Napoléon : à mort les biopics !

par | Déc 25, 2023 | Contre-culture | 0 commentaires

Napoléon : à mort les biopics !

 

 Vous avez sans doute entendu parler du dernier film de Ridley Scott sur Napoléon, suite aux différentes polémiques qu’il a suscitées. En cause, les nombreuses erreurs historiques du long-métrage, plus ou moins assumées par son réalisateur. Nous ne nous attarderons pas forcément sur l’ensemble des erreurs factuelles du film (et il y en a énormément), car après tout un film peut être bon sans être pour autant fidèle à la réalité, à l’instar d’Octobre de Sergei Eisenstein (1927). Par contre, la façon d’orienter les faits, réels ou inventés, sert à marquer idéologiquement le film, et c’est dans ce sens que nous les évoquerons.
 Avant de parler du long-métrage, rappelons à quel genre il appartient : le biopic. Il s’agit grosso modo d’un film biographique sur un individu qui a réellement existé, soit dans sa globalité (comme c’est le cas de Napoléon), soit consacré à un événement particulier de son existence (comme le film Danton de 1983). Les principaux événements historiques et les phénomènes sociaux vont être subordonnés au récit de son existence. Par principe, il y a donc une forme de subjectivisme poussé à outrance. Malgré tout, on peut faire varier la façon de traiter un personnage dans un biopic. Il existe cependant depuis quelques années un modèle type de biopic imposé par Hollywood auquel le film de Ridley Scott se conforme totalement.
 Évacuons tout de suite trois éléments de notre critique avant d’entrer dans le vif du sujet. Tout d’abord, et cela m’est personnel, le jeu outrancier de Joaquin Phoenix, même s’il sert totalement le propos de son réalisateur, est tout simplement insupportable pendant les 2h40 du film. Ensuite, il y a beaucoup trop d’insistance sur la romance entre Bonaparte et Joséphine sa première épouse, quitte à en faire un moteur sans doute trop important pour expliquer les agissements de Napoléon. On saura gré par contre d’avoir rendu épiques les scènes de batailles et de montrer certaines stratégies utilisées pour remporter la victoire.
 Concernant l’aspect idéologique du film, il est, pour faire simple, une apologie déguisée de la monarchie constitutionnelle anglaise. Les premiers panneaux du film viennent dire que la Révolution française a été provoquée par la misère… mais a recréé la misère ! Le personnage de Robespierre y est peu présent mais caricatural. La seule révolte montrée suite à Thermidor, c’est une révolte des monarchistes, qui est matée dans le sang par Napoléon. Quid de ce dernier ? Eh bien, Ridley Scott lui fait assister, contrairement à la réalité historique, à l’exécution de Marie-Antoinette en introduction. Cette scène d’horreur est là pour servir le bon vieux narratif de « la barbarie révolutionnaire » dont Napoléon ne serait que le continuateur, faisant un lien entre la Terreur et le règne du premier Empire. Homme fort et mégalomane, c’est un archétype du « dictateur totalitaire », un bourgeois mal éduqué qui manque de manières avec les princes d’Europe. Dans le but d’en rajouter sur sa monstruosité, il est donné à la fin du film le nombre de morts causés par ses batailles. Cependant dans ces batailles, nous avons celle de Toulon, au moment de la Terreur et non lors du consulat ou de l’empire, donc hors du règne temporel de Napoléon. Cet élément, loin d’être un simple hors sujet, a pour but de salir encore davantage la Révolution française dont la barbarie aurait donné naissance au régime de Bonaparte. Bien sûr, en faisant fi du contexte politique de l’époque, et sans évoquer le nombre de morts causés par les autres monarques en guerre à la même période.
 Ce n’est pas le choix de mise en scène qui nous permettra de comprendre le rôle réel de Napoléon, ni en quoi il continue effectivement la Révolution française. Dans la liste de ses crimes, il est assez étonnant de constater que le film ne parle pas de la restauration de l’esclavage. Peut-être parce qu’il ne faut pas dire que ce sont les révolutionnaires qui, en 1794, l’avaient aboli une première fois ?
 En-dehors de l’aspect idéologique de la mise en scène, cette dernière elle-même est désastreuse. Nous avons droit à tous les clichés liés à ce type de film sauce yankee : des scènes de sexe inutiles, une insistance grossière sur la vie amoureuse, des répliques clichées visant à assombrir ou humaniser le personnage, l’absence d’explications concernant le contexte social et politique de l’époque, etc. Ce film n’est qu’une énième représentation mythologique de l’histoire des « grands hommes » qui semblent imprimer comme par magie leur image au monde (je dis par magie car tous les éléments de contexte expliquant le choix de la bourgeoisie triomphante de soutenir Bonaparte sont absents).
 Pour bien comprendre en quoi cette façon de faire est problématique en ce qui concerne le versant politique et artistique d’une œuvre, je peux simplement vous montrer ce que cela donnerait en ne prenant pas Napoléon mais un personnage fort connu de l’histoire du communisme : Lénine. Si j’étais un réalisateur comme Scott ou Nolan (réalisateur du biopic Oppenheimer), je prendrais bien soin de parler de l’exécution du frère de Lénine lors de son coup d’Etat manqué contre le tsar et de la haine qu’elle provoque chez le jeune homme. Afin de donner de la profondeur à Lénine, j’inventerais une ou deux histoires de toutes pièces, par exemple, celle d’un Lénine voulant tuer un membre de l’aristocratie russe par vengeance avant d’en être empêché. Je raconterai sa rencontre avec Kroupskaïa, mais j’insisterai surtout sur la romance malheureuse avec Inès Armand, puis sur la tristesse infinie et inconsolable de Lénine à la mort de cette dernière. Je montrerai sans doute Lénine dans ses moments de doute et dans des agressions verbales envers les mencheviks. Bien sûr, on reflétera au mieux les évènements de 1917, en insistant sur une révolution qui va être trahie. On parlera enfin d’un Lénine dont les méthodes sont déjà dictatoriales et on montrera sa crainte de son continuateur et monstre Staline, avant de mourir dans le regret de ses actions.
 Cette version, inspirée par les récents biopics, permet-elle de comprendre en quoi que ce soit le rôle historique de Lénine ? Permet-elle de comprendre son combat de toujours pour la création d’un parti centralisé (fondé essentiellement sur sa pratique militante) et discipliné en opposition aux thèses des mencheviks ? Est-ce qu’elle permet de comprendre pourquoi Lénine considérait que la Révolution russe était possible malgré le manque de développement du capitalisme en Russie ? Permet-elle alors de comprendre sa critique novatrice de l’impérialisme ? Son insistance sur la nécessité de la dictature du prolétariat ? Permet-elle alors de comprendre le bouleversement réel qu’a provoqué la Révolution bolchevique dans le monde ? Non dans tous les cas. Est-ce que ce format est intéressant politiquement ? Non, nous venons de le démontrer, car il ne permet pas de comprendre les enjeux. Est-ce qu’il est pertinent d’un point de vue artistique ? Rien n’est moins sûr…

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