Précarisation des livreurs alimentaires

par | Nov 7, 2024 | Luttes | 0 commentaires

Tout le monde ou presque a une idée assez claire de ce que signifie le terme « Uberisé ». On parlera généralement de petits auto-entrepreneurs dont l’activité dépend d’une tierce application, ou du moins d’une plateforme numérique telle que Uber, Deliveroo, ou encore Bolt, pour ne citer que les plus connues. Mais derrière cet anglicisme se cache un autre mot bien plus clair : l’exploitation. En effet, dire d’un travailleur qu’il est « Uberisé » n’est qu’une énième façon de camoufler l’exploitation des travailleurs « auto-entrepreneurs » qui ne sont en réalité autonomes que d’un point de vue purement juridique. Et il n’est plus à rappeler que le cadre juridique, lui-même, est instauré par les Individus au pouvoir qui sont aussi ceux à qui profite largement le système capitaliste. Ces travailleurs sont majoritairement répartis dans deux secteurs : le transport de personnes et la livraison alimentaire, même s’il en existe d’autres, comme par exemple l’application Fiverr qui étend désormais ce système – dans différentes mesures – à presque tous les domaines. Des parallèles évidents peuvent être faits entre tous ces travailleurs mais dans cet article, nous traiterons plus particulièrement du cas des livreurs alimentaires.
La majorité d’entre eux font partie de la jeunesse française. L’âge moyen d’un livreur UberEat est de 25 ans en France. Cela s’explique par la facilité d’accès à l’emploi. On ne peut pas vraiment être refusé, ce qui ne veut pas dire pour autant que sa place est assurée. Autre fait notoire, 40% d’entre eux sont nés à l’étranger (1). Cette tranche de la population n’est pas fanatique de vélo ni passionnée de la livraison alimentaire, si c’est cette voie que beaucoup empruntent, c’est en grande partie, car ils y sont poussés par la discrimination à l’emploi dans d’autres domaines. Tout dans l’image et les mécanismes qu’utilisent ces plateformes semble orienté pour séduire une jeunesse autant cliente qu’employée. Avant l’arrivée de Uber, cette exploitation des autos entrepreneurs existait déjà. Le petit artisan qui travaillait à son compte était en réalité complètement dépendant des prix du marché, de directives imposées par l’UE, des taux bancaires et surtout d’une concurrence déloyale imposée par les grosses entreprises capitalistes. Leur labeur a tout de même, une incidence sur la capacité à dégager un bénéfice, mais au même titre que la loi de l’offre et la demande, le rapport bénéfice/travail est lui aussi biaisé dès lors que des concentrations de capitaux atteignent un stade permettant de tordre ces formules afin de garantir leurs propres intérêts. Dans ce système la liberté de pouvoir travailler à son compte n’est en aucun cas synonyme d’indépendance et encore moins d’épanouissement. Lorsque la propriété privée a été érigée au rang de droit quasi-divin, cela a créé d’une part la possibilité d’accumuler à outrance, mais surtout de pouvoir posséder les moyens de production. De fait, toute cette-pseudo liberté se trouve biaisée par des rapports de forces complètement inégaux entre ceux qui possèdent et ceux qui ne possèdent pas. Sur le papier ce droit de propriété tout le monde le possède, mais dans les faits les inégalités sont bien réelles. 

Cette parenthèse était indispensable pour comprendre et pour lutter contre des mécanismes de servitudes encore plus pernicieux que les précédents. Certains prétendront sans honte que travaillant pour leur compte, du moins aux yeux de la loi, les travailleurs « Uberisés » s’en retrouvent comme par magie totalement indépendant. Ce qui a le double effet très pratique de les rendre responsables de tout leur malheur et ainsi de dédouaner les entreprises qui profitent d’eux sans qu’elles n’aient le moindre compte à leur rendre, car après tout, contractuellement elles ne les emploient pas, elles leur permettent seulement d’user de leur plateforme numérique. Néanmoins, cet usage est soumis à quelques règles, et c’est là l’un des noeuds du problème. Comment un auto-entrepreneur que l’on qualifie d’indépendant peut vraiment l’être si son activité est régulée directement et exclusivement par une tierce entreprise ? Ils ont dû accepter une charte d’utilisateur qui leur impose un comportement « acceptable », le prix de leur service, des horaires à tenir pour terminer une course et plus encore. Et pour autant, on ne devrait pas nommer cela un contrat de travail alors que cela en porte presque toutes les caractéristiques ? Pour être plus précis cette « Charte » contraint aux mêmes obligations du travailleur envers son employeur, par contre elle ne contraint en rien les entreprises type Uber à une quelconque responsabilité envers les travailleurs. En cela nous pouvons effectivement dire que ce n’est pas un contrat de travail banal. De manière encore plus évidente que celle exposée plutôt à propos des artisans, les travailleurs « Uberisés » sont soumis à une autorité bien réelle qui est celle des sociétés qui proposent des servies de livraisons alimentaires.
Nous l’avons évoqué plus haut mais la plupart des livreurs à vélo n’ont pas décidé de cette activité par pure vocation, et ils n’ont pas non plus choisi le statut d’auto-entrepreneur par conviction professionnelle. Leur situation ne résulte que d’une conjecture asymétrique d’intérêts communs, à savoir un individu en situation précaire et d’une alternative accessible pour sortir de cette précarité, tout en faisant miroiter une pseudo indépendance financière et professionnelle grâce au titre, qui ne veut aujourd’hui plus rien dire, de « auto entrepreneur ». Il n’en fallait pas plus pour faire le bonheur des inconditionnels de la « star up nation ». Quand la motivation se trouve être la nécessité on ne souscrit jamais à un contrat de manière libre et éclairé. Le taylorisme se fait clairement ressentir : temps de course pour un trajet, prix de la course, critère de qualité, rien ne dépend du travailleur, tout a été froidement calculé par des algorithmes développés par des ingénieurs qui ne savent probablement même pas à quoi peut ressembler les journées de travail qu’ils imposent à tant de personnes, et en particulier à la jeunesse qui après tout, étant de la force de l’âge, pourrait bien faire un effort. En France ce n’est qu’en 2023 qu’une convention collective sur la question de la rémunération minimale a été signées entre les représentants des plateformes (API) et ceux des travailleurs du secteur de la livraison (FNAE). Cette convention établie respectivement un revenu minimum par course et un revenu horaire minimum (2). Cela dit ce minimum horaire n’est calculé qu’en fonction du temps de course effectif, le temps d’attente entre deux courses n’est pas calculer alors même que celui-ci semble tendre à la hausse (3).

Nous voilà revenu en 1935, travail aux pièces, chrono derrière le dos imposant la cadence (quand bien même le travailleur à l’immense privilège de pouvoir choisir son trajet), et surtout un débauchage presque au bon vouloir des employeurs (4). En effet, l’un des effets les plus vicieux de ce système consiste à tenir en permanence à la gorge l’ « auto entrepreneur » avec la perspective du bannissement de l’application, ce qui équivaut à un renvoi. Et si aujourd’hui il est devenu bien heureusement plus compliqué de renvoyer un employé sans une bonne raison, rien n’interdit en revanche à des entreprises privées comme Uber d’accepter ou de bannir des utilisateurs selon des critères qui échappent à la souveraineté de la France en matière juridique. Au fond tout cela a pour avantage de disposer d’une masse d’employés effective et potentielle qui ne sont pourtant pas des employés aux yeux de la loi, et donc de n’avoir aucune des contraintes auxquelles sont soumis les employeurs vis à vis de leurs employés dans n’importe quelle autre entreprise. C’est à dire pas ou peu de cotisations sociales, pas de contrat de travail, et une faible couverture santé qui n’est accessible qu’après un certain chiffre d’affaire atteint (5).
La lutte a tout de même portée ses fruits sur des points primordiaux tels que la rémunération minimum et l’obligation pour les plateformes de fournir une assurance santé, néanmoins ce minimum syndical est soumis à certaines conditions ce qui est anormal étant donné que ces « avantages », si l’on peut véritablement appeler cela ainsi,sont garantis pour les autres travailleurs français. Cette lutte menée en première ligne par la jeunesse française unie et déterminée doit être poursuivie et soutenue par les autres travailleurs, le statut d’auto entrepreneur ne doit pas être un frein au soutien. La concurrence de tous contre tous imposée par le capitalisme tend justement à la précarisation des uns et des autres. En effet la forte augmentation du nombre de livreurs, au plus grand bonheur des plateformes, a eu tendance à augmenter le temps d’attente entre chaque course (6), et donc à faire baisser le revenu moyen des livreurs. Plutôt que de réguler et de trouver une solution pour garantir aux travailleurs de pouvoir vivre et non pas survivre, les entreprises n’ont encore rien annoncé et préfèrent jouer sur l’éternel « si vous n’acceptez pas d’autres (plus précaires encore) accepterons ». Ainsi pour lutter et continuer à améliorer ces conditions de travail il faut dans un premier temps permettre à la France de retrouver sa souveraineté face aux entreprises concernées, mais aussi se tenir fermement du côté des travailleurs, et cela quelles que soit leurs origines.

Sources :

(1) https://start.lesechos.fr/societe/economie/6-chiffres-pour-mieux-connaitre-les-livreurs-uber-
eats-et-leurs-conditions-de￾travail-1358577#:~:text=25,qui%20sont%20plus%20facilement%20recrutés.

(2) https://www.arpe.gouv.fr/wp-content/uploads/2023/07/Accord-garantie-minimale-revenus-les-
livreurs.pdf

(3) https://www.arpe.gouv.fr/actualites/indicateurs-sur-lactivite-des-travailleurs-des-plateformes-
de-mobilite-2023/

(4) https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf?
id=Y0XrYyefDQT2kwar6bukgtVeMJTi2C06ic6UTBmB0po=
https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/
LEGIARTI000045525868#:~:text=Les%20travailleurs%20peuvent%20refuser%20une,refusé%20
une%20ou%20plusieurs%20propositions.


(5) https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000033013024/2016-08-10


(6) https://www.arpe.gouv.fr/actualites/indicateurs-sur-lactivite-des-travailleurs-des-plateformes-
de-mobilite-2023/

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