Depuis une vingtaine d’année, l’entreprise Duralex est en difficulté financière. Ses salariés se sont longtemps battus pour maintenir le navire à flot, grâce à l’aide des syndicats, et leur bataille n’aura pas été vaine. Avec la reprise de Duralex en Scop, les salariés réussissent à conserver tous les emplois de l’entreprise et reprennent la main sur leur outil de travail. Les difficultés financières qu’ils ont traversées sont communes à beaucoup de grandes entreprises françaises. Duralex a subi de plein fouet l’exigence de rentabilité imposée par la grande bourgeoisie internationale. Le chef d’entreprise qui possède son entreprise, gère la production réalisée par les salariés afin de faire du profit. Pour ça il essaie de réduire au maximum le coût des marchandises afin d’augmenter sa marge, c’est-à-dire la différence entre les coûts et les prix de production (1) . Mais par coûts de production, il n’entend pas seulement le coût des matières premières, des locaux, de l’énergie, il considère également les salariés comme des coûts à réduire. Alors, en diminuant de la part de la valeur ajoutée attribuée aux salaires, il diminue ses coûts de production et fait des économies sur le dos des travailleurs.
Dans le stade actuel de circulation des capitaux et des travailleurs, la grande bourgeoisie peut employer et payer moins cher des ouvriers d’autres nationalités, suivant la législation de leur Etat, pour échapper aux législations trop contraignantes comme le code du travail français. L’Union européenne veille à bien appliquer la doctrine néolibérale telle que la pensait Hayek, à savoir un aménagement du capitalisme créant un environnement propice à l’afflux des mouvements de capitaux par la dérégulation des marchés, la réduction du rôle de l’État, des dépenses publiques et de la fiscalité, la privatisation des entreprises publiques et l’abaissement du coût du travail. Pour détruire les droits sociaux et provoquer cette logique du « dumping social », Hayek souhaitait qu’une fédération d’États, notamment en Europe, consacre l’économie capitaliste avec les traités européens qui constitutionnalisent le marché et le libre-échange. Pour lui, l’État-nation était un obstacle central pour cette réalisation et la fédération d’États un moyen de le contourner en abandonnant leur souveraineté à cette entité supranationale. L’UE quant à elle, facilite la circulation des capitaux et permet aux capitalistes de s’installer au gré des critères de profitabilité (2) .
La mise en concurrence des travailleurs européens et mondiaux n’est pas la seule cause de la menace qui pèse sur les entreprises françaises comme Duralex. Il y a également la diminution de la qualité des produits qui rentre en jeu. Cherchant à augmenter leur marge, les capitalistes utilisent « la main d’œuvre bon marché » à l’étranger mais incitent également leur personnel politique à « flexibiliser » l’emploi des travailleurs en France. Dans la logique de diminution des coûts de production, les salariés représentent la variable d’ajustement, tant sur les horaires de travail (par l’annualisation du temps de travail par exemple) que sur les tâches (polyvalence) et que sur les contrats de travail (multiplication des CDD, des intérims). Du fait de l’acharnement de la grande bourgeoisie à dépolitiser les travailleurs, les jeunes sont souvent les premières victimes de ces méthodes de précarisation des conditions de travail. L’État français et l’UE, en subventionnant des secteurs d’activité incapables de construire une compétitivité fondée sur la qualité des produits et des services et non sur la baisse des salaires, ont tiré la qualité des productions françaises vers le bas et réduit la capacité à produire et exporter des biens et des services de qualité (3) .
Ainsi, les entreprises françaises comme Duralex, soumises aux règles du Code du travail, ne sont souvent pas assez compétitives, et sont contraintes de fermer ou délocaliser. À Duralex se sont succédés quatre propriétaires, deux redressements judiciaires et une faillite en 2008. L’augmentation des coûts de l’énergie ne l’a pas épargnée ; elle a subi deux redressements judiciaires depuis la crise du covid. L’un en septembre 2020, et l’autre deux ans plus tard. Elle a ensuite été immobilisée par un arrêt temporaire de la production et 5 mois de chômage partiel du 1er novembre au 31 mars 2023. Les quelque 15 millions d’euros d’aide de l’État pour sortir l’entreprise de la crise n’ont visiblement pas suffi. En avril 2024, l’entreprise est déclarée en redressement judiciaire (4) . En 2023, le chiffre d’affaires de New Duralex International n’était que de 24,6 millions d’euros, contre 31 millions en 2022. Selon Suliman El Moussaoui, conducteur de machine pour la verrerie depuis dix-sept ans et délégué syndical CFDT, la chute du chiffre d’affaires ne peut pas être expliquée que par l’inflation : « Le fonctionnement de l’usine est chaotique depuis vingt ans. Chaque repreneur pensait à son intérêt propre et pas à celui de Duralex, assure-t-il. Et au niveau commercial, les directions successives sont restées sur leurs acquis sans chercher à innover vraiment. ». Pour maintenir son activité, les propriétaires de Duralex ont fait comme tout bon capitaliste, à savoir utiliser les salariés comme variable d’ajustement. De 1 400 salariés dans les années 1970, ils ne sont plus que 230 aujourd’hui sur le seul site de la marque, mettant des familles dans de grandes difficultés financières, et diminuant les possibilités de formations professionnelles pour les jeunes travailleurs (5) .
Le projet de Scop présenté au tribunal de commerce d’Orléans, était le seul projet de reprise qui permettait à tous les salariés de garder leur emploi. En juillet dernier, les salariés avaient déjà levé 60 000 euros. Compte tenu du maintien des travailleurs dans la précarité par la grande bourgeoisie, c’est déjà beaucoup, surtout pour les jeunes travailleurs qui n’ont pas pu épargner ou qui ont souvent déjà contracté un prêt personnel, mais c’est loin d’être suffisant pour obtenir des prêts de la part des banques et se positionner comme racheteurs potentiels de la verrerie. Alors, la région Centre-Val-de-Loire a accordé une avance remboursable de 1 million d’euros et a apporté, en participation, l’équivalent des sommes mises sur la table par les salariés. Les garanties aux prêts bancaires ont été fournies par la Banque publique d’investissement. La métropole d’Orléans, elle, s’est engagée à racheter le foncier, qu’elle louera à la Scop en attendant qu’elle puisse le reprendre. Le coût est évalué entre 5 et 7 millions d’euros (6) .
Mais les militants CGT restent méfiants. Le projet de Scop ayant été proposé par la direction, et soutenu par les pouvoirs publics, des questions se posent sur leur sincérité et la durabilité de leur aide. Si la marque n’a jamais disparu, c’est grâce à la mobilisation continue de ses salariés avec l’aide des syndicats, par l’action de ses élus et ses militants actifs comme retraités qui n’ont jamais manqué un rendez-vous et ont toujours été force de propositions pour pérenniser la production française du verre sur le site de La Chapelle-St-Mesmin. Aux salariés de reprendre la main sur leur outil de travail, pour organiser la production qu’eux seuls peuvent réaliser et dont eux seuls doivent récolter les fruits. Nous devons nous réjouir de la reprise de leur outil de travail par les salariés, et exiger que l’exemple de Duralex ne soit pas un exemple isolé, mais que l’ensemble des travailleurs de France reprenne le pouvoir sur la production. Exigeons une nationalisation des grandes entreprises des secteurs stratégiques et continuons la lutte pour la socialisation générale des moyens de production. Le seul avenir que nous voulons laisser aux jeunes travailleurs est le travail émancipé, la possibilité de se former sereinement et de participer à une production d’utilité sociale.
1. Moro D. La crise du capitalisme, abrégé du Capital rapporté au XXIe siècle. Éditions Delga. Éditions Delga; 2018. 288 p.
2. Latteur N. Le dumping social et les travailleurs des entreprises de travail adapté (ETA). 2015;
3. CFE-CGC Le syndicat de l’encadrement [Internet]. [cité 1 sept 2024]. « Les stratégies de réduction des coûts ont dévalorisé le travail ». Disponible sur: https://www.cfecgc.org/actualites/les-
strategies-de-reduction-des-couts-ont-devalorise-le-travail
4. Duralex : les repreneurs ont jusqu’au 28 juin pour présenter une offre – La Vie Ouvrière [Internet]. [cité 1 sept 2024]. Disponible sur: https://nvo.fr/duralex-les-repreneurs-ont-jusquau-28-juin-pour-presenter-une-offre/
5. COMMUNIQUE DE PRESSE : DURALEX, 6 MOIS POUR TROUVER UNE SOLUTION – La CGT Verre & Céramique [Internet]. [cité 1 sept 2024]. Disponible sur: https://www.verreceram-cgt.fr/communique-de-presse-duralex-6-mois-pour-trouver-une-solution/
6. Zerouali K. Mediapart. 2024 [cité 1 sept 2024]. Une coopérative pour sauver Duralex. Disponible
sur: https://www.mediapart.fr/journal/economie-et-social/250724/une-cooperative-pour-sauver-duralex
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