Sur l’article Les grèves de mai-juin 1936 revisitées d’Antoine Prost

par | Avr 15, 2019 | Théorie, histoire et débats | 0 commentaires

Antoine Prost est un historien spécialisé dans l’histoire contemporaine, il est à la tête du Centre d’histoire sociale du XXème siècle, président de l’association  Le mouvement social, où il écrit Les grèves de mai-juin 1936 revisitées, en 2002, dans la revue du même nom. Il écrit à propos de ces grèves, également dans l’ouvrage Histoire des mouvements sociaux en France publié en 2012 chez La découverte. C’est une des œuvres les plus récentes d’Antoine Prost. Il a écrit plusieurs ouvrages portant sur les années 30, notamment La CGT à l’époque du Front Populaire et Autour du Front populaire. Cet ouvrage est donc la continuité de ses travaux sur le Front Populaire et le climat politique atypique qu’il représente, avec un gouvernement antifasciste, de gauche, des mouvements sociaux avec une ampleur très importante, et les premiers conquis sociaux de la classe ouvrière. Cependant, l’origine de ces mouvements sociaux, avec des modes d’action nouveaux, souvent décrite comme l’œuvre des syndicats et du PCF, est réfutée dans ce texte. D’où viendraient donc les grèves de 1936 ?

      Antoine Prost insiste sur le caractère populaire de ces grèves, qui partent de la masse et non de l’avant-garde que représentait le PCF et la CGT à l’époque, à l’inverse de la théorie de l’époque : celle d’un complot communiste. Or l’auteur explique bien que les cadres du parti communiste n’avaient pas réellement d’intérêt à appeler à la grève, notamment dans le climat politique tendu, où le nazisme monte en Allemagne (Hitler devient chancelier en 1933 avec l’aval des grandes industries allemandes, françaises, britanniques comme Krupps), et le fascisme prend racine en France, notamment en réaction au gouvernement du front populaire qui rassemble des social-démocrates et des communistes : L’anti-communisme est porté par des organisations telles que l’Action Française, ou la Cagoule. En effet, l’instabilité que peuvent causer les mouvements sociaux est dangereuse dans un temps pré-guerre (l’Allemagne se ré-militarisait). Il faut noter que ces mouvements sociaux partant de la base, comme à la Commune de Paris, ont une dimension très patriotique : l’alliance des deux drapeaux : le rouge, du sang de l’ouvrier, et le tricolore du peuple français. C’est à cette à occasion que Maurice Thorez dit : « il faut savoir terminer une grève, après avoir obtenu satisfaction » pour limiter l’instabilité. Cependant les communistes supportent les grèves, certains membres du PCF comme de la CGT en sont à l’origine dans certaines usines, mais c’est loin d’être la majorité. En effet, les grèves ont un format atypique : on occupe d’abord l’usine, on discute, et on forme nos revendications. Il faut noter, que c’est la première fois que des ouvriers occupent l’usine (empêchant les briseurs de grève de s’emparer de leurs outils de travail, et rendant la grève moins efficace). Elles viennent principalement du secteur privé, or les secteurs publics sont les plus syndiqués, et les plus enclins à faire grève : Le taux de syndicalisation dans la métallurgie (donc les usines comme Peugeot, Renault, Bréguet, Latécoère) est très faible, il approche les 4 %.

      Les grèves partent donc des masses laborieuses, rejetant la taylorisation, le travail en miettes (Georges Friedmann) et la réification des travailleurs : ils sont remplaçables et donc licenciés lorsqu’ils ne suivent pas les cadences très élevées, comme des machines qui ne fonctionnent plus. Ils sont payés à la tâche, et cela implique une concurrence entre les différents travailleurs : celui qui produira le plus sera le mieux payé. La mise en place du système Bedaux, avec la quantité de charbon à la minute détermine le salaire des mineurs aux Mines d’Anzin. Ce système sera repris dans les grandes usines taylorisées. Léon Blum, président du conseil des ministres, fait voter la loi des 40 heures de travail maximales et les premiers congés payés : les employés seront donc payés à l’heure, et non à la tâche, comme le voulaient les grands patrons, et le système Bedaux est donc abandonné.

      L’auteur écrit également sur le caractère festif de la grève : à la différence des piquets de grève qui peuvent être très épuisants, et qui sont à l’extérieur, les occupations d’usine, tout aussi fatigantes, permettent plusieurs espaces dédiés au partage, à la festivité, aux arts, etc. Les ouvriers occupant l’usine, continuent de travailler, ils prennent soin de leurs outils de travail. Mais ils ne « produisent » rien. Il écrit également à propos du changement de mentalité des ouvriers, qui s’opposent au paternalisme patronal, comme Begnino Caceres. Les conventions collectives adoptées dans les diverses entreprises y mettent fin : les ouvriers n’ont plus à rendre « services » au patron pour être bien vu.

      L’auteur critique certaines thèses, décrivant ces grèves comme étant des grèves révolutionnaires, ayant pour but de prendre le capital, de gérer leur production, et en somme, d’entrer dans un système de production socialiste, ces thèses se portant sur les menaces parfois proférées à l’égard des patrons. Il souligne que ces menaces sont rares, et ne peuvent s’appliquer à la majorité des grévistes. « Les grévistes n’envisagent nullement la disparition du patronat ».

      De par ses nombreuses études sur cette période, et l’appui de témoignages et d’anciens travaux de ses collègues historiens, Antoine Prost écrit avec une certaine justesse les tenants et aboutissants des grèves de 1936, tenant compte du contexte politique, des différents modes d’action traditionnels des grèves, et surtout en prenant les grèves dans sa globalité et son contexte social, sans porter de réel jugement sur la nécessité des grèves ou non. On remarque certaines similitudes avec tous les mouvements sociaux partant de la base, de la Commune, aux Gilets Jaunes : patriotisme et fraternité ouvrière.

Andréa Targy

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