D’après Truffaut, Berri n’était pas un « cinéphile », mais un cinéaste qui « [puisait uniquement] à la source », « à la vie elle-même », c’est-à-dire dans ses origines, là où son père, immigré juif polonais et fourreur, votait communiste. Si son passé occupe une place si importante dans son œuvre, les sujets qu’il traite ne sont jamais « démodés », en un sens, d’un point de vue politique : un an après Maastricht, Germinal (1993), adapté du roman éponyme d’Émile Zola, ramène sur le devant de la scène des questions de lutte des classes : qu’est-ce qui a changé, entre cette époque si lointaine (XIXème siècle), et maintenant ? Comment la classe ouvrière va-t-elle subir les effets du traité de Maastricht ?
Une autre question nous vient à l’esprit : à qui Berri s’adresse-t-il en particulier ? La réponse nous est plus ou moins révélée, notamment par la distribution, dans laquelle on retrouve des vedettes populaires comme Renaud (petit-fils de mineur), connu pour sa sympathie à l’égard des opprimés, Depardieu, Miou-Miou, etc. ou encore l’outro, certes très académique, mais porteuse d’espoir, qui appelle « [l’]armée noire [et] vengeresse » (le prolétariat) à « faire éclater la terre » (syntagmes tirés de la dernière phrase de Germinal, lus en voix off par dessus le plan fixe d’un horizon teinté d’une aube engourdie).
Ce qui ne fait pas du tout du film un tract. Loin de là. Au contraire, il a tendance à rester à la surface des réels problèmes qui agitent les protagonistes – certains personnages, comme celui de Miou-Miou, en viennent à devenir des caricatures qui, par conséquent, peinent à donner du volume aux plans, souvent voulus très (trop?) dramatiques, comme celui où Maheude (jouée par Miou-Miou) découvre le cadavre de Catherine. Berri esquisse, par moments, la dialectique du risque de l’engagement politique d’une part (les mineurs feront grève) et de sa nécessité d’autre part, mais sans en dégager de nerf sensitif qui permettrait la création d’une quelconque tension. D’autant qu’en parallèle, l’évolution des relations sentimentales entre les personnages n’apparaît très souvent qu’en filigrane, offrant par moments des scènes assez saugrenues (on pense en particulier au triangle amoureux entre Catherine, Etienne et Chaval et à la relation entre Pierre et Cécile).
Néanmoins, Berri dévoile avec clarté la barricade qui oppose les bourgeois aux prolétaires : on est « invité » chez les uns comme chez les autres à voir le fossé qui les sépare, les met en conflit, avec une sympathie marquée envers la classe ouvrière dont la vie est généreusement présentée. Par ailleurs, la construction de ce fossé, visuellement, doit beaucoup à la photographie et aux costumes (inspirés par la peinture intimiste et réaliste de la fin du XIXème siècle), qui font, à leur manière, ressortir tantôt des chairs creusées par la mine noire, tantôt des blanches joues gonflées par de la brioche ; mais aussi, sur un autre plan, aux dialogues : les bourgeois et les prolétaires ayant des préoccupations bien différentes. « On pense autrement dans un palais que dans une chaumière. », disait Marx.
Mais l’élément principal qui creuse ce fossé est l’espace mis en scène : les bourgeois trônent aux étages de leur appartement, pendant que les prolétaires agonisent au fond des mines. Alors, pour un monde meilleur, sans classes, il faudrait en effet faire tomber ces premiers (comme le personnage du commerçant petit-bourgeois qui tombe d’un toit) avec les jaunes (Chaval finit dans la boue, roué de coups après avoir trahi la grève), et faire remonter ces derniers, déjà en « germination ». Deux ans après la sortie du film, la France connaîtra d’ailleurs de grandes manifestions pour le retrait d’une contre-réforme des retraites. Pourtant, chez Berri, cette « germination » est si glacée, si retenue, qu’elle donne l’impression de s’être dissipée (tel Etienne) dès son apparition.
Maxime-JRCF
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