« Cette contestation a été niée et réprimée de façon choquante. Et ce schéma de pouvoir dominateur de plus en plus décomplexé éclate dans plusieurs domaines. »
Ce sont ces mots qui ont fait polémique au dernier festival de Cannes. La personne qui tenait ces propos ? Justine Triet, la réalisatrice du long-métrage venant de recevoir la Palme d’or pour son film, Anatomie d’une chute, à propos des manifestations pour le retrait de la contre-réforme des retraites. On se souvient de la vague de soutien qu’a reçu la réalisatrice, mais aussi du petit mot de la ministre de la Culture pour essayer de défendre son tout puissant chef bien aimé. Nous apprécions sincèrement qu’une artiste prenne position en faveur de la défense de nos conquêtes sociales. Et franchement, nous ne doutons pas que, compte tenu du fort anti-macronisme dans la population française, si le film doit être un succès en salle, ce sera en partie grâce à ce discours. Cependant, le long-métrage de fiction, qui vient de sortir le 24 août, a-t-il tout de même une réelle valeur artistique, abstraction faite de la polémique ?
Le synopsis : Daniel, un garçon de 11 ans, est atteint de malvoyance. Alors qu’il revient d’une promenade avec son chien guide, il aperçoit le corps de son père, immobile dans la neige. Tout semble indiquer qu’il serait tombé de la fenêtre du grenier, et que cette chute aurait entraîné sa mort. Accident ? Suicide ? Très vite, les soupçons des enquêteurs se portent sur Sandra, épouse du défunt et mère de Daniel. En l’absence de témoin, la justice doit se pencher sur la vie du couple.
S’il y a un élément du film qui a été apprécié par la critique, c’est, d’une part, l’absence de tout jugement moral sur les personnages, aussi bien concernant l’épouse que le mari, et d’autre part, la description réaliste des problèmes d’un couplé miné par la jalousie et le ressentiment. La fiction ne cède pas à la facilité par laquelle le récit aurait pu se laisser prendre : ici, même si on peut la laisser supposer de la part de la femme sur son mari, il n’est pas question de violence conjugale. En l’occurence, nous n’avons affaire ni à une femme victime qui se venge de son bourreau, ni à un homme victime d’une sadique. A la place de ce lieu commun, nous voyons un couple lié par un amour réciproque mais dont les divers problèmes ainsi que les envies contraires provoquent des disputes. On notera, dans le cadre de cette démarche qui rejette toute forme de manichéisme, que Sandra, la femme, refuse pendant les 2h30 de salir la mémoire de son défunt époux.
L’histoire est rythmée comme une enquête lors d’un procès afin de s’approcher de la vérité. À titre personnel, j’apprécie qu’on nous montre des choses inhabituelles au cinéma, comme la reconstitution par la police d’une scène de crime, les tests ou les rapports médicaux légaux.
N’attendez pas de ce film qu’il vous révèle une vérité inébranlable sur ce qu’il s’est réellement passé lors de la chute mortelle, et c’est tant mieux. La réalisatrice nous fait vivre un procès et la difficulté d’arriver à établir la vérité. Car les éléments contradictoires et les différentes versions qui sont exposées permettent de mettre en lumière les petites difficultés du couple, mais pas de trancher véritablement sur la nature du décès (suicide, accident ou meurtre). En fait, tous les éléments cités peuvent donner lieu à des interprétations divergentes. Ils viennent même déformer la perception de la réalité existante en grossissant le trait. Cela m’a beaucoup fait penser au roman Le grand jamais d’Elsa Triolet où, à la mort d’un professeur, celui-ci est érigé en grand écrivain et penseur fervent croyant à cause de certains passages pris au hasard et de proches complaisants, au grand dam de sa veuve qui connaît réellement sa pensée et tente de préserver sa mémoire en rétablissant les faits.
Plusieurs scènes du film vont laisser le spectateur perplexe et le pousser à s’interroger sur la version à laquelle il va devoir croire. A un moment du procès, l’audio d’une dispute du couple passe et nous est rejouée par les acteurs : le mari et la femme commencent à se critiquer réciproquement concernant leurs insatisfactions jusqu’au moment où la colère éclate. L’image se coupe et nous ne faisons plus qu’entendre la scène. Et ce que nous entendons pourrait tout aussi bien être un acte de violence conjugale, soit de la part de l’homme, soit de la femme, ou le bruit d’un coup contre le mur. Le spectateur n’aura pas la satisfaction d’une réponse facile. Sans révéler le fin mot de l’histoire, cette mise en scène vise à nous faire épouser la perception et le dilemme de Daniel, le fils malvoyant qui assiste au procès et doit démêler les fils de l’affaire pour se faire son avis. En effet, il se souvient d’un événement important pour le procès, mais celui-ci est sujet à différentes interprétations. A cause de cet événement, Daniel devra choisir à quelle version il décide d’adhérer (le suicide ou le meurtre) afin de donner sens à cet événement.
Bref, si vous êtes amateurs de procès et d’enquêtes, de personnages ambigus et sans manichéisme, vous devriez apprécier Anatomie d’une chute, et nous ne pouvons que vous le recommander.
Ambroise-JRCF
0 commentaires