PNL – Le pain et la paix

par | Mar 30, 2019 | Contre-culture | 0 commentaires

Ils sont deux frères, Ademo et N.O.S, ils forment un groupe de rap nommé PNL, pour Peace N’ Lovés (la paix et l’argent). Ils ont sorti un clip le 22 Mars. Le 27 Mars à 17h30 ce clip comptabilise plus de 21 millions de vues sur YouTube. Qu’est-ce qui explique le succès toujours grandissant de ces deux rappeurs venus de la cité des Tarterêts à Corbeil-Essonnes ? Nous allons voir que l’explication du phénomène le plus important du rap français actuel n’est pas sans intérêt pour les marxistes que nous sommes.

D’abord, ils annoncent un programme, ou plutôt un espoir : le pain et la paix, Peace and Lovés. Venus d’un milieu social plongé dans les affres de la misère économique, leur souci premier est tout naturellement de se mettre, eux et leurs proches, à l’abri du besoin.

Au contraire de nombreux rappeurs qui glorifient en paroles la délinquance et les trafics en tout genre, le duo dépeint une réalité où le crime est une conséquence dramatique de la misère. PNL n’exhibe pas les armes comme des signes ostentatoires de “virilité”, il s’agit au contraire pour eux de montrer les tourments de l’homme qui aspire à la paix et se retrouve face à la nécessité du trafic de stupéfiants pour remplir son frigo.

“T’aimes pas la paix c’est que t’as pas fait la guerre guerre guerre.” – Le M –

Ce type d’approche était très courant dans le rap “à l’ancienne” qui a précédé l’émergence d’une génération “gangsta” dont le meilleur représentant en France est sans doute le fameux Booba. Mais a contrario d’un discours d’ancienne école qui menait vers la révolte sociale, celui de PNL n’ouvre pas de perspective collective. La communauté chez PNL c’est QLF, “Que La Famille” comme on peut souvent l’entendre dans leurs chansons. Ils n’y a chez le duo comme seul rempart face à la cruauté du monde que la solidarité totale d’un cercle restreint de proches. C’est là ce qui nous semble un premier symptôme d’une certaine évolution de la société Française : la tendance technocratique à la dépolitisation des problèmes économiques a suffisamment progressé pour que l’idée même d’une émancipation collective, par l’action des masses, sorte de l’esprit de certaines couches sociales parmi les plus précaires.

Bien évidemment, PNL ne peut ignorer la contradiction entre travail et capital et on ne saurait les créditer d’une ignorance des inégalités socio-économiques. Comme ils le disent dans leur dernier titre :

“J’me promène dans les beaux quartiers avec le seum [la haine, la rage, le dégoût] qui fait peur aux riches.” – Au DD –

Il leur est impossible d’échapper aux logiques d’ensemble de la société, même si la communauté (en tant que part de la société entrant en contradiction avec celle-ci) est leur souci principal. Ainsi a-t-on pu voir dans des manifestations lycéennes et étudiantes arborer comme slogan “Le Monde ou Rien”, titre à succès de nos rappeurs. C’est à notre sens d’autant plus révélateur du fait que PNL exprime (c’est ce que montre leur notoriété) un sentiment partagé par de très nombreux jeunes.

PNL dépeint froidement la misère, la criminalité, l’angoisse du frigo vide. Ils s’affichent dans une démarche clairement mercantile et n’ont aucunement la prétention de faire de la grande musique pour rivaliser avec Mozart ou Lully. Ils sont d’une honnêteté désarmante lorsqu’ils disent :

“J’lâche des mots de merde, et tu me payes payes payes payes payes.” – Dans la légende –

Leur démarche commerciale est poussée à fond. Leur album “Dans la légende” et le prochain à paraître, “Deux frères”, sont publiés en deux versions, chacune contenant un titre exclusif différent. Il s’agit ouvertement de faire acheter deux albums à chaque fan. Ce coup de génie marketing est d’autant plus significatif que PNL gère sa promotion et sa diffusion sans contrat avec une quelconque “major” de l’industrie du disque type Universal, Sony ou Warner. Une équipe soudée autour des deux artistes s’est mise en place pour diffuser leurs œuvres, avec des résultats manifestement au rendez-vous. Cette démarche en marge du système médiatique mais à l’avant-garde de la course au profit (même s’il ne s’agit pas là de pur profit capitaliste) relève d’une “fracture sociale” assumée et nécessaire pour les couches sociales ultra-précaires des “quartiers populaires”. PNL ne souhaite pas s’afficher dans le discours bourgeois sur le réel, ils ont comme nous la hantise des Bernard de la Villardière :

“Fuck vos interviews j’aurais pu passer dans vos reportages de chiens.” – Tu sais pas –

Ce qui caractérise par-dessus tout la démarche de PNL, c’est cette authenticité presque cynique consistant à dire : nous sommes là pour l’argent, pas pour le show-business ni pour une prétendue communion avec les fans.

“Le public j’m’en fous, j’sais qu’il me lâchera.” – Le M –

Ce que l’on retient souvent du groupe est également son côté planant et mélancolique, fait de “beats” éthérés, de vocodeur et de paroles sombres et résignées. La quête de l’argent chez PNL est le produit d’une fatalité et le fait de s’enrichir en faisant des albums n’est pas le nec plus ultra du bonheur et ne mène pas à grand-chose de plus qu’une tranquillité imparfaite.

“Plus je me rapproche du sommet, plus j’entends le ciel qui gronde.” – Onizuka –

Enfin, ce que PNL chante, c’est une rupture radicale au sein du sujet, c’est le sentiment de déchirement entre l’injonction morale qui fait de nous des humains et le besoin de lutter à mort contre son prochain pour pouvoir s’enrichir à ses dépens.

“J’crois bien qu’ils sont pas humains, ou c’est peut-être moi qui suis pas humain.” – Humain –

Ce déchirement exprimé à travers une subjectivité honnête et parfois percutante est à notre sens une grande partie de ce qui fait le succès de PNL. Le public se reconnaît, même sans forcément partager l’existence lumpen-prolétarienne d’Ademo et N.O.S dans une condition sociale intenable. Le capitalisme est l’inconscient de cette scission, il est d’une part le discours moral “totalitaire” de la bourgeoisie, d’autre part l’impossibilité pratique d’aimer son prochain puisque l’on peut être amené à tout moment à lui soutirer de l’argent de manière malhonnête si l’on veut s’assurer une place confortable, parmi les loups. Cette tenaille pré-fasciste, si l’on n’en résout pas la contradiction fondamentale, ne peut aboutir qu’au repli sur une communauté de souffrance ou à l’individualisme le plus absolu, dans les deux cas la guerre de tous contre tous, et bientôt sur des bases ethniques puisque l’on voudrait nous faire croire que “QLF” signifie un entre-soi voulu dans des “territoires perdus de la république” où ne seraient admis que les non-blancs. Foutaises bien sûr, et la seule perspective enviable et concevable demeure le socialisme, la construction d’un tous-ensemble de rapports et d’affects menant vers la disparition des classes sociales, vers la fin de la fracture dans l’homme et entre les hommes.

Si nous ne pouvons qu’encourager le succès de PNL qui dame brillamment le pion aux rapaces de l’industrie musicale, nous ne pouvons également que souhaiter la chose suivante : qu’ils perdent leurs raisons de chanter la misère et l’isolement. Si dans dix ans PNL chante encore la mélancolie des cités où toute perspective d’avenir se résume à accumuler un maximum d’argent pour se mettre à l’abri alors que tout autour se délite, ce seront dix années de victoire pour la réaction. Nous ne pouvons nous permettre dix nouvelles années de capitalisme. Nous ne pouvons, à vrai dire, pas nous permettre une seconde de plus. Mais les fans de PNL l’entendront-ils ?

Thibaud-JRCF

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