Nos sympathisants le savent bien : nous sommes partisans de ce que l’on pourrait appeler un Frexit progressiste. À l’heure où Ian Brossat, nouvelle tête d’affiche de l’euro-PCF, dit qu’au vu des difficultés que traverse le Royaume-Uni à l’heure du Brexit, il n’est pas envisageable de sortir de l’UE, la tâche principale devenant alors de “réformer en profondeur” les institutions Maastrichtiennes. D’autres prétendent qu’il faut bien quitter l’UE mais par la voie “légale” de l’article 50 du traité de Lisbonne. Voyons ici ce qui peut se dire, d’un point de vue Marxiste-Léniniste, de telles options pour le progrès social en France aujourd’hui.
Notre première critique portera donc sur cette fausse solution vantée par les Européistes convaincus. Est-il possible de réformer l’UE dans un sens véritablement progressiste ? Pour ceux – dont nous sommes – qui croient à la profondeur historique de toute situation anthropologique, il convient de s’interroger, concernant chaque institution dont on désirera faire la critique, sur le développement dans l’histoire des conditions amenant à la formation de cette institution.
Le PRCF a pour ce faire une boîte à outils méthodologique qui est celle du matérialisme historique fondé par Marx et Engels, c’est-à-dire la capacité de développer une analyse de classe comprenant le fait social dans sa totalité à partir de ses fondations économiques. L’usage de ces outils appliqué à la question de l’UE s’est concrétisé brillamment dans les travaux de notre camarade Annie Lacroix-Riz, agrégée d’histoire. Son œuvre la plus récente (2014) sur le sujet est Aux origines du carcan Européen (1900-1960): la France sous influence Allemande et Américaine.
Annie Lacroix-Riz retrace la genèse du projet européen auquel adhère le PCF actuel – de par son adhésion au Parti de la Gauche européenne, qui contraint ses membres à adopter une attitude euro-constructive. Ce faisant, elle nous permet de comprendre la nature de classe de cette union européenne qu’il serait soi-disant possible de “réformer en profondeur”.
Il faut ici insister sur l’emploi du terme de “nature”. Nous ne considérons pas qu’il y ait un déterminisme biologique (ou d’un quelconque ordre de l’existence naturelle) à l’œuvre derrière le fonctionnement propre de l’UE. Nous sommes en revanche convaincus qu’il existe un très fort déterminisme historique, qu’il faut expliquer en remontant aux sources de cette Europe-là. C’est la prégnance de ce déterminisme qui justifie que l’on considère l’UE comme “naturellement” bourgeoise, puisqu’elle est née et a grandi comme l’enfant atlantiste de la bourgeoisie euro-américaine.
Prenons un bref exemple : les écoles de la République parlent de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) comme de l’ancêtre direct de l’UE. L’objectif affiché est noble : lier les anciens belligérants dans une communauté d’intérêts englobant les matériaux les plus essentiels à l’effort de guerre, pour prévenir le retour du conflit. Quoi ? Une union d’industriels et de banquiers mettrait ses deniers et “son” travail au service d’une paix nouvelle ? Louons ces Seigneurs du Capital pour leur bonté !
Sous le coup de l’émotion, on en viendrait presque à oublier que la première guerre impérialiste mondiale (1914-1918) fut celle des marchands de canons, que la paix actuelle est la pax americana rendue possible tant que les intérêts atlantistes se défendent par leurs guerres impérialistes (Libye, Syrie, pour ne citer que deux exemples récents).
La nature historique de l’UE affleure dans des dispositions telles que celle arrimant l’UE à l’OTAN (accords “Berlin plus” de 2003), la “concurrence libre et non faussée” vantée dans le projet de traité constitutionnel, le pillage de la Grèce au profit des créanciers : c’est une nature de classe bourgeoise, dont il est parfaitement illusoire de vouloir contrecarrer les effets sans souhaiter du même coup la sortie de l’UE. L’UE demeurera jusqu’à sa disparition complète un organe de l’impérialisme, une machine à compresser les salaires, un engin de guerre prêt à se compromettre avec tous les fascismes pour étendre son emprise – voyez le cas ukrainien.
Nous venons de répéter ce qui ne devrait être que des lieux communs pour l’ensemble de la “gauche radicale”. Malheureusement, il en est encore bien trop pour s’imaginer qu’un cadre institutionnel foncièrement capitaliste peut convenir à une politique de classe prolétarienne. À moins que cette gauche-là ne sache même pas en quoi consisterait une telle politique… Toujours est-il que la gauche façon PCF se retrouve bien moins en pointe que certains à droite sur la question européenne, ce que nous ne pouvons que déplorer avant de nous pencher sur ce que propose cette droite.
Vous aurez compris que c’est principalement de l’UPR qu’il s’agit-là – même si beaucoup à l’UPR se disent subjectivement “de gauche”, à ceux-là notre main leur est tendue s’ils veulent comprendre la nécessité d’une politique a minima franchement anticapitaliste. Examinons alors ce que propose l’UPR (comme d’autres) : une sortie de l’UE par la voie “légale” de l’article 50 du traité de Lisbonne. Voilà ce que dit l’article 50 :
- Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union.
- L’État membre qui décide de se retirer notifie son intention au Conseil européen. À la lumière des orientations du Conseil européen, l’Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union. Cet accord est négocié conformément à l’article 218, paragraphe 3, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il est conclu au nom de l’Union par le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, après approbation du Parlement européen.
- Les traités cessent d’être applicables à l’État concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou, à défaut, deux ans après la notification visée au paragraphe 2, sauf si le Conseil européen, en accord avec l’État membre concerné, décide à l’unanimité de proroger ce délai.
- Aux fins des paragraphes 2 et 3, le membre du Conseil européen et du Conseil représentant l’État membre qui se retire ne participe ni aux délibérations ni aux décisions du Conseil européen et du Conseil qui le concernent. La majorité qualifiée se définit conformément à l’article 238, paragraphe 3, point b), du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
- Si l’État qui s’est retiré de l’Union demande à adhérer à nouveau, sa demande est soumise à la procédure visée à l’article 49.
En clair, en cas de sortie par l’article 50, le pays concerné peut avoir à négocier pendant deux ans (ce qui est concrètement le cas, voyez le Brexit), voire plus, pour aboutir à un accord avec Bruxelles fixant les modalités du retrait. Pendant au moins deux ans donc, ce sont des négociations effectuées en position de faiblesse (puisque l’État désireux de quitter l’Union serait encore soumis à la politique de Bruxelles durant les négociations). Et disons-le, ce serait deux ans au bas mot, puisque chaque institution européenne en cause aurait le pouvoir de proroger l’acte de la séparation. Ajoutons à cela que les représentants de l’État souhaitant quitter l’Union ne seraient pas conviés aux délibérations ayant lieu au Parlement européen ou au Conseil européen, nous avons là la recette d’un désastre politique total.
Nul doute qu’un tel processus serait dévastateur pour une France franchement insoumise (FFI) tentant de quitter l’UE ainsi. Il faut en effet voir les choses dans leur développement concret tel que l’on peut le prévoir, et se rendre compte du fait qu’un État nationalisant les secteurs stratégiques de l’économie et donnant plus de pouvoir à sa classe ouvrière se retrouverait conspué par tout ce que la Terre compte d’impérialistes et de laquais du Capital. Le moment serait de fait celui d’une lutte sans merci entre les deux camps irréconciliables que sont le Travail et le Capital. Penser qu’en de telles circonstances il serait avisé de suivre à la trace le légalisme bourgeois en faisant tout pour ne pas froisser les technocrates “Européens” relève d’une pure illusion… à moins que l’on ait l’intention de mener la politique du capital dans une territorialité et un cadre institutionnel “national”, hors de l’UE.
Nous voyons donc qu’aucune des deux propositions – réformer l’Europe ou la quitter comme le ferait l’ennemi de classe – ne tient la route. Le PRCF propose donc un retrait unilatéral, condition sine qua non d’une autre politique, au service du peuple travailleur, par le peuple travailleur.
Le mot “unilatéral” choquera sans doute. On imagine aisément que le choc devait être encore plus grand chez ceux qui ont vu éclater la révolution d’Octobre. Nous ne sommes pas révoltés contre l’UE telle qu’elle est aujourd’hui. Nous sommes révolutionnaires, et par conséquent contre l’UE telle qu’elle est irrémédiablement. Nous ne sommes pas révoltés contre une politique passagère menée par quelque clique bruxelloise. Nous sommes révolutionnaires, et donc capables de voir la cohérence historique qui relie les politiques de classe, en Europe comme ailleurs. Nous considérons donc que la classe ouvrière, qui doit au plus vite assumer le rôle dirigeant dans la lutte politique (comme le montrent les “gilets jaunes”), peut et doit se permettre d’agir unilatéralement si elle veut conquérir son autonomie et sa liberté.
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