La FDJ, Jeunesse Libre Allemande constitue une des dernières forces politiques issues de la République Démocratique Allemande, annexée il y a trente ans, le 3 octobre 1990. Relativement méconnus en France, nos camarades est-allemands ont accepté de se prêter au jeu de l’interview que nous vous présentons aujourd’hui. Propos recueillis par Antonio Bermudez, pour le collectif international des JRCF.
JRCF – Chers camarades, votre organisation a été fondée légalement en 1946 en République Démocratique Allemande après une existence clandestine dans le cadre de la résistance contre le nazisme-fascisme. Sa branche autonome en République Fédérale Allemande y est interdite depuis 1951. Sous quel prétexte l’Etat bourgeois a-t-il interdit votre organisation à l’Ouest, alors même que le KPD était encore légal ?
FDJ – Sous le gouvernement réactionnaire d’Adenauer[1], il n’y avait aucune rupture avec l’élite politique et économique du fascisme allemand. La même classe restait toujours au pouvoir, les fascistes conservaient leurs postes à de hautes fonctions. Que l’interdiction de la Jeunesse Libre Allemande [Freie Deutsche Jugend, FDJ], de l’organisation luttant dans les deux pays pour l’unification de la jeunesse contre le fascisme et la guerre, soit dans leur intérêt – cela n’a rien de surprenant.
Car, avant tout, c’était la FDJ qui menait une lutte tenace contre la remilitarisation de la République fédérale – et elle avait beaucoup de succès. La consultation populaire concernant le rétablissement de la Wehrmacht sous le couvert de la Bundeswehr a été interdite mais a tout de même réuni rapidement neuf million de signatures.
Pour la classe dominante, elle était une épine dans le pied, car avec ses 60.000 adhérents et son activité antimilitariste, la FDJ devenait effectivement dangereuse.
En même temps, l‘interdiction de la FDJ servait à préparer l’interdiction du Parti Communiste d’Allemagne [KPD] deux ans après. C’était plus simple d’interdire la FDJ, car, étant donné qu’elle n’était pas un parti mais une association, cela n’exigeait aucune décision de la Cour constitutionnelle allemande.
JRCF – Comment l’Etat bourgeois traite-il vos militants présents aujourd’hui dans les territoires de l’ex-Allemagne de l’Ouest comme dans les villes de Francfort, Munich ou Brême?
FDJ – La bourgeoisie et son État agissent selon leurs intérêts en tant que classe : avec de l’anticommunisme et de la répression. Comme d’autres organisations et structures de gauche, la FDJ est sous la surveillance de l’appareil d’État. L’interdiction de la FDJ en RFA datant de 1951 est cependant appliquée arbitrairement. La situation juridique est contradictoire puisque notre organisation est interdite en Allemagne de l’Ouest, mais que par l’annexion de la RDA et du « traité d’unification », les associations de la RDA étaient admises sur l’ensemble du territoire allemand. Néanmoins, l’État maintient l’interdiction anticonstitutionnelle afin de l’appliquer contre nous en cas de besoin.
Il y a 5 ans, à Munich, nous avons subi une dizaine d’arrestations à la suite des actions publiques de la FDJ. On nous reprochait de montrer des « symboles d’organisations anticonstitutionnelles ». Il s’agissait du symbole de la FDJ, le soleil levant. Des tracts, des drapeaux, des chemises bleues ont été réquisitionnés, des perquisitions ont eu lieu. L’arbitraire se démontrait par le fait que nous ayons pu agir, une fois en chemises bleues et avec drapeaux sans être importunés, et la fois suivante des camarades étaient arrêtés. Plusieurs procédures pénales ont eu lieu, dont une, finalement, jusqu’à la plus haute instance judiciaire. L’accusé fut acquitté, le juge faisant référence au fait que notre camarade ait montré le symbole de la FDJ de l’Allemagne de l’Est, et que celle-là n’est nullement interdite. Nous disons que la FDJ, en Allemagne de Ouest comme en Allemagne de l’Est, a toujours été une organisation avec un symbole identique. L’Etat allemand n’a pas pu être capable d’y faire face de manière appropriée et nous le montre de nouveau : En dépit de « l’unification » prétendue des deux Etats, la FDJ continue de lutter en tant qu’organisation dans deux pays. Maintes fois, il y a eu et il y a encore des arrestations, des perquisitions et des réquisitions, également sur le territoire de la RDA. Actuellement, bien que la situation paraisse relativement calme concernant le sujet « interdiction de la FDJ », notre campagne publique « 30 années sont assez ! Révolution et socialisme ! », surtout dans les villes de la RDA, a mis les réactionnaires dans un état bouillant de colère et l’appareil d’Etat en est contrarié. Alors, nous prévoyons d’autres attaques contre notre organisation.
JRCF – Lors de la dissolution de SED au sein du PDS, ce dernier n’a pas reconnu la FDJ comme son mouvement de jeunesse. Quelles étaient les raisons évoquées pour ce choix ?
FDJ – Tout d‘abord concernant l’histoire de la FDJ après 1990 :
Au premier congrès, en 1990, la FDJ a adopté les résolutions suivantes :
1) La FDJ ne se dissolvait pas et gardait son nom d’origine. Il y avait des propositions diverses pour un nouveau nom, mais l’ancien s’est imposé.
2) En raison des démissions, voire de départs en Allemagne de l’Ouest, ainsi que l’arrêt de toute activité parmi les deux millions adhérents, chaque membre qui souhaitait le rester a dû s’inscrire à nouveau. Cette réinscription a été effectuée par 22.000 membres environ.
Il faut cependant préciser que l’appareil de l’organisation était détruit à un point tel que ce renseignement n’est pas parvenu jusqu’à la base. Nous rencontrons d’ailleurs assez souvent des personnes qui sont fermement convaincues d’être encore adhérentes car elles n’ont jamais démissionné.
3) La FDJ adoptait la décision de ne plus être « la réserve du partie », mais revenait à sa conviction fondatrice, c’est-à-dire à la nécessité d’une organisation unitaire et indépendante d’un parti.
Nous ne connaissons aucune prise de décision du SED/PDS concernant la FDJ.
De fait, le PDS a fondé le « Groupe de Travail des jeunes camarades » [AG JungeGenossInnen], ayant la mission de coopérer avec les associations et groupes de jeunes en émergence – sans liaison directe au niveau d’organisation. Avec la FDJ, notamment. Il est toutefois évident que le SED a décidé rapidement du changement de nom en SED/PDS, puis en PDS/SED et peu de temps après en PDS, afin de démontrer clairement qu’il n’était plus le Parti Socialiste Unifié d’autrefois, qu’il avait une volonté du changement. Et cela à l’époque, quand il s’agissait encore de changer la RDA, et non de s’établir en RFA. Ainsi, chaque lien avec les anciennes structures devenait gênant. Par conséquent, la décision prise par la FDJ de maintenir son nom et son symbole ne correspondait pas au point de vue de ces courants et cela a eu des conséquences sur notre coopération.
Toutefois, il y avait une certaine coopération ponctuelle au niveau local et partiellement au niveau parlementaire. Par exemple, lors des élections régionales en mai 1990, quatre membres de la FDJ obtenaient des sièges puisqu’ils faisaient partie de la liste ouverte du PDS en tant que représentants de la FDJ.
En 1999, par la fondation de l’organisation de jeunesse [‘solid], le PDS s’est doté définitivement d’une organisation de jeunesse propre.
Nos expériences avec le parti DIE LINKE (issue du PDS et WASG), tout particulièrement pendant notre campagne publique « 30 années sont assez ! Révolution et socialisme ! », nous démontrent qu’une coopération n’est possible que très ponctuellement, en règle générale qu’avec quelques membres individuels ou des groupes locaux. Avec DIE LINKE dans son ensemble la coopération n’est pas possible car ce parti et ses dirigeants ont abandonné des positions importantes et indispensables, concluant des compromis dans la perspective de la participation gouvernementale (par exemple l’approbation de certaines guerres).
JRCF – Comment votre organisation a-t-elle pu se maintenir malgré la dissolution de la plupart des organisations membres du Front National de la RDA ? (Sur plus d’une vingtaine à l’origine les seules autres associations issues du FNRDA toujours en activité sont la Volkssolidarität, équivalent du Secours Populaire Français, la Domowina, association défendant la minorité Wende en Allemagne et la VVN-BdA, association des persécutés du régime nazi)
Ce fut une lutte acharnée, basée sur les décisions citées ci-dessus. La bourgeoisie, pendant les années 90, essaya à maintes reprises et selon des moyens variés de pousser la FDJ à la capitulation. Des forces peu nombreuses au sein de la FDJ, ayant la volonté politique de survivre, leur tinrent face. D’abord, les biens et le patrimoine ont été mis sous la gestion de la Treuhand[2] [« Agence fiduciaire »]. Les employés ont été licenciés et chaque dépense devait être autorisée par la Treuhand. La poursuite du travail politique n’était possible qu’au moyen d’une séparation aléatoire entre notre ancien et notre nouveau patrimoine. En 1992, il s’établissait donc à 0 DM[3]. Par la suite, malgré cela, la FDJ aurait dû payer 4 millions DM, du fait de la législation du gouvernement fédéral. Pour contrer cela, il fallait mener la lutte politique. Ensuite, l‘administration fiscale nous a demandé des impôts, à payer sur nos nouveaux fonds via la taxe sur notre ancienne fortune sous la gestion de la Treuhand. De nouveau, il fallait mener un travail politique envers le public afin d’éviter cela. La survie politique demandait une lutte fastidieuse et dépendait du renoncement à toute propriété de l’organisation.
JRCF – Quelles sont aujourd’hui vos relations avec le KPD (aujourd’hui dirigé par Torsten Schöwitz, qui a eu pour adhérent notable Erich Honecker, ancien Secrétaire Général du CC du SED), qui a souhaité conserver l’héritage marxiste-léniniste du SED ? Et avec le parti Ouest-Allemand, le DKP ?
FDJ – La FDJ poursuit l’union de la jeunesse révolutionnaire. Elle est indépendante d’un parti, quel qu’il soit. Nous coopérons avec toute organisation qui reconnaît non seulement théoriquement, mais aussi dans la pratique, que l’ennemi principal est dans notre propre pays et qu’il s’appelle impérialisme allemand; et celui-ci est redevenu une grande puissance politique et économique par l’annexion de la RDA.
De ce fait, nous sommes en contact avec quelques adhérents du KPD, avec d’autres adhérents du DKP encore moins nombreux, qui sont unanimes sur cette question et le démontrent dans la pratique.
Nous revendiquons un débat clair et vif par rapport à la question sur laquelle nous nous trouvons en désaccord : l’annexion de la RDA a été possible, le socialisme a été temporairement vaincu – du fait révisionnisme moderne-, ayant pour origine l’abandon de la lutte de classe par le SED, entraînant ainsi l’abandon du premier Etat socialiste sur le sol allemand.
En particulier à l’égard du DKP: la fondation du DKP, en 1968, menée en coordination avec l’Etat ouest-allemand, a torpillé et a trahi la lutte pour la reconstruction du KPD de Thälmann. Par ailleurs le DKP n’a pas hésité de s’étendre sur le territoire de la RDA annexée – comme le faisaient les annexionnistes, comme si celle-ci n’était pas un autre pays.
Nous entretenons des unités d’action et de coopération étroite avec « la ligue ouvrière pour la reconstruction du KPD » [Arbeiterbundfür den Wiederaufbau der KPD], fondée en 1968 en Allemagne de l’Ouest et qui a renoncé à la fondation d’une organisation de jeunesse propre, déployant plutôt des efforts dans la lutte contre l’interdiction de la FDJ, contribuant ainsi de toute ses forces à la survie de la FDJ.
[1] Chancelier (CDU) de la RFA de 1949 à 1963
[2] Du nom complet Treuhandanstalt: institut public fondé pour la privatisation des entreprises possédés par le peuple (VEB) et des autres institutions publiques; les activités en lien avec la Treuhand sont largement connues comme incontrôlées et criminelles.
[3] Deutsche Mark.
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