Un jeune délégué syndical se mobilise dans les transports interurbains

par | Juin 1, 2025 | Luttes | 0 commentaires

Dans les transports publics, les politiques d’externalisation et de sous-traitance accentuent la précarisation des travailleurs. Exemple frappant : la Compagnie armoricaine de transports (CAT 35), en Ille-et-Vilaine, où Gilliatt, jeune délégué syndical CGT et ancien dirigeant de la JRCF, s’est engagé avec détermination aux côtés de ses collègues. La JRCF est retournée à sa rencontre.

JRCF : Les conducteurs de cars interurbains, à Saint-Malo et Fougères ont débrayé et fait grève plusieurs jours ces dernières semaines. Qu’est-ce qui a déclenché ce mouvement ?

Gilliatt : Depuis plusieurs années, les conducteurs de la Compagnie armoricaine de transports en Ille-et-Vilaine (CAT 35), entreprise de Transdev, dénoncent des conditions de travail qui ne s’améliorent pas, et des salaires en baisse face à l’inflation.

À Saint-Malo, où la contestation est la plus forte, les changements d’opérateurs (Keolis, RATP Dev, puis Transdev en 2024) et la réorganisation de l’offre de transport ont aggravé la situation. Les conducteurs sont désormais annualisés, certaines lignes sont passées au transport à la demande géré par une autre filiale, et les journées peuvent atteindre 13 heures pour seulement 4 à 5 heures de conduite effective. Les nouveaux embauchés touchent environ 1 550 euros nets mensuels.

Face à cela, des grèves ont été lancées. Les salariés ont exigé, dans le cadre des NAO et de négociations locales, une réelle amélioration de leurs conditions de travail et de rémunération.

Cette course aux économies, encouragée par la logique des appels d’offres, se fait au détriment des agents comme des usagers. À chaque changement, les conditions se dégradent un peu plus.

JRCF : Le repreneur, n’est-il pas tenu de garantir les acquis pour les salariés subissant un changement d’opérateur ?
Gilliatt : En théorie, oui. Mais dans la pratique, tout est pensé pour réduire les coûts afin d’arracher l’appel d’offres. Par exemple, si l’offre de transport est réduite ou partagée entre plusieurs entreprises, alors la durée de conduite diminue, donc les heures supplémentaires aussi, lesquelles, quand on en fait, ne sont pas payées, mais compensées par des temps de repos imposés. Une « prime différentielle » est censée compenser la perte de salaire dû au changement d’opérateur, mais c’est d’un part souvent insuffisant, d’autre part, elle fige le salaire du salarié transféré, car la prime s’ajuste en diminuant au fil de l’augmentation des salaires de l’entreprise : donc vous ne bénéficiez des augmentations de salaire de votre nouvelle entreprise seulement quand votre salaire aura été rattrapé par ceux appliqués dans l’entreprise. Et évidemment elle ne concerne pas les nouveaux embauchés, ce qui a pour effet tendanciel également de rabaisser les salaires du bassin d’emplois.
JRCF : Il y a aussi beaucoup de temps partiels dans le secteur ?
Gilliatt : Il y en a. Mais certains contrats, à 24 heures par semaine, font tout de même des journées à 12 heures d’amplitude à cause des longues coupures entre deux services. Pour un revenu qui dépasse à peine les 900 euros mensuels. C’est une précarisation insidieuse.
JRCF : Justement, les coupures sont un vrai problème. Pouvez-vous expliquer ?
Gilliatt : Un conducteur peut commencer à 7 h du matin et finir à 19 h, en ne conduisant que 4 heures effectives à cause des coupures. Que faire pendant ces longues heures d’attente ? Rentrer chez soi ? Certains le font, mais ça leur coûte du temps et de l’essence. D’autres restent sur place, sans confort. Et parfois, on enchaîne deux coupures dans la journée… Globlament on est payé bien moins que le temps effectif que nous passons sur notre lieu de travail.
JRCF : Ces temps, sont-ils au moins rémunérés ?
Gilliatt : Pas toujours. Si la coupure se fait au lieu habituel de prise de service, elle n’est pas payée. Sur un autre dépôt équipé (sanitaires, salle de pause…), elle est payée à 25 %. Dans un lieu sans commodités, comme un simple terminus, c’est 50 %. Mais dans tous les cas, on parle de rémunérations partielles pour un temps subi.


JRCF : Quelles sont vos revendications, et avez-vous déjà obtenu des avancées ?
Gilliatt : Nous exigeons des hausses de salaire, une amélioration de l’organisation du travail, et la fin de certaines pratiques abusives. Les NAO centrales, s’appliquant au millier de salariés de toute la CAT (35, 29, 22 et 56), ont été clôturées suite à la signature des syndicats majoritaires CFDT et CFTC… Mais s’ouvre désormais des négociations complémentaires pour la CAT35. Et le mouvement, malgré les obstacles et les sabotages, s’étend : à Fougères, par exemple, la colère monte aussi et les salariés ont participé à une journée complète de grève. À Rennes, la colère est bien présente et seules nos difficultés pour nous y implanter ralentissent le passage à l’action. À Saint-Malo les usagers eux-mêmes comprennent notre lutte : ils subissent eux aussi la suppression de lignes régulières sur les heures d’aller et retour du travail. Sous la pression, l’agglomération a déjà dû doubler le nombre de navettes à la demande.
JRCF : Quel est l’état d’esprit des collègues après ce mouvement ?
Gilliatt : Cette mobilisation a permis de reprendre confiance, de se sentir capables de faire bloc. En tant que jeune syndicaliste, je vois combien il est vital d’unir nos forces, de s’organiser, et de ne pas rester isolé. La lutte ne fait que commencer, mais elle montre que les travailleurs, même jeunes et précaires, peuvent relever la tête.
Il est par ailleurs essentiel d’expliquer aux travailleurs comme aux usagers — à l’exemple d’Initiative-Communiste, du PRCF et de la JRCF — que la dégradation des services publics, notamment dans les transports, ainsi que la détérioration des conditions de travail, trouvent leur origine dans les politiques libérales imposées par l’Union européenne. Celles-ci, mises en œuvre en France par la macronie, imposent la logique de la « concurrence libre et non faussée », y compris dans le transport de voyageurs. Ce cadre entraîne une réduction continue des moyens alloués au secteur, avec pour conséquence directe la pression sur les salaires et les droits des travailleurs.
Face à cela, il devient urgent de revendiquer la création d’un véritable pôle public national du transport, placé sous la cogestion des citoyens et des salariés, et régi par une convention collective unique, fondée sur les meilleures garanties sociales existantes dans le secteur.
Il appartient désormais aux secteurs les plus combatifs du monde syndical et du transport de hausser le ton. Ils ne peuvent plus attendre ceux qui refusent l’action ou cherchent à démobiliser. Seule une mobilisation déterminée permettra de peser réellement sur les politiques d’entreprise et les choix stratégiques du secteur.

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