Le Mouvement jeunes communistes de France demeure la principale organisation des jeunes se voulant communistes dans notre pays. La période récente, marquée par l’accession de Fabien Roussel à la direction du PCF et de Léon Deffontaines puis Assan Lakehoul à la tête de son organisation de jeunesse, a vu l’émergence de nouvelles contestations en interne, clairement orientées à gauche, poussant la direction et les militants du mouvement à adopter un double discours sur l’indépendance et le caractère marxiste-léniniste du mouvement.
Les militants de la renaissance communiste ne peuvent plus se contenter d’observer en silence : il est temps de se poser les bonnes questions. Que reste-t-il à sauver dans le MJCF ? Peut-on encore en tirer quelque chose pour le combat révolutionnaire ou faut-il, tout simplement, tourner la page ?
Le Mouvement jeunes communistes de France en 2024
Sur son site internet, le MJCF se présente comme « une organisation politique de jeunes, fondée le 1er novembre 1920, qui compte aujourd’hui des milliers d’adhérent·e·s sur toute la France. » Ce propos est à nuancer. En effet, au congrès de Paris de janvier 2019 le MJCF comptait très exactement 1517 adhérents, tout en annonçant fièrement depuis 2016 le chiffre de quinze mille adhérents sur ses cartes de membre. Devant cet écart, l’organisation a pris la décision ne n’annoncer que « des milliers » de jeunes, mention toujours mensongère mais plus difficilement attaquable grâce au flou artistique savamment entretenu. Concernant la couverture territoriale, une carte interactive, depuis retirée du site du mouvement, permettait de constater le contraire : de nombreux départements n’étaient reliés qu’à l’adresse nationale du mouvement. Le MJCF a, paraît-il, multiplié par deux son nombre de fédérations depuis. Nous en dirons quelques mots plus bas.
Le mouvement affirme également son caractère d’« organisation par, pour et avec les jeunes qui constitue une porte d’entrée pour l’engagement politique. Il s’agit d’une organisation indépendante, qui permet la formation de ses adhérents et des adhérentes. » tout en rappelant que « Le MJCF travaille en complémentarité avec le Parti communiste français dans la poursuite de ses objectifs propres et de son indépendance. ». Ce point mérite d’être développé tant il prête à confusion.
L’indépendance du MJCF
De nombreux éléments concrets permettent de douter de l’indépendance proclamée du MJCF : alignement systématique sur la ligne générale du PCF telle qu’elle s’exprime dans sa propagande, soutien et participation de fait aux campagnes et alliances électorales conclues par ce dernier, partage systématique et gracieux de locaux, transferts réguliers de militants et de cadres, double encartage, etc. Tout le monde le sait (hormis quelques aveugles volontaires), le MJCF est le mouvement de jeunesse du PCF.
Mais revenons aux textes. Le MJCF est-il oui ou non selon eux une organisation indépendante ?
Une indépendance statutaire.
Il convient de souligner que les statuts d’une organisation constituent un élément éminemment concret, ce document servant de base à d’éventuelles actions en justice en cas de conflit, comme nous avons pu récemment l’observer lors de la polémique LR-Ciotti. La division entre bolchéviks et menchéviks ne s’est-elle pas cristallisée autour de questions statutaires ? Ce rappel effectué, comparons les dispositions prises par les « deux » organisations, PCF et MJCF, dans leurs textes fondamentaux. Selon le PCF, qui dédie un article entier de son premier chapitre portant sur « L’activité des communistes » aux rapports entre « Le Parti et le Mouvement jeunes communistes de France », ledit mouvement est « un atout irremplaçable » pour « la rencontre entre les jeunes et le Parti communiste français ». Le lecteur admettra qu’aux jeux de cartes, un atout qu’on a pas dans sa main perd rapidement son intérêt… De son côté, le MJCF se montre bien plus avare. Ses statuts ne mentionnent qu’une seule fois la « complémentarité » avec le PCF, en précisant plus haut que le mouvement « bénéficie d’une totale indépendance politique et d’organisation ». Pour sa part, PCF souligne bel et bien l’« indépendance d’organisation » du MJCF mais il rappelle rapidement son « partenariat avec le Parti » et ses « liens de complicité, d’écoute, d’échange à égalité, de construction politique commune ». De telles affirmations inconditionnelles seraient tout bonnement irresponsables sans de très solides garanties politiques. A-t-on déjà vu un complice indépendant ou une construction sans fondations ? Les fondations du MJCF, sa base matérielle concrète d’existence, la voici : « Le Parti communiste français, ses instances, notamment le Conseil national et les Conseils départementaux aident à promouvoir son développement et son activité dans le respect de ses orientations nationales et de sa prise d’initiatives ». En clair, le MJCF existe parce que le PCF le veut bien, qu’il lui fournit ses locaux, ses imprimeries, son carnet d’adresses, ses permanents via des emplois semi-fictifs d’assistants parlementaires, de pions et autres chargés de missions municipaux. L’indépendance de forme et de discours n’est pas une indépendance de fond.
Une organisation de jeunesse communiste doit-elle être indépendante ?
Bien qu’aucune mention n’en soit faite dans ses statuts (certes datés du 42ème), le texte du 43ème congrès du MJCF affirme son appartenance au « courant politique historique » marxiste-léniniste. C’est par là même qu’il prétend se différencier du PCF et c’est ce trésor que son « indépendance » politique est supposée garder. Mais qu’en pense Lénine ? Ce dernier, qui a toujours rejeté la phraséologie révolutionnaire au profit de la conscientisation réelle des masses sur la base de la pratique concrète soulignait il y a déjà plus d’un siècle que « la jeunesse communiste doit être le mouvement de jeunesse du parti communiste, et non le Parti communiste de la jeunesse ». Nous ne nions pas que les organisations de jeunesses ont leurs besoins et leur modes d’action propres, qu’elle doivent jouir d’une certaine autonomie organisationnelle précisément pour être à même de toucher les larges masses de la jeunesse travailleuse, mais cela ne peut se faire que sous la direction et avec l’aide expérimentée d’un véritable parti communiste, lui aussi inspiré par le marxisme léninisme. Ainsi, nous faisons notre ces mots de Georges Dimitrov : « Leur faiblesse fondamentale [des organisations je jeunesse communiste] consiste en ce qu’elles s’efforcent encore de copier les Partis communistes, leurs formes et leurs méthodes de travail, oubliant que la Jeunesse communiste n’est pas le Parti communiste de la jeunesse. Elles ne tiennent pas suffisamment compte du fait qu’il s’agit d’une organisation avec ses tâches particulières bien à elle. Ses méthodes et ses formes de travail, d’éducation et de lutte doivent être adaptées au niveau concret et aux aspirations de la jeunesse. » Ainsi, la question de l’indépendance du mouvement de jeunesse communiste doit être traitée dialectiquement : sans autonomie, pas de développement d’un mouvement de jeunesse fort, mais sans la direction politique d’un Parti communiste, pas de mouvement de jeunesse fort nonplus. Or, que nous assène-t-on dès qu’une contradiction est pointée entre les orientations théoriques du MJCF et les orientations théoriques et pratiques du PCF ? « Nous sommes indépendants ! Rien à voir avec telle ou telle position réformiste du PC ! » Cette attitude, un peu enfantine et facile est irresponsable. Elle déresponsabilise les jeunes communistes en instaurant un double langage adhésion-détachement vis-à-vis du PCF empêchant de facto toute critique réelle de ce dernier (pour quoi faire ? Le PC c’est le PC et la JC est sur la « bonne » ligne) et donc toute construction réelle d’une organisation révolutionnaire. Où vont-ils militer tous ces « JC » à trente ans passés ? Au PCF réformiste irréformable depuis des décennies ou au Parti communiste imaginaire qui serait, comme supposément le MJCF, pour le marxisme-léninisme, la sortie des alliances impérialiste UE-OTAN, etc. ? Chacun connait la suite : les petits bourgeois feront carrière dans l’appareil du PCF et les jeunes travailleurs, dégoutés, retourneront dans la nature ou se contenteront de prendre une carte de sympathie à la CGT.
Trajectoires des secrétaires généraux
Un des aspects les plus évocateurs et les plus aisément vérifiables par tout un chacun du rôle réel du MJCF est la trajectoire suivie par ses secrétaires généraux après leur départ du mouvement.
Procédons par ordre chronologique. La très transparente Camille Lainé, secrétaire générale du mouvement de 2016 à 2019 , semble avoir disparu de la scène politique au point que l’Humanité ne lui ait pas consacré un seul article ou entretien depuis la fin de son mandat. Disparue ? Pas tant que cela : elle a intégré en 2023 l’organe exécutif suprême du PCF, le Comité Exécutif national, en tant que responsable de la « Jeunesse ».
Son célèbre successeur, le picard Léon Deffontaines, n’est pas en reste : porte-parole n°1 de Fabien Roussel durant la campagne présidentielle de 2022 alors qu’il est encore secrétaire général en titre, il est ensuite propulsé tête de liste du PCF pour les élections européennes de 2024. Faut-il rappeler que c’est lors du 42ème congrès du MJCF l’ayant élu que le mouvement s’est prononcé timidement pour la sortie de l’Union Européenne ?
Le 43ème congrès, bien que plus « radical » dans ses thèses que ceux l’ayant précédé, a placé Assan Lakehoul, militant de longue date du MJCF de la Haute-Garonne, à la tête de l’organisation. Si l’on en croit le passage quasi-hebdomadaires de ce dernier sur CNEWS et sa dénonciation tiède des exactions perpétrée en Palestine, on ne peut que lui prédire un avenir politique radieux ! Il serait temps pour les jeunes communistes de se demander pourquoi leur organisation si pure et révolutionnaire n’est pas capable d’accoucher d’autre chose que de dirigeants opportunistes jusqu’au trognon, étrangement toujours alignés à 100% sur la direction réformiste du PCF.
La composition du MJCF.
La MJCF, dans sa composition est assez hétérogène. Divers courants et cercles informels le traversent et chaque militant se construit mentalement une organisation « à la carte » en fonction de ses aspiration et de son environnement immédiat. Concernant les aspects sociologiques, il est difficile d’affirmer quoi que ce soit, le mouvement ne publiant aucune statistique à ce sujet, y compris concernant son exécutif national dont la composition n’est pas publique. Cela dit, si l’on s’en réfère aux éléments les plus visibles, il semblerait qu’en dépit de l’inactivité quasi-totale de l’UEC sa composition soit principalement, sinon majoritairement étudiante.
Cadres et militants du MJCF
Prenons le parti de nous intéresser aux cadres du mouvement, militants les plus impliqués et a priori représentatifs de l’organisation. On peut en distinguer, en grossissant le trait, trois types.
Le premier, le plus visible, est le cadre opportuniste, dont nous avons déjà dressé un portrait plus haut à travers les brillants débuts de carrière des derniers secrétaires généraux du mouvement. Il se caractérise par une capacité impressionnante à changer de point de vue à l’instant où il setrouve sur un plateau de télévision et par une certaine déconnexion de la base de l’organisation, à laquelle il préfère le PCF, meilleur outil d’ascension politique. On trouve ce type de personnage dans l’ensemble des organisations politiques, associatives ou économiques, il n’est donc pas nécessaire de nous attarder sur ce point.
Le second type, souvent confondu à tort avec le premier est le cadre dit « lignard ». Si c’est également une véritable girouette, passée du laurentisme au rousselisme en un clin d’œil, il n’agit pas par intérêt personnel et est un militant sincère. Souvent écarté des responsabilité les plus prestigieuses et les plus visibles, il est persuadé que Lénine aurait voté Brossat aux
européennes de 2019 plutôt que de tenter d’organiser le mouvement des Gilets Jaunes et finira probablement secrétaire d’une petite fédération, voir même responsable national à la formation du PCF. Les exemples ne manquent pas. Souvent attaché aux questions théoriques, il perd un temps fou à essayer de faire correspondre les textes de Marx, Lénine ou Staline avec la ligne du PCF en matière d’envoi d’armes « défensives » (sic) au régime de Kiev dans un concordisme abscons. Comme la majorité des militants, il s’est auto-persuadé que son organisation est communiste puisque c’est écrit dessus (et qu’il n’y a, paraît-il, rien d’autre) et est avant tout attaché à son passé glorieux. Les efforts qu’il déploie pour ce faire sont inversement proportionnels à la correspondance finale entre sa théorie et sa pratique et il peut se montrer un chien de garde particulièrement agressif face à toute critique de son organisation, tant « la vérité blesse ».
Pour finir, puisqu’il faut une bonne nouvelle, certains cadres du mouvement demeurent lucides sur le caractère réformiste de l’organisation dans laquelle ils militent. Souvent à la tête de fédérations de province centrées sur une métropole, ils vivent dans une semi-opposition permanente avec les instances nationales. La présence de ce type de cadre se manifeste généralement par un développement rapide de la fédération où ils s’est implanté allant de pair avec un semi-fractionnisme les laissant assis entre deux chaises. De fait, en opposition avec la ligne nationale de l’organisation, ils peinent à s’exprimer publiquement, notamment à l’écrit sur le plan théorique. Cet état des chose implique mécaniquement un faible niveau de développement théorique causant parfois un manque de cohérence politique ou idéologique et surtout empêchant l’organisation locale de progresser dans son ensemble. On revendique un état d’esprit, un certain nombre de position politiques mais pas une cohérence militante permettant de construire une organisation sur le long terme, confinant à l’esprit de groupe plutôt qu’à l’esprit de parti. Cet aspect est renforcé par l’absence de coordination claire et formelle entre les diverses fédérations « de gauche » du MJCF, confinant les révolutionnaire à un niveau local d’action, en opposition avec les principes léninistes de professionnalisation et de centralisation. Au demeurant, le MJCF s’en accommode parfaitement : en l’absence de centralisme démocratique et de colonne vertébrale idéologique, il peut à la fois revendiquer sa présence sur l’ensemble du territoire tout en niant, par exemple, l’appartenance des Jeunes communistes de la Loire au mouvement quand ceux-ci deviennent trop « gênants » en expulsant l’impérialiste Glucksmann d’une manifestation du premier mai.
L’enjeu est important car, comme dit plus haut : où iront-ils 30 ans passés ? D’expérience, il semble que la CGT attire les faveurs de ces militants valeureux, mais ils se neutralisent ainsi euxmêmes, en rétropédalant vers le syndicalisme après avoir tenté de construire une organisation politique de classe. De fait, les militants liés à ce courant sont condamnés à quitter l’action politique (au sens commun du mot) du fait de l’absence d’une organisation « adulte » de
référence et correspondant à leur engagement. Il apparaît par ailleurs, le renouvellement des générations et quelques coups de force de la direction nationale aidant, ces fédérations « rouges » ne le restent pas indéfiniment, voir finissent par disparaître d’elles-mêmes après quelques années. Bien qu’ils n’aient plus d’illusions sur l’état actuel de leur organisation, les
militants conscients politiquement du MJCF n’ont pas d’intérêt immédiat à rompre avec un mouvement qui les tolère. Ils peuvent ainsi jouir librement de la « marque » MJCF, de locaux souvent spacieux, d’une solide trésorerie, de divers mécanismes de recrutement liés à la vie politique nationale, d’un beau stand à la fête de l’Huma et d’un réseau militant politique et syndical patiemment construit par les générations successives de militants communistes. Certains espèrent même, en dépit de l’expérience accumulée depuis des décennies par les militants attachés aux principes du marxisme-léninisme sans-cesse remis en cause par leur organisation (jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à remettre en cause, comme au PCF), pouvoir remettre leur organisation sur de bons rails à l’échelle nationale.
Il existe bien entendu des porosité entre ces catégories et le révolutionnaire d’aujourd’hui peut devenir l’opportuniste de demain (c’est même recommandé, Léon Deffontaines a bien été candidat LO aux municipales d’Amiens de 2014). La tâche fondamentale des révolutionnaires organisés pour le rassemblement des forces communistes est de parvenir à détacher les éléments « de gauche » de l’appareil du MJCF-PCF, en réfléchissant à la meilleure manière de leur apporter ce qu’ils n’ont pas tout en compensant la perte des avantages liés à leur organisation actuelle.
Que faire du MJCF ?
Le MJCF se maintient, à l’image du PCF, comme principale organisation des jeunes communistes de France, mais est traversé de contradictions importantes entre ses ambitions révolutionnaires affichées et une réalité bien moins reluisante : alignement sur le PCF, carriérisme d’une grande partie de ses cadres et absence d’une ligne politique claire. Si quelques militants y croient encore, la vérité est que ce mouvement se révèle structurellement incapable d’assurer la formation de militants et de cadres communistes solides à court, moyen et long terme. Il est encore moins capable d’entrainer une part significative de la jeunesse de notre pays dans la lutte difficile pour le triomphe du socialisme-communisme. Notre tâche est donc simple : identifier les éléments valables qui peuvent être sauvés, tout en offrant une alternative à ceux qui, au sein du MJCF, n’acceptent plus le double discours de sa direction nationale et cherchent une voie réellement révolutionnaire. Il faut redoubler d’efforts pour convaincre et rassembler dans une organisation unique les forces militantes les plus sincères, dans la cohérence théorique, pratique et organisationnelle que ne peut apporter un appareil inféodé à un PCF toujours plus droitier.
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