Son rôle devrait être de permettre aux clubs professionnels français d’instaurer, en leur logique économique même, une politique de tarif bas permettant un meilleur remplissage des stades. Au lieu de ça, – et alors que l’embourgeoisement progressif du football ne peut qu’être constaté – on élit au poste de Directeur Général de la LFP : Didier Quillot (surnommé « Quillotine » par ceux qui l’ont côtoyé suite à ses restructurations antisociales lorsqu’il était à la tête de Lagardere Active), un social-libéral encensé par tous les commentateurs de l’audiovisuel pour avoir fait passer à la valeur des droits TV le cap du milliard. De quoi ravir les présidents de clubs qui voient en cet afflux de liquidités la solution à leur manque de recettes commerciales propres.
« Il faut plus de stars et pour cela il faut améliorer la compétitivité des clubs, pour qu’ils gardent ou fassent revenir des internationaux. Les droits TV permettent d’attirer ces joueurs, c’est un cercle vertueux. » Didier Quillot
Non, c’est au contraire le cercle le plus vicieux qui soit, une logique sportive qui génère du spectacle certes – et personne n’en est insensible – mais qui tend à renforcer la dérive que prend le football, un accès à ce divertissement qui s’élitise. Une distinction s’avère nécessaire entre « étatisation » et « nationalisation », deux mesures politiques amalgamées alors qu’elles diffèrent de manière nette. L’Étatisation dans le cas présent serait un changement abstrait de propriété, tandis que la nationalisation au sens le plus progressiste du terme signifierait un mode de propriété particulier – des institutions communistes du sport et de sa diffusion – permettant un transfert de propriété, le devenir du football français passerait alors des mains du marché et de ses créanciers privés qui mènent la danse à une copropriété entre professionnels du football, travailleurs de l’audiovisuel sportif (en incluant les protagonistes des autres intérêts impactés) et surtout des amateurs de Foot ! Et non, le capitalisme n’a pas le monopole du spectacle sportif efficace. Faut-il rappeler que l’homme à l’origine de la première fracture philosophico-tactique dans l’Histoire du football, Gusztáv Sebes, était un syndicaliste communiste3?
Il est grand temps qu’un modèle profondément alternatif permette au plus grand nombre possible de pouvoir accéder au football, étant encore, à ce jour, le sport le plus populaire de France. Pour cela, il est grand temps de revendiquer une sortie claire et nette de l’UE et l’appartenance à l’Euro que celle-ci impose, de l’OTAN, et du capitalisme.
Damien-JRCF
1 : « Des millions de personnes ont profité de cet arrêt. » Jean-Marc Bosman. (dans le reportage ‘‘Jean-Marc Bosman, une vie à l’arrêt’’ Sport confidentiel, Equipe 21.
2 : Poursuite de la lente asphyxie de France Télévisions par Henri Maler (https://www.acrimed.org/Poursuite-de-la-lente-asphyxie-de-France)
3 : Voir « Les entraîneurs révolutionnaires du football – Ils ont transformé le jeu » – Raphaël Cosmidis, Christophe Kuchly, Julien Momont. Chapitre ‘‘Gusztáv Sebes, le football socialiste’’
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