L’insécurité est-elle une politique communiste ?

par | Mar 4, 2019 | Théorie, histoire et débats | 0 commentaires

La question est provocante au prime abord, mais pourtant on pourrait finir par le croire.

Actuellement, sur ce sujet, le mouvement ouvrier est pris entre deux tenailles idéologiques :

  • D’un côté, les fachos qui veulent le tout-sécuritaire et qui voudraient bien un flicage généralisé de la société française.
  • De l’autre, les divers groupes gauchistes ayant du mal à parler de cette question (quand ils ne déclarent pas ce sujet persona non grata sous peine d’être traités de fascistes), car on comprend que pour eux, parler de juger des personnes, de les punir voire de les emprisonner, est une situation insupportable, même si cela rentre en contradiction avec leur dénonciation – juste mais mal analysée – de la non-prise en charge des violences faites aux femmes par les institutions judiciaires par exemple.

Qu’entend-on par « sécurité » ?

La sécurité doit être comprise comme un moment où rien ne vient entraver le développement de l’être humain. Bien sûr, il ne s’agit pas de dire qu’elle soit parfaite, chose impossible.

Ce qui peut venir troubler cette « tranquillité » ? Des actes que n’importe quel membre de l’extrême-droite sait bien rappeler : vol, arnaque, meurtre, viol, etc. Cependant, cette définition de la sécurité comme la tranquillité dans le libre développement de l’être humain ne peut être complète si on n’ajoute pas le droit à l’emploi, le droit de ne pas mourir de faim, le droit en général d’avoir accès à toutes les premières nécessités. Avec une telle définition, on s’éloigne totalement des positions de l’extrême-droite, toujours prompte à dénoncer l’insécurité « physique » et « culturelle » des Français par plus pauvres qu’eux*, mais qui se taisent devant le dénuement de certains de nos compatriotes, voire participent activement à des politiques de casse sociale, en soutenant la « réforme » du code du travail ou en refusant l’augmentation du SMIC réclamée par les gilets jaunes.

Disons-le d’ailleurs clairement : ce n’est pas avec des caméras partout, des policiers surarmés et des prisons remplies qu’on construira une société plus sure et encore moins une société communiste. Toutefois, le communisme étant le libre développement de l’être humain dégagé des contraintes matérielles, cela va nécessairement avec une forme de sécurité pour assurer ce développement.

Prenons des exemples concrets de ce qui se passait dans un pays anciennement socialiste (l’URSS), et de ce qui se passe dans un pays encore socialiste (Cuba).

Dans le cas de l’URSS, prenons le témoignage d’Irina Malenko dans son livre Sovietica, où elle raconte la vie en URSS de la période de la stagnation à Gorbatchev. La grande majorité du temps, elle témoigne de ce qui se passait dans son village, moins de Moscou et d’autres régions (qu’elle évoque toutefois). Elle décrit les rues propres, les meurtres qui étaient assez rares et même spécifiques (jalousie familiale, crime passionnel), et certainement pas liés à du grand banditisme comme on a pu le voir après la chute du camp socialiste. Les plus gros délinquants de l’ère soviétique étaient les spéculateurs. Il existait à l’époque des miliciens qui patrouillaient dans les rues, mais ils n’étaient pas armés et s’occupaient dans les cas les plus graves d’ivrognes à terre. La première fois qu’Irina Malenko croisera un milicien armé, c’est au moment de la Russie pseudo-démocratique et réellement autoritaire d’Eltsine.

Les emplois étaient relativement stables et le peuple mangeait à sa faim, les gens s’entraidaient et beaucoup de temps était laissé pour les loisirs.

Ce climat commença à se détériorer avec les réformes de Gorbatchev, les rues devenant moins sures pour les femmes, la prostitution prenant des proportions énormes, pour finir par exploser sous Boris Eltsine.

À Cuba, certes, la corruption et la prostitution ont repris des forces avec la « période spéciale »** -les Cubains eux-mêmes le reconnaissent. Aujourd’hui, si on peut observer malheureusement des restes de cette délinquance, elle n’a pas ce côté endémique qui la caractérise dans nos sociétés capitalistes où ce phénomène est chronique. A Cuba, la garde civile n’est pas armée, car on leur apprend des techniques d’autodéfense ou de résolution des conflits pour n’utiliser les armes qu’en dernier recours.

Nous sommes bien loin de l’idéal autant de l’extrême-droite que des gauchistes, parce qu’on trouve aussi des prisons dans ces deux pays.

Ces prisons n’accueillent pas seulement les contre-révolutionnaires (qu’il faut pourtant réprimer pour sauvegarder la révolution, nous en parlons à la fin de l’article), mais aussi les simples délinquants de droit commun. On avait aussi un temps les goulags, ou, dans d’autres pays, les camps de rééducation. On peut tout à fait critiquer à la fois leur résultat ou même l’idée tout simplement d’en avoir érigé. Mais on ne peut nier que ces institutions mettaient en avant l’idée de la réhabilitation des prisonniers par le travail. Sans copier ce système tel quel, pouvons-nous renier cette possibilité de réhabilitation ? N’est-ce d’ailleurs pas ce qu’avancent nos idéologues bourgeois, à savoir la prison comme lieu de réhabilitation du citoyen fautif ?

Certes, ce n’est absolument pas ce qui se passe en France. Au pays dit des « droits de l’homme », les prisons sont surpeuplées et insalubres – la prison de Fresnes étant un exemple parmi d’autres. Les détenus s’entassent dans les cellules de la manière la plus inhumaine qui soit, ce que ne cessent de dénoncer les rapports successifs de l’Observatoire international des prisons (OIP) ; la France est même sous la menace de la Cour européenne des droits de l’homme… Mais ce n’est pas la construction de nouvelles prisons qui réduira ce phénomène. Ceci, d’ailleurs, n’est que la face immergée de l’iceberg, car qui peut nier la violence des gangs en prison et qu’elle aggrave en France davantage la délinquance qu’elle ne la repousse. Ce n’est pas pour rien que ce genre d’institution est le lieu parfait pour le recrutement des djihadistes partant piller et tuer les peuples et les personnes ne se soumettant pas à leur fanatisme moyenâgeux. Que dire aussi de certains gros délinquants qui sont protégés et bien servis en prison ? Nous devons clairement affirmer que cette institution ne joue pas son rôle et que toutes les politiques incitant au tout-carcéral en France ne font qu’aggraver les maux de notre société tout en révélant le désordre engendré par le système capitaliste.

Sous le socialisme, nous devrons un temps garder la prison pour permettre cette réhabilitation qui lui est aujourd’hui déniée ; mais cela ne sera plus la prison comme avant, insalubre et qui nourrit la violence plus qu’elle l’apaise : le but, ce sera la rééducation par le travail. Toutefois, il serait insensé de continuer dans le tout-carcéral, ce qui nécessitera d’accentuer les mesures déjà en cours en France dites de peines alternatives. Aujourd’hui, dans le capitalisme, elles ne sont pas efficaces, car elles se couplent à un manque de moyens accordé aux services de la justice, ce qui rend le suivi judiciaire globalement insuffisant et permet facilement aux délinquants de retomber dans leurs travers si rien n’est fait pour leur donner les moyens de changer. Il faudra aussi améliorer des politiques méconnues mais qui ont démontré leur utilité à la fois dans le suivi des victimes ou des familles des victimes et dans la réhabilitation des condamnés, à l’instar de la justice restaurative***.

Passons à présent à une question polémique, celle de la répression des contre-révolutionnaires. Selon certaines personnes, dont de gauche, il ne faudrait même pas penser à cette éventualité jugée trop brutale -il faut reconnaitre à la grossière et mensongère propagande anti-communiste des « 100 millions de morts » du communisme, véhiculée par des thuriféraires comme Stéphane Courtois, qu’elle fonctionne relativement bien.

Où est la brutalité ?

Rappelons quelques faits historiques – non exhaustifs : en 1965, un million de communistes indonésiens sont massacrés en quelques semaines par les sbires de Suharto avec la complicité des États-Unis. En 1973, le coup d’État de Pinochet entraine la répression totale des opposants qui seront tués, torturés, violés (les bourreaux couperont les doigts du chanteur Victor Jara). Tout pouvoir aux religieux sera donné en matière morale et aux « Chicago Boys » en matière économique (souvent passées sous silence par notre bourgeoisie nationale, les politiques de Thatcher et aujourd’hui de Macron ne sont que l’héritage de celle du dictateur Pinochet !). Les communistes persécutés aux États-Unis et en Angleterre dans les années 1950-1960 ; le massacre de Charonne le 8 février 1962 ; les membres de l’opposition au Venezuela qui tuent les députés chavistes, leurs militants, des policiers ou des simples passants en raison de leur couleur de peau ; ou encore, en France, la répression sanguinaire de la Commune de Paris. On pourrait multiplier les exemples sur des pages entières, mais il s’agit surtout de rappeler qu’en matière de brutalité, de politiques antisociales et meurtrières, le capitalisme n’a aucune leçon à administrer au communisme !

N’importe quelle révolution conséquente doit être irrémédiable et donc empêcher tout retour en arrière. C’est dans ce sens que Maximilien Robespierre, le grand révolutionnaire français, disait : « Citoyens, vouliez-vous une révolution sans révolution ? » Il faut tout faire pour lutter contre les réactionnaires qui désirent nous ramener aux politiques dénoncées plus haut. Dans ce cas, il faut pouvoir lever le peuple en masse et utiliser tous les moyens de répression possibles de la contre-révolution.

Toutefois, cela ne signifie pas perdre le sens de la mesure, celle qui exige de ne pas traiter toutes personnes n’ayant pas totalement les mêmes idées que la révolution comme un ennemi. Personne ici ne prendra exemple sur le meurtrier Pol Pot ! Un ordre particulièrement suspicieux et pénible ne serait pas forcément assuré, quand il est révolutionnaire, de survivre, à l’instar de la Roumanie de Ceausescu où certains étudiants, dont communistes, devaient « vider leur sac » en prenant soin de ne pas être vus en public. Souvenons-nous que Fidel Castro appelait à ne pas empêcher l’intelligentsia non communiste mais pas antirévolutionnaire de s’exprimer. À contrario, il fallait être impitoyable avec les discours réellement contre-révolutionnaires et réactionnaires.

En conclusion, les communistes ne doivent pas s’abandonner ni à une politique aveugle du tout-sécuritaire, ni à celle gauchiste pensant que l’on peut se passer presque de prison à court-terme, voire à considérer le lumpenproletariat comme la classe révolutionnaire par excellence.

Finissons en citant un long paragraphe du philosophe et secrétaire national du PRCF, Georges Gastaud :

« Disons pour finir qu’une réflexion sur l’ordre doit être posée dans une perspective clairement dialectique.  Non seulement l’ordre d’une société socialiste « juste » diffère de l’ordre capitaliste par le fait qu’il sert la classe laborieuse et non les capitalistes, mais il doit nécessairement intégrer – étant un ordre progressiste, donc en mouvement – une dimension de désordre et d’anarchie bien tempérés s’il est vrai que le but final du socialisme est de mettre au monde une société communiste au sens plénier du mot : une « société sans classes » dans laquelle l’Etat « politique » s’éteindrait peu à peu (Marx, Engels, Lénine n’ont cessé d’y insister), se doit d’offrir à chaque collectif communiste, à chaque travailleur, un maximum d’initiative politique, idéologique et culturelle. Mais cette créativité ne saurait être mise au service du « chacun pour soi et du profit pour qui pourra » ; elle serait évidemment mise au service du développement général des capacités de chacun et de ce que Babeuf, fondateur du communisme moderne, appelait le « bonheur commun ». Ce serait là le lieu de développer une réflexion sur les rapports entre la planification et l’autonomie de gestion dans le cadre de la propriété sociale des moyens de production (se pose aussi bien sûr, comme on le voit à Cuba, la question d’une part subordonnée de l’économie réservée, du moins dans un premier temps, au « marché »), mais une telle réflexion sortirait, comme chacun le comprendra aisément, des limites prescrites à la présente réflexion, et peut-être d’ailleurs des compétences économiques de l’auteur. »****

* Soit-dit en passant, un parti comme le Rassemblement national est l’un des plus condamnés de France, notamment pour abus de biens sociaux, détournement de fonds ou violences. Qui se souvient de ce jeune militant FN faisant brûler délibérément des voitures pour en accuser les immigrés ?

**Période dite spéciale, car le pays subissait une crise digne d’une nation en guerre, mais sans la guerre.

***Innovation provenant d’une loi de 2014, la justice restaurative permet à des victimes ou parents de victimes de rencontrer des personnes volontaires ayant commis des faits similaires. En plus d’être volontaires, les détenus doivent avoir reconnu les faits. L’objectif affiché derrière cette politique, c’est la responsabilisation, la réparation et la réconciliation entre criminels et victimes. Ces actions de justice réparatrice restent relativement rares, car elles se font sur volontariat, mais qu’elles sont mal connues, puis tout simplement, car les institutions pénitentiaires n’ont pas forcément les moyens financiers de les mettre en place. Pour plus d’information, lire l’excellent article « Il y a le procès, la condamnation et puis plus rien » de Léa Ducré et Margot Hemmerich publié en décembre 2016 dans Le Monde diplomatique.

**** « Quelques réflexions préliminaires sur les « questions sociétales » par Georges Gastaud.

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