Nous ne pouvons faire qu’un seul constat de Parcoursup : c’est un désastre. Mais c’est aussi une goutte d’eau parmi d’autres. Pour combattre efficacement Parcoursup et redonner vie à l’université publique, nous devons comprendre ce que la réforme incarne, saisir la logique dans laquelle elle s’inscrit, et savoir quelle classe sociale en bénéficie.
Retour sur le bilan de Parcoursup
Les craintes exprimées par les étudiants, les enseignants et le personnel de l’administration n’ont fait que se révéler justes. Nous sommes désormais à plus d’un mois après la rentrée scolaire, et les conséquences calamiteuses de Parcoursup continuent de se concrétiser. Tout d’abord, petite récapitulation des déboires de l’aventure Parcoursup qu’ont connu plus de 812.000 candidats cette année.
• À la fin de la phase terminale, le 5 septembre, ils étaient plus de 119.000 à ne pas savoir où ils étudieraient à la rentrée.
• Plus de 180.000 candidats ont quant à eux quitté la plateforme, soit parce qu’ils ont échoué au bac, soit parce qu’ils se sont réorientés ou ont abandonné les études supérieures. Combien parmi ceux-là ont abandonné la plateforme, car celle-ci manquait de clarté et d’efficacité ?
• Aujourd’hui, ils sont près de 1.000 (plus de 5.000 si nous prenons en compte les réorientations), principalement issus de filières technologiques et professionnelles, à ne pas avoir reçu d’affectation.
• Des classes « passerelles » ont été mises en place dans certains lycées, sans programmes définis, parfois sans professeurs attribués, sans qualification à la sortie, sans garantie d’insertion dans un autre cursus à la suite de cette année blanche. En somme, une garderie post-bac pour ceux qui n’auraient pas eu d’affectation.
• Comble du ridicule : des étudiants ont découvert, lors des procédures administratives finales, que la formation dans laquelle ils étaient inscrits n’existait pas.
De ces constats, nous pouvons tirer quelques conclusions.
Parcoursup ne remplit pas sa fonction première : attribuer à chaque candidat une formation de son choix. Le 5 septembre, 70.000 jeunes insatisfaits de leur affectation demeuraient sur liste d’attente. Très souvent, ce sont les candidats aux dossiers les plus modestes, issus de lycées professionnels et technologiques, qui sont les moins bien lotis (1). En effet, plus des 3/4 des bacheliers qui n’ont obtenu aucune affectation proviennent de ces filières.
Le manque de clarté et l’inefficacité de la plateforme ont handicapé de nombreux candidats. Les procédures se sont éternisées, l’incertitude aussi. 50 % des lycéens ont donc passé leur bac sans avoir obtenu d’affectation. Certains se sont privés de repos ou de voyage pendant les vacances d’été pour répondre aux exigences de la plateforme. Pour beaucoup, la rentrée scolaire s’est faite sans savoir s’ils obtiendraient une affectation ou bien une réponse à un autre vœu. On comprend la double peine infligée à ceux-ci : prise de retard sur les cours, sur les bourses, et sur la recherche d’un logement. Encore une fois, ceux qui patientent le plus sont ceux qui ont les dossiers les moins rodés pour les nouveaux critères et algorithmes de sélection (1). Les jeunes des milieux populaires sont donc à nouveau les plus pénalisés !
L’une des principales conséquences de Parcoursup a été de favoriser l’enseignement privé. C’est sûrement la chose la plus importante à retenir. Ceux qui ne voulaient pas subir le manque de clarté, l’attente et l’incertitude de Parcoursup et qui disposaient de moyens financiers suffisants ont pu se pencher vers l’enseignement privé. Beaucoup de jeunes se sont orientés vers les écoles (parfois très onéreuses) d’ingénierie, de commerce ou de management, voire dans des universités catholiques. Ces écoles parlent même d’un « effet Parcoursup » : les établissements privés admettent avoir reçu bien plus de candidatures que les années passées. Certains effectifs de classe de première année connaissent une augmentation de près de 35 % ! À l’inverse, on remarque une baisse constante des inscriptions dans le public. Mais cette tendance n’est pas nouvelle : depuis 10 ans, la France enregistre une hausse de 40 % des inscriptions dans le privé ! Parcoursup est donc bien un instrument au service du capital et de ses avatars du Medef et du gouvernement, dont l’objectif est très clairement de privatiser l’enseignement français ! Et pour ceux qui n’ont pas les moyens de se payer une école privée ? Tant pis ! Surtout que dans le public, la sélection officieuse pousse certains à l’autocensure. Les départements populaires comme le Val-de-Marne accusent une sous-inscription dans les facultés et une croissance forte des vœux de BTS (+25 % dans le 94). Cela a pour effet pervers de saturer les BTS qui ne peuvent pas accueillir tous les candidats. Cela handicape encore plus les milieux populaires qui sont très représentés dans ces filières !
De plus, qui désirera bientôt s’inscrire dans une université délabrée ? Qui voudrait être obligé de s’asseoir par terre durant 3 heures de cours ? Ne pas avoir de séances de travaux dirigés, faute d’enseignants ? Travailler dans des locaux miteux ?
Parcoursup ne doit pas être isolée des autres casses de l’enseignement public français : baisses successives des budgets ; manque de personnel ; renforcement des ressources humaines dans les embauches d’enseignants ; réforme du baccalauréat en 2021 ; fusions des établissements supérieurs ; labels IDEX ; etc. Cette réforme s’inscrit tout à fait logiquement dans un courant général visant très clairement à privatiser l’enseignement français.
Que représente Parcoursup ?
Nous assistons bel et bien à une casse et à une désertion de l’université, véritable bastion garant de l’accès aux études supérieures pour les milieux populaires, seule institution capable d’offrir à tous un accès au savoir. Cela ne rime pas avec médiocrité. Bien au contraire, l’éducation pour les masses a toujours été plus efficace qu’une éducation élitiste qui laisse toute une partie de la population dans l’incapacité d’accéder au savoir (2).
La supercherie de Parcousup est maintenant claire et nette. Le silence et l’obscurité que le gouvernement maintient autour des résultats désastreux de la plateforme confirme que celle-ci n’a en aucun cas été motivée pour améliorer la situation des étudiants français. Cela doit permettre de révéler aux yeux de tous les véritables ambitions gouvernementales et patronales. Idéologiquement, nous assistons à un combat contre les principes de l’Université française. Mais nous ne pouvons pas porter le combat seulement sur le plan idéologique, car celui-ci n’explique rien. L’idéologie n’est qu’un saupoudrage qui masque les intentions réelles du capital derrière divers projets éducatifs « adaptés au monde moderne », « faisant le lien avec le monde de l’entreprise », « contre une école obsédée par l’égalitarisme ». Cette volonté de casser l’éducation française ne fait que révéler l’appétit capitaliste. Les motivations réelles de ces réformes sont de se saisir des milliers de milliards d’euros que représente ce secteur, de former les jeunes à leur future exploitation, et de détruire toute forme de service public. Comme le disait si bien Denis Kessler, ancien vice-président du Medef mais aussi avocat des réformes de l’enseignement : « il s’agit de défaire méthodiquement le programme du CNR ».
Que faire contre la casse de l’école française ?
La lutte étudiante ne peut pas être isolée des autres luttes sociales. Les maux qui touchent les travailleurs dans la santé ou dans la SNCF, pour ne citer qu’eux, sont intimement liés à ceux qui heurtent les étudiants. Il s’agit d’affronter le projet de la classe capitaliste qui veut s’approprier les secteurs qui échappent encore à son emprise. Cela se manifeste très concrètement par la casse et l’affaiblissement de tous les services publics dans l’objectif d’une privatisation. Si pour nous les services publics sont une fierté conquise de haute lutte, ayant pour objectif de servir au mieux l’intérêt public et fonctionnant sur un modèle communisant ; ceux-ci représentent pour le patronat la perspective de milliers de milliards de valeur marchande actuellement hors de leur portée. Pire encore, les services publics communisants sont un affront odieux (d’autant plus qu’ils ont prouvé leur efficacité tout au long de l’histoire et dans tous les pays !) au tout-privé managérial qui exploite les travailleurs et pille les usagers.
Il faut garder à l’esprit que la lutte est nécessaire pour ne pas que la situation s’aggrave. Tout affaiblissement du rapport de force aura des implications très concrètes. À titre d’exemple, les conquêtes du CNR sont le produit de hautes luttes, et nous voyons bien quelle est la situation actuelle : l’incapacité organisationnelle et la perte de tout repère idéologique révolutionnaire a mené le mouvement social vers l’impasse et vers la perte progressive de nos conquêtes. Cette dynamique vaut également pour le mouvement étudiant, qui ne pourra résister aux attaques du capital qu’en lui opposant une force antagoniste au projet révolutionnaire. Doit-on rappeler que le projet final du Capital est de privatiser l’école pour faire de juteux profits ?
Il ne faut pas de réformes. Celles-ci n’ont pour but que d’aggraver la situation et de servir les intérêts patronaux. Il faut que l’enseignement public devienne la norme. Il faut un réinvestissement MASSIF dans TOUS les secteurs publics. Il faut réimposer les valeurs, les objectifs et le modèle des services publics. Cela ne pourra se faire qu’avec la construction d’un « tous ensemble, en même temps » pour les emplois, les statuts, les services publics, l’industrie, l’agriculture, le commerce, le service, le code du travail, les étudiants, les enseignants. Faisons la convergence, faisons front commun contre l’ennemi capitaliste que nous devons attaquer sous toutes ses formes : l’État bourgeois français, l’UE, l’OTAN.
Des luttes très actuelles
Le conflit de classe que révèle la bataille pour l’université prend à nouveau une dimension très concrète. La tolérance des étudiants ayant ses limites, certains d’entre eux se sont décidés à agir pour faire cesser une situation ridicule dans laquelle les jeunes doivent attendre jusqu’au dernier moment pour se voir attribuer une place dans une filière désorganisée ou pour voir leur dossier être pris en charge. C’est le cas des Sans-Facs de Nanterre (3) qui luttent pour leur inscription dans la faculté de Nanterre. Ceux-ci occupent les bureaux de la Présidence et remportent des victoires. Des centaines de dossiers ont été enregistrés grâce à l’occupation des locaux. Mais il reste encore de nombreux dossiers, et les semaines de cours ratées s’accumulent. Face à eux, l’administration reste bien silencieuse et malhonnête. Les JRCF tiennent à affirmer leur soutien aux Sans-Facs de Nanterre et les encouragent dans leur lutte, sans laquelle les Sans-Facs seraient condamnés à abandonner leurs études.
Pendant que les étudiants sont obligés d’imposer un rapport de force pour obtenir une simple inscription à l’université, l’État policier sort les crocs pour les empêcher de défendre leurs droits. Ainsi, c’est pour s’être opposés à cette nouvelle étape vers la privatisation des études supérieures que des étudiants de Nanterre furent arrêtés en avril 2018. La répression policière avait pour but de saper le mouvement étudiant qui avait pris une ampleur menaçante pour le gouvernement, notamment avec la convergence nécessaire des luttes étudiantes, des travailleurs de la poste, des hôpitaux, des cheminots, du secteur de l’énergie, etc. Il s’agissait pour le pouvoir macronien d’enrayer le « tous ensemble, en même temps » en construction. Les JRCF réaffirment leur soutien pour la relaxe des trois étudiants victimes de poursuites judiciaires. (4)
Mourad-JRCF
(1) http://jrcf.over-blog.org/2018/09/un-pas-de-plus-vers-la-privatisation-de-l-ecole-francaise.html
(2)http://jrcf.over-blog.org/2018/10/l-education-socialiste-cubaine-un-exemple-pour-le-monde.html
(3) https://www.facebook.com/UNEFTACLE/
(4) http://jrcf.over-blog.org/2018/10/relaxe-pour-les-trois-etudiants-de-nanterre-arretes-le-9-avril-2018.html
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