Le 6 juin dernier s’est déroulé au Pérou le second tour des élections générales. Concernant l’élection présidentielle, Pedro Castillo du parti Pérou Libre est sorti vainqueur face à Keiko Fujimori, la candidate de Force Populaire. C’est la fille de l’ancien président Alberto Fujimori, impliqué dans des affaires allant de la corruption à la stérilisation forcée. Keiko est aussi impliquée dans plusieurs scandales de corruption ayant secoué le pays ces dernières années. Ce cycle électoral intervient dans un contexte social très tendu, avec des mobilisations de masse contre la corruption et les politiques néolibérales qui creusent les inégalités sociales. La victoire de Pedro Castillo au second tour (membre du parti Pérou Libre se réclamant du marxisme-léninisme et des enseignements du fondateur du Parti Communiste du Pérou-PCP José Carlos Mariátegui, employant le terme d’État socialiste) suscite un grand espoir pour la gauche populaire anti-impérialiste en Amérique latine. Pérou Libre est aussi arrivé en tête dans les élections au parlement national et au parlement andin (1).
La lutte des classes a été palpable durant toute la campagne électorale. Le prix Nobel de littérature péruvien Mario Vargas Llosa, connu pour ses positions favorables au pouvoir bourgeois en Amérique latine, a appelé à voter Keiko Fujimori (même si auparavant il avait affronté Alberto Fujimori lors d’élections présidentielles). Les formations de droite dirigées par des hommes du milieu d’affaires et de la politique bourgeoise impliqués dans les scandales de corruption qui secouent le pays ont reporté leurs voix vers Keiko au second tour. La candidate d’Unis Pour le Pérou, à la tête d’un front large de gauche auquel adhérent des organisations se revendiquant du communisme, a appelé à voter pour Castillo au second tour. Les grands médias capitalistes (CNN en espagnol entre autres) n’ont pas manqué pas de traiter Castillo de terroriste et de communiste (ce dernier adjectif pour nous c’est une fierté mais pour eux c’est une insulte), en expliquant qu’une sorte d’axe du mal Cuba-Venezuela-Bolivie-Pérou est en construction. Pérou Libre défend d’ailleurs dans son programme que l’information et la communication ne doivent pas être monopolisées par des grands groupes capitalistes.
Pérou Libre défend dans son programme la nécessité d’abroger l’actuelle constitution du Pérou et de lancer un processus constituant. La constitution en place au Pérou inscrit dans le marbre le néolibéralisme et la soumission au capital étranger, à travers des traités inégaux entre l’État et les firmes transnationales. Le parti fait une défense ferme de la souveraineté péruvienne face à l’impérialisme notamment des Etats-Unis. L’opposition à l’asservissement à la dette extérieure, aux organisations capitalistes supranationales et aux traités de libre-échange ne laisse place à aucune ambigüité. Concernant la forme de l’État la formule défendue est la « République Fédérale Plurinationale » avec une large autonomie communale. Au niveau international le parti promeut une intégration régionale latino-américaine anti-impérialiste.
Le concept employé pour l’économie est celui d’ « Économie Populaire avec Marchés ». L’État socialiste doit être un acteur central de l’économie (nationalisation de secteurs-clés comme l’énergie au sens large et les infrastructures de transport) mais sans effacer le secteur privé national, qui doit d’ailleurs être défendu face au capital monopoliste étranger. Les capitaux publics et privés doivent être investis dans le tissu productif, les infrastructures et les services publics péruviens. La propriété privée de moyens de production est acceptée si elle ne va pas dans la concentration, la corruption, le parasitisme et l’appauvrissement de la majorité populaire.
Un autre chantier essentiel pour le Pérou est l’éducation. En effet, selon les estimations de Pérou Libre, il y a au Pérou 2,7 millions de personnes qui ne savent pas lire ni écrire. Pour la plupart, ce sont des femmes de milieu rural et d’Amazonie. Ainsi, la formation de Pedro Castillo développe l’ambitieux programme Pérou libre d’analphabétisme avec un budget national pour l’éducation qui passerait de 3,5 à 10% du PIB. Ceci s’accompagne d’une forte promotion de la culture. Castillo est professeur et dans le logo de Pérou Libre on trouve un crayon sur fond rouge. Pour la santé le programme est aussi ambitieux, avec un budget devant passer de 5,4 à 10% du PIB pour permettre la création d’un système universel, unique, gratuit et de qualité.
L’industrialisation du pays et la modernisation de l’agriculture sont essentielles pour Castillo et ses camarades. Il s’agit de la lutte pour la sécurité alimentaire et d’un moyen de défense face à un éventuel embargo.
Pérou Libre entend aussi instaurer une sécurité sociale universelle et parle de « droit au travail, droit dans le travail et droit après le travail », en considérant que le travail est un devoir aussi. Aujourd’hui 7 péruviens sur 10 sont dans l’économie informelle sans aucun droit. Cet objectif s’accompagne d’une politique de lutte contre le travail des enfants (21,8 % des enfants et adolescents travaillent au Pérou), la corruption, le narcotrafic et la traite d’humains.
Les militants de Pérou Libre arborent fièrement le fait de venir des campagnes, d’être la « voix du Pérou profond ». D’ailleurs à Lima, capitale et grand mégalopole du pays, c’est Keiko Fujimori qui est sortie largement gagnante au premier tour comme au second.
Il faudra rester attentif à la situation du pays prochainement. Castillo a gagné sur un mouchoir de poche, Keiko crie à la fraude et l’investiture est prévue pour le 28 juillet. La bourgeoisie monopoliste et l’impérialisme ne feront pas de cadeaux. La prise de parole officielle ou dans le cadre d’une campagne électorale n’est pas forcément la même que dans les documents du parti, s’agissant de l’accession au pouvoir par la voie électorale. Pérou Libre n’aura pas de majorité absolue au parlement. La mobilisation de masse des travailleurs des villes et de la campagne sera nécessaire pour faire aboutir une assemblée constituante et un programme de transition révolutionnaire au socialisme.
AMÉRIQUE LATINE LIBRE ! SOCIALISME OU BARBARIE ! LA PATRIE OU LA MORT ! NOUS VAINCRONS !
1. Parlement composé de représentants des pays traversés par la cordillère des Andes (Pérou, Colombie, Bolivie, Équateur et Chili), avec le but de promouvoir l’intégration régionale.
https://www.resultados.eleccionesgenerales2021.pe
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