Malgré une conception largement répandue en France, l’animation n’est pas réservée aux enfants. De plus en plus d’auteurs se sentent libres d’aborder des sujets plus matures non destinés à un public mineur. Et pas besoin d’aller au Japon et aux Etats-Unis pour en trouver, l’Europe n’en est pas exempte. Ce 28 décembre est sorti le second long-métrage d’animation du réalisateur espagnol et auteur de BD Alberto Vazquez, Unicorn Wars. L’histoire nous plonge dans un monde où des ours fanatiques religieux sont en guerre avec les licornes, qui les auraient chassés de la forêt magique. Fanatisée par des appels au génocide proférés par leur prêtre, une jeune brigade d’ours va pénétrer dans la forêt et affronter la dure réalité du conflit, quitte à commettre moult atrocités.
Le film est issue d’une BD qui est devenue elle-même le court-métrage Sangre de Unicornio, où l’on retrouve déjà les personnages de Célestin et Dodu, même si l’histoire est sensiblement différente.
L’univers d’Alberto Vazquez est peuplé de personnages provenant de l’enfance ou des univers fantastiques afin de les faire intervenir dans des histoires dramatiques. Dans son court-métrage Decorado, des individus tout droit sortis d’un cartoon Disney sont plongés dans un univers gris où tout semble faux, plongeant l’un des protagonistes dans une profonde dépression sur l’absence de pouvoir qu’il a sur sa propre vie. Dans Homeless Home, les habitants d’un simili Mordor végètent tandis que les périodes de grande bataille des forces du mal ont disparu. On les voit vivre leur vie, leurs désillusions, leurs craintes et leurs faiblesses.
Unicorn Wars s’inspire de nombreux films de guerre, principalement sur la guerre du Vietnam, comme Full Metal Jacket et Apocalypse Now. Alberto Vazquez dit avoir été aussi chercher dans l’histoire biblique. Et en effet, on peut y trouver des références : les ours ressemblent à des démons se battant contre les anges, en l’espèce les licornes ; un Dieu fait d’argile prenant forme humaine ; les personnages de Celestin et Dodu rejouant Abel et Caïn ; la forêt magique qui n’est rien d’autre que le jardin d’Eden. Bien entendu, Espagne oblige, on trouve aussi des références à la guerre d’Espagne et au dictateur Franco (les ours vivant sous un régime militaire). C’est un film de guerre mais profondément anti-guerre, car on n’éprouve aucune joie, aucun plaisir réel aux scènes de batailles assez violentes et qui ne permettent à aucun des camps de gagner. L’histoire est une critique assez amère du fanatisme religieux et du militarisme (ainsi qu’à travers les licornes symboles de la forêt, de la destruction de l’environnement), mais n’est pas un brûlot politique. On est clairement loin des lendemains qui chantent d’un mouvement ouvrier refusant toute guerre et scandant la fraternité entre les peuples ! Toutefois, le long-métrage s’inscrit dans l’air du temps, plutôt porté au désespoir face à une décennie marquée par les crises économiques, la crise politique en Catalogne, le Covid-19 et la guerre en Ukraine.
L’animation est faite main, avec quasiment aucune 3d, sauf dans certains passages les licornes, mais pour lesquels l’équipe d’animateurs a fait en sorte que l’animation ne jure pas avec le reste du décor. Le dessin insiste bien sur l’aspect mignon des personnages, quitte à être grotesque, pour mieux marquer le contraste avec les (nombreuses) scènes violentes durant le récit. L’univers y est très coloré, presque décalé avec ses flèches en forme de cœur et autres étrangetés. La scène psychédélique où la troupe de soldat a consommé une chenille hallucinogène et qui se termine mal, arrive à la fois à être drôle et angoissante.
Unicorn Wars est une co-production franco-espagnole (on trouve dans les producteurs le département de la Charente-Maritime). Cependant là où les chaînes de télé espagnole ont accepté de financer le film, celles de France ont refusées de le faire, par peur sans doute du sujet du long-métrage. Dans nos contrées, il est difficile de produire un cinéma d’animation pour adulte. On se rappelle des difficultés de Paul Grimault pour réaliser son chef d’œuvre Le roi et l’oiseau (1980), entre autres car son sujet sur la liberté allié à la poésie de Jacques Prévert s’accordait mal à être présenté à un public de bambins nourris à Disney. René Laloux, réalisateur de La planète sauvage, Les maîtres du temps et Gandahar, a dû pour ses trois long-métrages partir respectivement en Tchecoslovaquie, en Hongrie et en Corée du Nord. Même si le cinéma d’animation français s’est bien rattrapé depuis pas mal d’années, parvenant même à avoir un excellent niveau, il existe toujours cette difficulté rencontrée par les artistes pour sortir des œuvres des sentiers battus et qui ont le mérite d’exister.
Ambroise-JRCF
Sources :
« Unicorn Wars : Rencontre avec Alberto Vazquez », cloneweb, 23/06/2022.
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