La Haine, jusqu’ici tout va bien ?

par | Août 27, 2020 | Contre-culture | 0 commentaires

25 ans après avoir défrayé la croisette,  La Haine est de retour en salle. Rien d’étonnant à cela en cette période d’épidémie, où les tournages sont à l’arrêt, que les cinémas ressortent des films pour subsister. Le film de Kassovitz, quasiment déjà culte à sa sortie, avait toute sa place dans les programmations de cet été. En effet, le film a su marquer son époque, autant par un jeune Cassel qui mime De Niro dans son miroir, que par un Dj Cut Killer qui « scratch » la voix de Joey Star sur celle d’Edith Piaf. Aujourd’hui, le film est devenu une référence : sortez un film sur les banlieues, il sera comparé inévitablement à La Haine, comme si le personnage principal portait des smokings blancs et fumait des cigares cubains. Pourtant, nous pensons que si La Haine est aussi culte ce n’est pas parce qu’il dépeint son titre en noir et blanc au travers des violences policières dans les quartiers, mais parce qu’il arrive à nous faire rire. Mieux. Le film retranscrit toute la poésie populaire cachée par la violence, et la popularise, la rend appréciable pour ceux qui ne la connaissaient pas. « La Haine » c’est le clip, 6 ans en avance, du morceau de la Fonky Family « Art de rue ».

« Ambiance scandale danse de vandales
Sens d’où vient la chaleur
Gloire à l’art de rue

DJ, Breaker, Bboy, Graffeur, Beatbox
Jusqu’au bout art de rue »

S’il nous semble important de souligner ce que le film représente en termes de culture populaire, c’est de façon à balayer toutes les critiques post-modernes voulant faire passer Kassovitz pour un bourgeois bohème qui s’exprime à la place des concernés. Il est clair que l’amoureux d’Amélie Poulain est définitivement à ranger dans la case des « bobos », mais le dire ne fait en rien de vous des critiques éclairés, au contraire. Par ailleurs, si l’on s’intéresse un tant soit peu à la culture hip-hop on s’aperçoit que les hommages à La Haine ne manquent pas et que les jeunes des quartiers n’ont pas attendu les critiques de Libération pour reconnaître son authenticité. Cependant, l’objet de cet article n’est pas de faire une critique du film, il en compte 220 sur Sens Critique et trois fois plus sur AlloCiné. Ce qui nous a interpellé lors de cette réapparition en salle, c’est de lire : « C’est l’histoire d’un film sorti il y a 25 ans, mais qui aurait très bien pu être réalisé l’année dernière » (1). Pourtant, l’année dernière, le film Les misérables de Ladj Ly sortait en salle, et le réalisateur lui-même disait que bien que La Haine soit une inspiration, c’était il y a 25 ans, une époque révolue ou du moins différente selon lui (2). Ainsi, nous ne chercherons pas à savoir si La Haine aurait pu être tourné l’année dernière, mais plutôt ce qui a pu changer depuis la sortie en salle du film.

2002, l’échec d’un PCF mutant

Kassovitz déclarait lui-même qu’on ne change pas la société avec un film, il ne pouvait pas moins se tromper puisqu’en 2002 le Front National établissait son premier record en arrivant au second tour des présidentielles. Mais ce qui nous intéresse, ce n’est pas tant la montée du FN, mais plutôt l’abîme dans lequel est tombé le grand parti des travailleurs. En effet, en 2002 le PCF a subi un score cuisant au premier tour des élections présidentielles avec moins d’un million de voix et seulement 3,3% des suffrages exprimés. Cela ne doit en rien nous étonner, les JRCF, à l’instar de leurs aînés du PRCF, n’ont de cesse de dénoncer la liquidation politique menée par entre autres Robert Hue à cette époque. Pourtant, les élections précédentes ayant eu lieu la même année que la sortie du film, le PCF était encore à 2,6 millions d’électeurs avec le même candidat. Bien que ce score n’arrive en rien à la cheville d’un PCF à presque 5 millions en 1969 avec Jacques Duclos, c’est un score non négligeable. Ainsi, en 1995 le PCF conservait toujours son influence dans les quartiers populaires, notamment par le biais de nombreuses associations et par l’implication de ses militants dans la vie quotidienne de ces quartiers. Pour ceux et celles qui auraient la mauvaise foi de continuer à ne pas voir le lien du PCF avec La Haine, il suffit de se remémorer la scène où les trois protagonistes se disputent pour savoir si c’est Hercule ou Pif le plus fort. Cette scène n’est pas un hasard, Pif gadget était le magazine français de bande dessinée pour la jeunesse né dans les pages du journal l’Humanité, et qui connaît son plus grand succès au début des années 70 où certains exemplaires battent des records de tirage. À cette même époque, après les municipales de 1977, la ceinture rouge de Paris compte 54 villes de la petite couronne et 72 communes de la grande couronne dirigées par le PCF. Ainsi les banlieues à cette époque sont communistes, et les protagonistes de La Haine ont grandi dans cette culture communiste ; aujourd’hui, les banlieues ne sont absolument plus effrayées par le discours néo-libéral de Macron puisqu’une partie a voté pour lui. S’il fallait un autre argument pour convaincre les sceptiques, il serait possible de faire un parallèle avec le film Ma 6-T va crack-er. Sorti en 1997 le film décrit également le quotidien des jeunes de banlieues tout en s’attardant sur la violence entre les quartiers ; il est d’ailleurs réalisé par Jean-François Richet qui a collaboré avec Vincent Cassel à l’occasion du diptyque sur Jacques Mesrine, et deux autres films. Alors qu’il est produit par « Actes Prolétariens » et remercie Karl Marx et Lénine, le film montre le lien qui existait alors entre banlieues et conscience de classe.

La salle de boxe a brûlé.

On se souvient de cette scène ironiquement comique où les jeunes découvrent que la salle de boxe a brûlé la nuit dernière pendant les émeutes. Tandis que Hubert frappe rageusement le dernier sac de frappe encore debout, Saïd se demande comment la voiture à moitié incinérée a pu rentrer dans la salle. Un peu plus tard dans le film, alors qu’un policier venant lui-même du quartier dit à Hubert qu’il peut le pistonner pour rouvrir une salle de sport, le jeune boxeur lui répond qu’il est trop tard et que ce n’est plus dans des sacs que les jeunes veulent frapper. Finalement, Hubert a peut-être raison, lorsqu’on voit les émeutes que provoquent une simple qualification du PSG en finale de la Ligue des champions, on pourrait penser que 25 ans plus tard, il est définitivement trop tard. Mais les jeunes de quartier ont-ils seulement la possibilité de frapper dans des sacs, qu’en est-il des inégalités de répartition des équipements sur le territoire ? En effet, les gouvernements successifs se plaisent à faire la promotion de la socialisation par le sport et la culture, mais la diminution du budget sport du ministère en question et la suppression des emplois aidés ne semblent pas aller dans le sens de ces annonces. La suppression des emplois aidés en 2017 a particulièrement touché, et c’est le moins que l’on puisse dire, le milieu associatif. Les associations ont perdu plus d’un milliard de « subventions », environ 12 500 employeurs associatifs ont disparu en 2017 et certaines régions ont perdu jusqu’à 20% de leurs clubs sportifs en 2018. Sur le territoire, les associations représentent plus de 90% des clubs sportifs, 80% des établissements d’enseignement culturel ou encore 50% des crèches (3). Il faut également ajouter à cela, les disparités déjà présentes sur le territoire entre villes et banlieues. Tout d’abord, il y a un cercle vicieux, les quartiers se paupérisent, donc pour continuer à attirer des adhérents, les clubs sont contraints de baisser le prix des licences, cela veut donc dire moins d’argent pour embaucher des éducateurs ou avoir du matériel de qualité. Ensuite, il y a également moins de pratiquants dans les quartiers prioritaires par rapport aux autres, chez les garçons, cette différence est de 60,1% de pratiquants contre 71,4% et chez les filles de 44,2% contre 63,4%. Ne soyons pas non plus étonnés qu’il y ait une surreprésentation des licences de foot en quartiers contre une sous-représentation du tennis ou encore de l’équitation… Pour finir, les banlieues ont moins de 3% de l’offre nationale en termes d’équipements sportifs, alors que 7% de la population y résident. Plus alarmant, 9% de ces quartiers sont dépourvus d’équipements sportifs sur leur territoire (4).

Qui nous protège de la police ?

C’est la question que pose Hubert au policier précité lorsque ce dernier explique à Vincent que la police est là pour le protéger. Bien qu’elle apparaisse comme un trait d’esprit, la question mérite réellement d’être posé. Depuis La Haine les violences policières ne se sont pas arrêtées, nous pourrions même dire au contraire, mais comment l’affirmer puisqu’il n’y a aujourd’hui toujours pas de statistiques permettant de connaître le nombre exact des violences policières. Cependant, depuis le tournage du film, l’usage du LBD, également connu sous le nom de Flash-Ball, a franchi le périph, les gilets jaunes en ont notamment fait les frais avec 24 éborgnés et 5 mains arrachées par des grenades, et au total 2495 blessés. Les voltigeurs coupables de l’assassinat de Malik Oussekine ont également revu le jour avec le mouvement social. Dès lors, nous pourrions être tentés de dire que c’est l’IGPN, la police des polices, qui nous protège de la police. Malheureusement, le mouvement des gilets jaunes a vu plus de 400 personnes porter plainte, mais le bilan judiciaire des enquêtes de l’IGPN est aussi vide que nos frigos le 15 du mois. De plus, lorsque le parquet de Paris a annoncé que des procès auront lieu (pas plus de 10), les pseudo « syndicats » de police ont réagi de manière virulente pour faire pression sur la justice. Il y a donc bel et bien un problème avec les violences policières qui nous sautent aux yeux à l’ère des réseaux sociaux et des téléphones portables, mais est-ce réellement nouveau ? Kassovitz se défend lui-même d’avoir fait un film anti-flics, il y a de la nuance, et cela est encore plus accentué dans Les Misérables de Ladj Ly qui prend le point de vue de la police. Si ces réalisateurs ont fait le choix de rendre compte de la réalité, c’est avant tout car la police doit nous protéger. La situation devient également problématique lorsque la police ne peut plus exercer sa violence légitime et abandonne des territoires aux mains des trafiquants, comme cela semble être le cas à Saint-Ouen (5). En ce qui nous concerne, nous traitions de la question de la police dans un article récent (6) ; nous pensons que la police doit être purgée de ses éléments racistes et fascistes, sans quoi il sera impossible d’assurer une police du peuple au service du peuple et l’histoire tendra à se répéter comme une farce. Ainsi, si c’est la popularité récente du mouvement « la vie des noirs importe » qui fait dire à FranceInfo que le film aurait pu être réalisé l’année dernière, nous pourrions également rétorquer que La Haine aurait pu être réalisé en 1789 ou en 1871.

L’islam radical

À l’occasion des 20 ans du film, il y a 5 ans donc, Kassovitz disait en interview « [qu’il] n’aurait pas pu faire ce film aujourd’hui » (7). Cela semble pouvoir répondre à notre question d’origine, mais cela nécessite également une explication. En 2015, les attentats revendiqués par DAESH ont ébranlé la France, une problématique qui n’existait pas en 1995 a vu le jour. D’abord, il y a eu un choc, puis il y a eu la réponse sécuritaire du gouvernement, qui aujourd’hui est rentré dans les mœurs, mais surtout dans la loi. Le grand public a aussi découvert que les banlieues comme les prisons ou Internet sont des lieux de radicalisation. La violence et la haine ont pris un autre visage, celui du fanatisme religieux. Pour Kassovitz, pas question d’en faire un film, parler d’eux reviendrait à les excuser. Étrangement, ce discours ressemble à celui de l’ancien premier ministre de l’époque. Finalement, c’est Ladj Ly qui a réussi à faire ressortir cet aspect dans Les Misérables, le film montre que la paix sociale dans le quartier ne sera possible que grâce aux frères musulmans. Pour le réalisateur, les « frères mus’ » ont un rôle pacificateur (8), les policiers eux mêmes les appellent « la Brigade Anti-Came » et c’est dans le Kebab de Salah, l’imam, que se réfugie Buzz, l’enfant témoin de la bavure policière. Dans La Haine, la question du respect est très récurrente, elle s’incarne principalement dans les parents (la grand-mère de Vincent, la mère de Hubert) et les grands frères (lors de la scène sur le toit d’un immeuble, les trois jeunes obéissent au grand frère de Saïd mais pas à la police), et s’incarne également dans leur besoin d’être respecté. Dans Les Misérables, dehors les parents, les flics et les grands frères, ce sont les religieux qui apaisent les tensions, mais à quel prix ? Ces acteurs sont devenus incontournables au casting, et c’est bien le problème. Lorsque les services publics de la République reculent les uns après les autres, que ce soit l’éducation, la santé ou la sécurité, lorsqu’on étouffe les associations, qu’elles soient culturelles ou sportives, et que la police recule en dernier lieu, il ne reste qu’un terrain de jeu sans garde-fou pour les prédicateurs en tout genre (évangélistes et sectes « chrétiennes » n’étant pas en reste dans certains quartiers pauvres) (9). Ces intégristes en tout genre ont un double effet particulièrement néfaste. D’une part, ils participent activement à faire reculer, au sein du prolétariat, l’essor scientifique du XXème siècle que renforça le camp socialiste mondial (le créationnisme revient en force contre toute attente). D’autre part, ils laissent le champ libre à quelques véritables fanatiques du « choc des civilisations » et autres promoteurs de nouvelles guerres confessionnelles sur notre territoire ou ailleurs . En d’autres termes, ils font le jeu de la classe dominante, en diffusant l’obscurantisme et en s’attaquant à l’indivisibilité de la République dans un pays où la laïcité est depuis des années le garant de notre liberté spirituelle.

C’est finalement peut-être être cet aspect-là qui manquait au film pour qu’il puisse être réalisé l’année dernière, c’est peut-être aussi ça qui fait dire à Ladj Ly que « La Haine c’est une autre époque ».

Baba-JRCF.

(1) : https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/art-culture-edition/la-haine-le-film-culte-ressort-en-salle-25-ans-plus-tard_4064581.html

(2) : https://twitter.com/allocine/status/1129642778126897153?ref_src=twsrc%5Etfw%7Ctwcamp%5Etweetembed%7Ctwterm%5E1129642778126897153%7Ctwgr%5E&ref_url=http%3A%2F%2Fwww.allocine.fr%2Farticle%2Ffichearticle_gen_carticle%3D18685935.html

(3) : https://lemouvementassociatif.org/wp-content/uploads/2018/09/Contrats-aid%C3%A9s-bilan-1-an-apr%C3%A8s-Note-de-plaidoyer-Le-Mouvement-associatif.pdf

(4) : https://www.acteursdusport.fr/article/dans-les-banlieues-le-sport-a-la-traine.12286

(5) : https://www.bfmtv.com/police-justice/saint-ouen-un-accord-passe-entre-habitants-et-dealers-pour-favoriser-le-calme-dans-une-cite_AN-202007200174.html

(6) : http://jrcf.over-blog.org/2020/05/la-republique-sociale-souveraine-et-fraternelle-contre-les-violences-policieres.html

(7) : https://www.konbini.com/fr/cinema/mathieu-kassovitz-20-ans-la-haine/

(8) : https://www.franceinter.fr/cinema/ladj-ly-mon-film-est-un-cri-d-alarme-attention-la-prochaine-revolution-viendra-des-banlieues

(9) : http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/fait-religieux-et-construction-de-l-espace/articles-scientifiques/les-religions-dans-les-banlieues-territoires-et-societes-en-mutation#section-2

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