Contre la guerre, le post apocalyptique

par | Juil 6, 2024 | Contre-culture | 0 commentaires

La science-fiction est l’étude fictive du progrès technique, de ce que la science ou l’avenir pourrait produire. Ce genre s’est décliné en de multiples formes, exprimant chacune des problématiques diverses sur notre rapport au monde et à l’avenir. Cependant, le genre ne souhaite pas faire des prémonitions sur notre futur, il ne s’agit que d’un prétexte ou d’un effet esthétique. Tout œuvre est politique, et s’interroger sur les potentiels dérivations de notre industrie, science ou technologie consiste en réalité à s’interroger sur la place qu’ils occupent aujourd’hui. La dystopie, par exemple, se saisit de certaines caractéristiques modernes, qu’elle va tirer à l’extrême pour nous proposer non pas un futur potentiel, mais une réflexion sur ces caractéristiques au sein d’une société fictive. Une myriade de sous genres ont émergé de la science-fiction, chacun développant ses propres thèmes et questionnements.


L’auteur de Frankenstein publie en 1826 ce que nous pourrions considérer comme l’un des premiers romans post-apocalyptiques : The Last Man, où nous suivons un groupe de survivants d’une peste ayant tué la quasi-totalité de la population. A ces débuts, le genre se structura autour d’éléments extérieurs pouvant mener à la destruction de l’humanité ; que nous pourrions rapprocher de l’épisode du Déluge de la Bible, où Dieu souhaite recommencer sa création en se débarrassant d’une humanité corrompue. Mais au XXe siècle, la tendance s’inversa, l’intensification de l’industrie de guerre et les progrès techniques ouvrent une nouvelle porte de l’imaginaire, tandis que l’athéisme se répandait. Ne sommes-nous pas la cause de notre propre damnation ? Nous pourrions nous auto détruire…

Le genre ne s’attarde bien souvent que très peu sur les raisons de la destruction de l’humanité. Dans certaines œuvres cela est évoqué, dans d’autres non, mais ces raisons ne sont toujours qu’un élément du genre qui cherche bien plus à explorer les conséquences que les causes de la fin de l’humanité. Au XXe siècle, la question de la punition divine n’existe plus, seule l’extermination volontaire ou non de l’humanité est explorée. Tout est bon, apocalypse nucléaire comme dans la Jetée ou attentat biologique dans L’armée des douze singes de Terry Gilliam. Ces deux œuvres explorent les conséquences de l’apocalypse grâce à la redécouverte de ce que l’humanité a perdue par l’extermination de notre milieu de vie, créant un effet tragique très fort. Les personnages sont des métonymies de l’humanité tout entière, condamnée à subir les conséquences éternelles de ce qu’elle a commis. Le genre du post apocalyptique parce qu’il traite d’événement ayant conduit à la fin de l’humanité porte nécessairement en lui une visée tragique. Sans retour en arrière, les personnages nourrissent très souvent que très peu d’espoir au milieu de territoires complètement désordonnés et d’une humanité disparue. Que deviendrons-nous lorsqu’il n’y aura plus rien ?

La sortie de Mad Max : Furiosa et de la série Fallout nous donne l’occasion d’étudier l’évolution contemporaine de ce genre à la teneur anti-système. Mad Max de Georges Miller a redéfini le genre du post apocalyptique à travers une première trilogie dans les 80, nous décrivant la lente agonie d’une société disloquée et violente, et qui finira par s’autodétruire dans une guerre nucléaire. La série posera autant de codes esthétiques punk que de problématiques qui traverseront toute l’histoire du genre. Fallout quant à lui s’inscrit dans l’imaginaire apocalyptique des années 50, où l’atome fascine et angoisse, les deux blocs auraient cédé à la tentation de l’autodestruction. Le jeu est une RPG en semi tour par tour et se déroule aux Etats-Unis, 100 ans après une catastrophe fictive qui aurait eu lieu dans les années 50. Nous jouons le descendant d’une famille riche ayant pu s’acheter une place dans un abri atomique de haute qualité, avec pour mission première de repeupler la planète une fois les retombées radioactives disparues. Cette atmosphère de découverte d’un nouveau monde né des cendres de la société disparue à grandement participé au succès de Fallout. Black Isle studio sortie une suite qui eut elle aussi un grand succès, avant d’être racheté par Bethesda qui continue la série mais avec un autre ton. L’uchronie n’était plus le moyen d’explorer une esthétique apocalyptique mais de créer un décalage loufoque et amusant. Avec Bethesda la série a perdu son ambiance étrange et sa violence omniprésente pour devenir un jeu défouloir et bac à sable amusant. L’univers du jeu a eu récemment une adaptation en série par Amazon. La sortie de Mad Max : Furiosa et de la série Fallout nous donne l’occasion de nous pencher un peu plus sur le traitement contemporain du genre, dans une période de tension et de marche à la guerre…

Après son succès critique, Mad Max : Fury Road ne pouvait que présager qu’une nouvelle réussite pour sa suite, tandis que le ton décalé et le mercantilisme latent derrière la production de la série Fallout ne pouvait donner qu’une œuvre insipide. Il suffit de comparer le traitement de l’action dans ces deux œuvres pour immédiatement comprendre le problème. Dans Fury Road et Furiosa l’action est par moment légèrement accéléré, et donne un sentiment de puissance et de rapidité à chaque scène. L’intensité des scènes d’action n’en est que plus grande, ajouter un caractère chaotique et dangereux à chaque confrontation, le sentiment d’apocalypse et de fragile ordre nouveau n’en est que renforcé. L’image devient un enchainement de course poursuite chaotique au milieu des explosions, des coups de feu et de poings. La mise en scène et le travail de l’image épousent les relations entre les personnages au service d’une narration qui n’a pas besoin de dialogue. Dans Fallout, c’est l’inverse. La mise en scène est grassouillette, explicitant ce que dise déjà les personnages ou en utilisant des procédés déjà vu et revu. L’action est traitée à l’exact opposé de Mad Max : tout est au ralentie, un effet kitsch des plus soporifique. Cela crée une sensation de longueur et de vide, mettant l’emphase sur la médiocrité des chorégraphies. Les scènes sont vidées de toute tension pour donner un effet « cool ».


L’action est centrale dans ce type de divertissement, elle est au cœur même du projet. Georges Miller l’avait bien compris dans Fury Road, le scénario est réduit au minimum, peu de dialogues et un travail minutieux de la mise en scène des scènes d’action. Furiosa nous présente un scénario plus fourni mais à la structure classique permettant une jonction entre chaque moment de violence, qu’il soit au cours de l’action ou par des actes atroces dans un monde vidé de toute vie. Un divertissement fort, mais qui ne se limite pas à cela. Le film se base sur un espoir, une envie d’autre chose, de ne pas se réduire à être que l’ombre de nous même pour l’éternité. Le post apo s’intrique parfaitement dans les scènes d’action où la violence devient obligatoire pour survivre permettant un constat entre les personnages, ceux qui s’en accommode, et ceux espère encore autre chose. La formule est légèrement différente dans Furiosa, un chapitrage, plusieurs personnages, une présentation géographique et politique de l’univers que nous avions vu dans le précédent opus. Georges Miller semble vouloir donner du relief à son récit, créer un ensemble cohérent dans lequel exprimé sa vision, notamment autour de l’entraide, centrale dans les deux films.

Le problème de la série Fallout, bien qu’elle essaye d’aborder le genre et de construire des éléments narratifs intéressants entre les personnages, reste le même que toutes les grosses productions : une absence de subtilité. Comme nous le disions avec les ralenties, la mise en scène est grossière, mais l’écriture aussi est mauvaise. Nous retrouvons tous les mauvais côtés des productions américaines contemporaines depuis Marvel : une fausse violence aseptisée qui sera désamorcée par des touches d’humour, ou des effets des voulant « cool » ou maladroitement spectaculaire. L’émotion s’en retrouve vidé de toute force, comparée à Furiosa où la violence physique est omniprésente, à la fois dans les combats, que dans les tortures, ou bien la corruption de l’humanité elle-même, qui transforme les corps. La série est bien à l’image des derniers jeux Fallout, depuis le rachat par Bethesda, qui sont devenu des grosses productions type Hollywoodienne en version jeu vidéo. Le développement du jeu Fallout 4 a coûté 150 millions de dollars, nous sommes bien sur le même ordre de grandeur que les autres grandes productions cinématographiques. Ainsi, la série Fallout a une double casquette de blockbuster, adaptation d’une grosse production vidéoludique en une grosse production cinématographique. Le projet dès l’origine est de faire de l’argent à partir de la communauté de fans du jeu par translation d’un média vers un autre. Les multiples adaptations de jeu vidéo en film ou série ont toujours été des navets car les projets n’avaient aucune structure, aucune motivation, avec surtout une absence d’auteur et de travail artistique. Ainsi, Fallout essaye de sortir de cet écueil en nous proposant une adaptation hollywoodienne, avec des scénaristes et un travail sur l’univers fictif du jeu. Au-delà de ce divertissement, peut être sympathique pour certain, la pauvreté de l’écriture et de la mise en scène détruit tout travail sur le genre du post apo ou du médium cinématographique, recréant un effet de bac à sable narratif, comme dans les jeux. Furiosa par son traitement de l’environnement, de l’action, le rapport de survie constant des personnages, parfois à la limite du cauchemardesque, nous ramène à l’essentiel des notions humaines d’entraide et d’émotivité. La nouvelle Saga Mad Max est une lutte constante contre la mort et la fatalité d’un exterminisme de l’humanité par des affrontements d’une violence extrême. L’espoir semble avoir disparu en même temps que les arbres, les oiseaux et l’eau ; des symboliques redéployer justement dans l’œuvre.
Le post apo est autant une expérience de pensée qu’une projection sur l’avenir de l’humanité, une critique de la guerre et de la violence qui nous aspirent dans une spirale interminable jusqu’à notre propre extinction. Mad Max nous offre à la fois un divertissement de qualité de par son intensité et son travail cinématographique tandis que Fallout nous propose un bac à sable amusant où les éléments violents sont rapidement désamorcés par des effets cools ou de l’humour pour ne pas choquer le spectateur. Ce manque de relief, de profondeur dans le traitement du genre nous fait prendre ses thèmes à la légère, une sorte d’endormissement, comme si les conséquences de la guerre nucléaire n’étaient finalement pas si graves, voire qu’elles étaient amusantes…

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