“C’est pas du terrorisme en fait, c’est de l’impérialisme” disait récemment Ibrahim Traoré, le président du Burkina Faso, lors d’une entrevue donnée à Russia Today à propos des sabotages néocoloniaux des pays impérialistes dans son pays et plus généralement en Afrique. Alors que s’effrite de plus en plus la “Françafrique” pour peu que l’AES (Alliance des Etats du Sahel) renforce son organisation et ses projets, et qu’ailleurs les Kanaks font face aux attaques des néocolons français, il importe de relire les classiques de la littérature anti-impérialiste. Le roman Enfant, Ne pleure pas du marxiste kenyan Ngũgĩ wa Thiong’o en fait partie. Écrit en 1962, publié en 1964, il est “une porte d’accès privilégié pour comprendre [le Kenya]”.
On y suit l’histoire d’une famille kikuyu (groupe ethnique autochtone majoritaire au Kenya) et l’évolution du pays sous domination impérialiste des Britanniques vers la lutte pour l’indépendance nationale menée par les Mau Mau. Thiong’o déroule ainsi cette riche période historique depuis le point de vue de Njoroge, petit dernier de la famille en âge mais premier de la famille à aller à l’école, au collège et à l’université. Tel un roman d’apprentissage (bildungsroman), les nombreux chapitres décomposent les étapes charnières de la vie de Njoroge, qui tombe, en parallèle de sa progression scolaire, sur les aspects les plus inhumains de la colonisation : trahison de la bourgeoisie compradore, exécution sommaire d’innocents, ségrégation raciale, tortures, viols, ghettos, vols des terres, destruction de la culture, etc. Symétriquement, les deux récits s’entrecroisent pour finir par former un nœud inextricable qui le dessille en lui faisant prendre conscience du monde, donc de lui-même. Effectivement, Georg Lukács décrivait le cœur du roman d’apprentissage comme “l’histoire de cette âme qui va dans le monde pour apprendre à se connaître, cherche des aventures pour s’éprouver en elles et, par cette preuve, donne sa mesure et découvre sa propre essence”. Le moment de la découverte de “sa propre essence” est, pour Njoroge, cet instant de la désillusion de celui qui croyait pouvoir changer son pays par la force du savoir nu, et qui se trouve ramené à sa condition initiale, celle du colonisé qui se rebelle (un des frères de Njoroge combat parmi les Mau Mau). Il comprend alors qu’il n’est pas de savoir, de symboles, de cultes, de dieux, de pères ou de rites qui ne périssent pas sous les bottes des impérialistes, et qui ne laisse que comme seule explication de leur folie une grossière lutte des classes. Comme l’écrivait Marx dans Misère de la philosophie (1847) : “Les peuples modernes n’ont su que déguiser l’esclavage dans leur propre pays, ils l’ont imposé sans déguisement au nouveau monde”. Voilà l’idée qui parvient à l’esprit de Njoroge. Par ailleurs, l’auteur n’hésite pas à mettre en scène des personnalités historiques comme Jomo Kenyatta, le “père” de l’Indépendance du Kenya (en réalité, il est rapidement passé de socialiste à pion des impérialistes étasuniens et britanniques), afin d’appuyer le caractère de vérité de son récit et d’étendre la tension dramatique à notre monde réel.
En effet, les Britanniques ont pendant longtemps tenté d’effacer de l’histoire la cause des Mau Mau.
Sous protectorat britannique depuis 1895, le Kenya adopte le statut de colonie en 1920, en raison des matières premières que la terre abrite. La colonisation du pays est, à l’instar des autres pays d’Afrique, d’une violence inouïe, allant jusqu’à faire dire à Churchill que ce qu’il passe au Kenya est une “boucherie”. Les populations locales se révoltent à plusieurs reprises, mais ce n’est qu’à partir de 1952 que débute la lutte de libération nationale, jusqu’en 1960, menée par les Mau Mau. Au total, ce sont 30 000 Mau Mau qui meurent dans ce conflit (et plusieurs dizaines de milliers de civils), contre 2 000 soldats kényans (alliés aux colons), 32 Européens et 26 Asiatiques !

Encore à ce jour, la Grande-Bretagne, qui tient le pays d’une main de fer conjointement avec les Etats-Unis, refuse d’exprimer des excuses officielles pour ses crimes. Et encore à ce jour, ce néo-colonialisme fasciste frappe sans commune mesure les différents progressistes kényans comme nos camarades du CPK-M (Parti Communiste Marxiste du Kenya) – l’occasion pour nous de réaffirmer notre soutien à ces militants courageux, qui espérons-le, sentirons un jour le vent révolutionnaire de l’Afrique de l’Ouest souffler dans leur direction.
Maxime-JRCF
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