Le ministère de l’Intérieur français a publié le 2 mai 2025 un rapport sur les Frères musulmans (1) qui, sous couvert d’analyse objective, se révèle être un outil de propagande réactionnaire, marqué par une méthodologie défaillante, des amalgames grossiers et un énorme biais politique. Loin d’apporter un éclairage rigoureux sur un mouvement complexe, ce document participe à la fascisation rampante de l’État français, qui alimente l’islamophobie pour justifier ses attaques contre les libertés démocratiques et détourner le prolétariat des véritables contradictions de classe.
Une méthodologie défaillante au service d’un agenda politique
Dès les premières pages, le rapport accumule les approximations et les simplismes. Les citations sont souvent dépourvues de sources, les analyses reposent sur des paraphrases de lieux communs islamophobes, et la bibliographie est indigente. Cette faiblesse académique n’est pas un hasard : il s’agit avant tout d’un document politique, destiné à légitimer la répression accrue contre les musulmans en France.
Prenons l’exemple de Tariq Ramadan, présenté de manière caricaturale comme un idéologue figé. Le rapport lui reproche essentiellement de considérer que « le système capitaliste néolibéral est (…) un univers de la guerre », que de nombreux « affrontements que l’on identifie très vite, trop vite, comme « religieux » sont liés à des situations socio-économiques tout à ait particulières et, plus largement, aux effets du nouvel ordre économique mondial ». Donc critiquer le capitalisme néolibéral et souligner le lien entre violence politique et oppression socio-économique sont ce qui inquiète réellement le gouvernement. La grande bourgeoisie craint qu’une critique anticapitaliste, religieuse ou non, ne se fasse auprès des croyants musulmans. La menace est peut-être moins un mouvement réactionnaire comme les Frères musulmans que la conscience de classe, même très incomplète.
Un révisionnisme historique et des omissions stratégiques
Le rapport accuse les Frères musulmans de justifier le terrorisme par la répression étatique, comme si ce lien n’existait pas. Pourtant, l’histoire montre que les États-Unis ont largement soutenu les islamistes durant la Guerre froide pour contrer les mouvements progressistes arabes. Dès les années 1950, la CIA collaborait avec Saïd Ramadan, père de Tariq Ramadan, pour affaiblir Nasser et le socialisme arabe (The Wall Street Journal, 2005). Dans l’article, Johnson révèle que « les Frères musulmans ont conclu un arrangement de travail avec les organisations de renseignement américaines ». Il se base en partie sur des archives suisses qui confirment que « Saïd Ramadan est … un agent d’information des Britanniques et des Américains » (2). Or, on s’en doute, cette dimension historique, à savoir la longue entente des puissances capitalistes dominantes avec l’islamisme au profit de la grande bourgeoisie internationalisée, est soigneusement évacuée pour des raisons évidentes.
En effet, on trouve cette méthode encore utilisée partout dans le monde, notamment au Xinjiang et dans les États limitrophes de la célèbre région chinoise dont parlent en boucle les médias impérialistes – afin de prolonger la guerre économique et politique contre la Chine sur le terrain idéologique. Ces derniers véhiculent de fausses informations faisant croire au génocide des Ouïghours en Chine (3) (comme les « historiens » d’extrême-droite font croire au « génocide vendéen » qui aurait eu lieu pendant la Révolution française (4)), confondant celui-ci avec le programme de lutte antiterroriste chinois sévère et certainement critiquable, certes, mais à des années-lumière d’un quelconque génocide ; de plus, ces médias ne parlent jamais des 200 attaques et attentats par des groupes islamistes et séparatistes en Chine et Xinjiang, causant 500 morts et des milliers de blessés. Parmi ces blessés se trouvaient également des imams et des Ouïghours. Et de noter que ces groupes islamistes (notamment le East Turkestan Islamic Mouvement qui a prêté allégeance à Al Qaida) sont issus des Moudjahidin, entraînés par la CIA dans les années 1980 (5). Ils ont combattu aux côtés des talibans en Afghanistan. À cette période, les talibans ont largement été financés par les États-Unis. Ils étaient en négociation pour construire un pipeline (oléoduc) à travers l’Afghanistan via le projet Unocal. Les États-Unis ont donné des milliards de dollars aux talibans pour favoriser le projet, mais les talibans revendiquaient une majorité des profits faits avec le pipeline, ce qui a été refusé par les États-Unis. L’argent encaissé a alimenté l’islamisme au Moyen-Orient, puis en Asie, c’est-à-dire là où passe principalement la nouvelle route de la soie chinoise, la BRI (Belt and Road Initiative).
De même, le salafisme – pourtant bien plus influent dans le radicalisme violent – est à peine analysé. Pourquoi ? Parce qu’il est plus commode de focaliser la répression sur les Frères musulmans, dont certaines branches s’engagent dans un travail social et associatif qui pourrait concurrencer l’hégémonie étatique dans les quartiers populaires.

La criminalisation de toute résistance musulmane
Le rapport entretient sciemment la confusion entre antisémitisme et antisionisme. Ainsi, comparer la situation des musulmans en France à celle des Juifs sous l’Occupation serait une preuve d’antisémitisme. Cette logique pernicieuse vise à interdire toute critique de l’État d’Israël et à faire taire la solidarité avec la Palestine. De même, la dénonciation de l’islamophobie est systématiquement assimilée à une « porosité » avec le frérisme, criminalisant ainsi les luttes antiracistes.
Pire encore, le rapport affirme que les Frères musulmans pratiquent un « double discours », dissimulant leurs intentions réelles derrière une fausse intégration. Cette rhétorique paranoïaque instille l’idée que tout musulman est un ennemi potentiel.
Une menace fantasmée pour justifier la répression
Le rapport avance des chiffres ridicules : 400 à 1000 « Frères musulmans assermentés » en France, et 91 000 fidèles influencés. Même si ces estimations étaient exactes (elles ne reposent sur aucune source sérieuse), comment justifier la convocation d’un conseil de défense pour une prétendue menace aussi marginale ? La réponse est claire : il s’agit de créer un épouvantail pour légitimer des mesures autoritaires.
La lutte contre l’islamophobie criminalisée, le colonialisme blanchi
En ciblant des organisations comme le Parti des Indigènes de la République (PIR), le rapport tente de discréditer l’anticolonialisme en l’assimilant à l’islamisme. Cette manœuvre vise à étouffer toute critique du néocolonialisme et du capitalisme impérialiste, qui pillent les ressources des anciennes colonies tout en maintenant les populations immigrées sous oppression en métropole.
Conclusion : Un outil de division et de fascisation
Ce rapport n’est pas une analyse, mais un manifeste raciste et conspirationniste (6). Il s’inscrit dans la stratégie du capitalisme français, qui cherche à diviser les travailleurs en érigeant les musulmans en ennemis intérieurs. Pendant que le gouvernement agite la menace islamiste, il poursuit ses mesures liberticides, sa répression syndicale et la soumission des prolétaires aux intérêts du grand patronat.
Nous dénonçons fermement ce rapport et appelons à la solidarité avec tous les musulmans, premières victimes de cette escalade répressive. La lutte contre l’islamophobie est indissociable de la lutte des classes. Seule l’unité du prolétariat uni permettra d’abattre le capitalisme qui engendre oppression et fascisation.
Contre le racisme d’État, contre la fascisation : solidarité ouvrière et révolutionnaire !
1. Ministère de l’intérieur. FRERES MUSULMANS ET ISLAMISME POLITIQUE EN FRANCE [Internet]. Paris: Ministère de l’intérieur; 2025 mai [cité 11 juin 2025] p. 76. Disponible sur: https://www.interieur.gouv.fr/sites/minint/files/medias/documents/2025-05/2025-05-02-rapport-freres-musulmans.pdf
2. Ali M. LA RELATION ENTRE LES FRÈRES MUSULMANS ET L’AMÉRIQUE [Internet]. Arab Observer | الأوبزرفر العربي. 2018 [cité 15 juin 2025]. Disponible sur: https://www.arabobserver.com/la-relation-entre-les-freres-musulmans-et-lamerique/
3. Paulet S. Ouïghours : que se passe-t’il au Xinjiang ? [Internet]. Investig’action. 2020 [cité 15 juin 2025]. Disponible sur: https://investigaction.net/ouighours-que-se-passe-til-au-xinjiang/
4. ALZAS, Nathalie. Marianne aux enfers : la haine de la Révolution française, Editions Critiques, 2024.
5. ABRAMS, A. B. L’invention d’atrocités, Editions Delga, 2025.
6. FRÈRES MUSULMANS… Le PLAN dévoilé ?! (Non, le rapport est juste raciste) + Ruffin le MOYEN [Internet]. 2025 [cité 11 juin 2025]. Disponible sur: https://www.youtube.com/watch?v=E3VuYWRV5Zs
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