Défense et service national

par | Juil 14, 2025 | Théorie, histoire et débats | 0 commentaires

Quand nous commençions à écrire ces lignes en 2024, l’armée ukraino-OTANienne portait ses coups, notamment avec des armes et des obus français, sur le sol même de la Fédération de Russie, encouragée par les dirigeants européens et nord-américains. Et dans le même temps les « experts » nord-américains alertaient (ou conseillent ?) quant à « la question de savoir comment mobiliser des millions de personnes pour qu’elles soient potentiellement jetées dans le hachoir à viande d’une guerre ». Cette guerre dont ils parlent n’est autre que celle que l’état-major de l’UE-OTAN anticipe contre la Russie « d’ici 2030 ».

Ajoutons à cela que progressivement, et malgré la réticence « patriotique » de nombreux milieux dont certains secteurs de l’armée, la question du « partage européen » de notre capacité nationale de dissuasion nucléaire se fait de plus en plus pressante pour le gouvernement macroniste, cédant aux coups de boutoir de l’Allemagne et de la Commission européenne qui aimeraient disposer de cette capacité stratégique unique en Europe.

C’est précisément dans ce large contexte, qu’il faut constamment avoir en tête, qu’est généralisé en France le Service National Universel (SNU). Cette généralisation fait d’ailleurs écho à la remise en place précipitée de la conscription militaire obligatoire dans de nombreux pays européens – comme la Lettonie, la Lituanie, voire la Finlande – vassalisés par la « construction européenne » et son bras armé l’OTAN.

Certes, le SNU actuel est encore loin de constituer un service militaire comme chacun peut l’entendre. Il n’est même pas certain qu’il devienne un jour cela tant, nous le verrons, l’oligarchie capitaliste « française » se méfie en réalité de ce débat. Mais il est d’ores et déjà la première pierre de l’acceptation, autrement dit de la soumission, de la jeunesse française au récit de « l’intégration européenne » et de « l’adhésion de la France à l’OTAN ». Un récit dangereux qui ouvre la voie à la fin du concept de « défense nationale » pour lui substituer celui d’» armée européenne », comme ont déjà tenté de le faire les dirigeants euro-atlantiques avec la « Communauté européenne de Défense » (CED) rejetée par les députés communistes et gaullistes en 1954.

Mais alors quelle pourrait être l’alternative au SNU compte tenu que plus de la moitié des 18-35 ans, sans compter les plus de 50 ans, restent cependant favorables au retour d’un « service militaire obligatoire » ?

I Origines, contradictions et conséquences de la conscription obligatoire

Le service militaire en France apparaît en 1798 avec la loi Jourdan-Delbrel qui tente alors de répondre à une certaine « démobilisation générale » post-révolution qui court depuis l’exécution de Robespierre. S’inspirant de la levée en masse de 1792 qui permit la victoire de l’armée révolutionnaire à Valmy contre les armées royales des émigrés de Coblenz, de la Prusse et de l’Autriche, cette conscription obligatoire courra à travers tous les régimes ou presque sur le simple principe que « tout Français est soldat et se doit à la défense de la patrie ».

Il permettra à Napoléon Ier de fortement alimenter les armées impériales jusqu’en 1815, puis deviendra universel – pour les hommes – à partir de 1905 et sera ensuite suspendu par le président Jacques Chirac en 1997, ce dernier souhaitant « professionnaliser les armées ».

Si une première forme de conscription « provinciale » a été instituée par Louis XIV en 1688 pour compléter ses armées royales, il n’en reste que l’élan fondateur fut celui de la Révolution française, de la « levée en masse », de « la Patrie en danger », des bataillons de fédérés alimentés par les sans-culottes et patriotes des nouveaux départements. Qu’en somme, et malgré les manœuvres de la haute-bourgeoisie pour arrêter au moment opportun la Révolution, la conscription en France a des racines profondément progressistes, patriotiques, voire révolutionnaires.

Cet élan, propre à la Révolution française, est facilité par des racines antérieures encore plus profondes et qui remontent à une certaine culture de « milices communales » caractéristique du Royaume de France face aux invasions qu’il subit durant plusieurs siècles. Ces milices, qui permirent de renforcer la structure même des communes, véritable cellule vivante et « de base » de la nation française (notre pays et ses 35 000 communes constituent presque la moitié du total des communes dans toute l’Europe), se sont illustrées à plusieurs reprises, comme à Bouvines aux côtés du roi Philippe Auguste. Il s’agissait alors de défendre non pas la patrie en danger – il est encore trop tôt dans l’histoire de France pour parler de « patrie » – mais de se battre contre les féodaux et les barons locaux qui, alliés à des armées étrangères espérant à cette occasion se tailler une part du gâteau, écrasaient les bourgs et les villages de taxes et d’impôts routiers ; qui contestaient la légitimité du roi qui tentait de centraliser et d’harmoniser un semblant de système « national » sur l’ensemble de ses « sujets » ; et qui n’appréciaient pas le moins du monde que des lois « centralisées » viennent s’appliquer à leurs petites baronnies.

C’est donc d’un véritable ancrage historique de l’usage de la « milice », de la « levée en masse » (quelle qu’en soit l’échelle) dont nous parlons. D’une capacité historique bien française et tout à fait explicable à soulever et organiser des masses de citoyens pour en faire des soldats. Mais cette capacité, ne l’oublions pas, n’est donc pas seulement technique. Elle est aussi extrêmement politique puisqu’elle s’est forgée au fil des siècles par la défense des volontés de centralisation du Royaume contre un certain démembrement national, mais aussi par la défense de la Révolution avec la montée des Fédérés Marseillais et Bretons à Paris, et de leur prise des Tuileries – faisant ainsi chuter quasi définitivement l’Ancien Régime – avant de prendre la route de Valmy pour combattre les armées européennes coalisées pour sauver Louis XVI et son autrichienne. C’est aussi la capacité de la Commune de Paris, pour la défense encore une fois de la Patrie, trahie et livrée par les Versaillais aux Prussiens, et qui fût largement animée, bien que défaite, par les idées socialistes d’alors.

Il y a donc toujours eu un fort enjeu pour les classes dominantes en France, afin de maintenir leur pouvoir, de réussir à « dompter » et « faire avec » cette inconsciente force populaire. Mais tout cela porte une contradiction qui devient dès lors évidente : pour « faire avec » un peuple capable de se lever en masse pour sa patrie, il a fallu l’intégrer par la conscription obligatoire, mais sans qu’il ne soit en mesure de mettre son nez dans les affaires militaires et démocratiques nationales. Sans quoi les classes dominantes se seraient sans aucun doute condamnées à revivre, très certainement de manière plus aboutie, une nouvelle Révolution française.

Jean Jaurès nous apprend et démontre à la lecture de son Armée nouvelle – première mais seule œuvre qu’il ait eu le temps d’écrire pour un ouvrage bien plus grand sur L’organisation socialiste de la France – que les élites de l’armée française, une fois remises de la défaite napoléonienne, n’ont su ni innover ni s’appuyer sur d’autres stratégies et tactiques militaires que celles du prussien Clausewitz (lui-même s’appuyant sur… Napoléon !) et son idéalisation de « l’encasernement » de toute la société, dont le seul but est de constituer la force armée la plus importante numériquement parlant. Ce modèle porté par les classes dominantes s’explique par leur refus idéologique et en réalité politique d’intégrer au centre de la stratégie de défense nationale les « réservistes » (c’est-à-dire cette masse du peuple en service militaire).

En d’autres termes, conscients du danger que constitue un peuple armé, pourtant nécessaire comme force de frappe des intérêts encore « nationaux » de la grande-bourgeoisie française et de ses velléités impérialistes grandissantes, cette dernière, pas plus que ses dirigeants militaires, n’ont su trouver d’autre formule stratégique durant deux siècles que de reléguer le temps de leur service les masses conscrites aux casernes de l’arrière-pays. Celles-ci servant alors « de garde » à tour de rôle, abandonnées à la passivité et à la démobilisation, formées à un très faible entraînement irrégulier tout autant qu’à une éducation militaire extrêmement limitée, interdites de droits démocratiques, absolument pas politisées et encore moins bien rémunérées compte-tenu du temps donné à leur service.

Le résultat fût incontestable. Alors qu’une véritable « nation armée » régulièrement entraînée sur le terrain, encasernée le moins possible si ce n’est pour s’éduquer à la tactique et à la stratégie militaire, formée sur les fronts géographiques naturels du pays, mêlée régulièrement au reste de la nation et à ses activités, animée et politisée à la stricte défense nationale et au développement démocratique du pays et dirigée par des officiers émergeant de ses propres rangs en auraient fait réfléchir plus d’un, notre pays a subit de nombreuses défaites militaires notamment sur son territoire – en 1870 ; en 1914 nous avions frôlé la défaite ; en 1940… – et, quand il a pu arracher la victoire ce ne fût que par la force du nombre qu’on n’avait pas encore jeté dans une boucherie inconsciente – dans les champs pilonnés entre deux tranchées ; et par l’aide forcée des armées « indigènes » – ou grâce à l’aide de quelques « alliés » qui ne se privèrent pas d’exiger « en allié » une rétribution économique et politique conséquente…

Tout cela sans compter la doctrine économico-militaire du colonialisme, que Lénine expliqua il y a plus de cent ans par le stade « impérialiste » du capitalisme, et qui jeta la France et de nombreux Français dans des guerres coloniales meurtrières, injustes et perdues d’avance.

En somme, la peur des classes dominantes de faire ne serait-ce qu’un pas vers le socialisme condamne depuis déjà bien longtemps notre pays à sacrifier sa jeunesse dans des guerres rendues inévitables, ultra-meurtrières et presque perdues d’avance, ainsi qu’à liquider la perspective d’une stratégie centrée sur la stricte défense nationale du pays et d’exploiter en conséquence tout le potentiel mobilisateur moral, patriotique, technique, pratique et intellectuel de notre nation, soit pour mettre toutes les chances de son côté pour repousser l’éventuel envahisseur – Jaurès évoque alors « l’Allemagne militariste et absolutiste [qui] ne se risquerait pas où qu’elle y subirait un de ces désastres qui sont, pour les régimes fondés sur la force seule, le prélude des révolutions » – soit, comme l’écrit encore Jaurès, pour « aboutir bientôt, pour la France, non seulement à la paix mais à la certitude de la paix ».

Mais alors que la conscription obligatoire a été suspendue en 1997 pour y préférer l’armée de métier, dans un contexte de disparition du Pacte de Varsovie, d’expansion européenne, de renforcement et de réintégration de notre pays au commandement intégré de l’OTAN, de guerres du Golfe et de Yougoslavie, qu’en est il de cette stratégie de défense nationale ayant cours en France depuis bientôt 30 ans ?

II L’armée française après trente ans « d’armée de métier »

D’après le classement du Global Firepower, la France occupe le 7e rang des puissances militaires mondiales et se positionne comme la première en Europe (hors Russie). Son armée active compte 200 000 soldats, appuyés par 40 000 réservistes. En 2022, le budget de la défense s’élève à 40,9 milliards de dollars, soit environ 36,6 milliards d’euros. La France possède également officiellement l’arme nucléaire, avec un arsenal estimé à 290 ogives selon le SIPRI.

Malgré ces données, de nombreux experts estiment qu’en cas de conflit prolongé, la France risquerait rapidement une pénurie de munitions et peinerait à maintenir ses capacités sur le long terme.

Le tournant de la « Loi de programmation militaire 1997-2002 », ainsi que le rapport qui lui est annexé, accompagnant donc la fin du service militaire obligatoire, atteste de la volonté d’une politique militaire française œuvrant à « l’intégration européenne » et de concert avec l’Allemagne, à « l’intégration atlantique » sous l’égide du « partenaire états-unien », et axant l’effort de ses fonctions opérationnelles sur le point stratégique – tout du moins pour les tenants de cette politique – qu’est la capacité de « projection ».

En effet, les grands chamboulement géopolitiques de la fin du xxe siècle – littéralement désastreux pour les peuples, à commencer par le peuple français –, n’ont été en réalité l’occasion pour les grandes puissances « occidentales » impérialistes, et en premier lieu pour les États-unis d’Amérique détenant alors le leadership mondial, que de repasser à l’offensive pour asseoir sur toute l’Europe, désormais débarrassée du socialisme, l’hégémonie de la démocratie libérale et de la libre circulation des capitaux, l’ensemble devant être régulé par un marché unique dominant de manière absolu sur l’ensemble des rapports sociaux et économiques.

C’est dans ce contexte, qui voit également l’Allemagne redevenir la puissance dominante en Europe depuis l’annexion de la RDA à l’est par la RFA de l’ouest, que la France, ou plutôt ceux qui la dirigent alors – obsédés par la construction européenne, vassalisés par les USA et qui ne cesseront jusqu’à aujourd’hui de la diriger dans un va et vient « d’alternance » – décident de changer drastiquement la stratégie militaire du pays pour intégrer – mais pas dans l’intérêt du peuple français – les nouveaux rapports de forces qui s’opèrent à l’aube du xxie siècle.

Choisissant donc d’accompagner le « sens de l’histoire » et la prédominance de l’impérialisme nord-américain sur l’Europe et sur le monde, il importe aux dirigeants d’alors, comme à l’Etat-major français, de ne pas mettre la France sur le ban des nations à l’heure des nouveaux enjeux, quitte à sacrifier en réalité son indépendance nationale, sa souveraineté militaire et diplomatique, ainsi que son industrie et son économie. Croyaient ils alors qu’il n’est rien de plus sécurisant que d’être, quoi qu’il en coûte, du côté du vainqueur ? Ce fût vite oublier que le vainqueur ne repousse pas mais attire à lui, tel un paratonnerre, la foudre des vaincus qui, tôt ou tard, au gré des aléas du monde, pourraient bien contester son hégémonie, voire réussir à la lui prendre.

C’est en ce sens, acceptant bassement l’incontestable leadership nord-américain d’alors sur l’OTAN, sur l’UE et sur le règlement des désaccords mondiaux, tout en participant activement à faire en sorte que « la politique de défense [serve] la construction d’une défense européenne crédible, à la fois bras armé de l’Union européenne et moyen de renforcer le pilier européen de l’Alliance », que le virage stratégique est adopté en France. Ce virage, définit par cette « Loi de programmation militaire 1997-2002 », est pleinement effectué, évoquant même qu’une « telle réforme requiert une approche globale, harmonisant doctrine, effectifs, équipements et politique industrielle » et donc qu’il « n’est pas un secteur de la défense qui ne soit concerné par cette mutation ».

Les enjeux sont alors analysés à la lumière de la mondialisation capitaliste que porte le bloc atlantiste USA-UE-OTAN, à coup de bombes si nécessaire , et qui a à ce moment précis les coudés franches dans le monde suite à la chute temporaire du camp socialiste mondial. En somme, l’Armée rouge n’est plus à 700 km de Strasbourg. Elle est d’ailleurs en lambeaux, puis dissoute, et son matériel en proie aux vautours opportunistes et capitalistes (et dont l’éparpillement sur le marché noir mondial constituera un nouvel élément de déstabilisations international, que prendront en compte tous les états-majors dans le cadre de leurs nouvelles doctrines). « L’ennemi » est donc définitivement loin, et sa forme changera puisqu’il s’agira désormais de mener une guerre internationale contre le « terrorisme », réel, supposé ou carrément fictif, groupusculaire ou étatique, loin des frontières françaises et bien en dehors du sous-continent européen. Ainsi est justifiée la mise en place de « l’armée de métier », n’ayant a priori plus vocation qu’à organiser la « projection, dans des délais très brefs, de forces réduites en nombre, mais immédiatement disponibles et opérationnelles, pour mener des actions limitées le plus souvent dans le temps et dans l’espace et remplir des missions extrêmement variées », tout en assurant « l’imbrication toujours plus grande de nos intérêts de sécurité avec ceux de nos alliés et de nos voisins […] exigeant de nos forces une très grande faculté d’adaptation, une expérience et un savoir-faire que seule la professionnalisation sera en mesure de leur apporter », ajoutant enfin que « la mise en œuvre et l’entretien de systèmes d’armes de plus en plus sophistiqués dans un environnement complexe requièrent une formation longue, coûteuse et soigneusement entretenue des servants, des opérateurs et des techniciens ».

Comme nous l’évoquions dans un paragraphe précédent, cette véritable réforme – ou dirons nous plutôt cette contre-réforme tant elle sera préjudiciable à la défense nationale –, arrimant entièrement la « défense nationale » à l’ordre euro-atlantique et à la domination nord-américaine, impactera également les effectifs, les équipements et la politique industrielle, tout en bradant notre indépendance nationale et notre dissuasion nucléaire qui aujourd’hui, nous le verrons, dissuade de moins en moins et, au contraire, agit comme un véritable paratonnerre.

III Un seul choix possible pour la France

En somme, confrontée à sa propre « (dés)intégration européenne (et otanienne) », la France ne conçoit plus sa capacité à se défendre autrement qu’à travers celle du bloc euro-atlantique dans lequel elle est enfermée. Stratégie, doctrine, industrie de l’armement, effectifs etc., tout est « intégré » à l’échelon euro-atlantique pour ne plus servir qu’une seule logique, celle de la mondialisation capitaliste que porte hégémoniquement, et quoi qu’il en coûte, le bloc UE-USA-OTAN. Si bien que les « défenses nationales » n’ont en réalité et progressivement plus rien de « nationales ». À commencer par leur capacité… à défendre le territoire national duquel elles sont issues !

En effet, l’armée française est aujourd’hui totalement indisposée à défendre seule le territoire national en cas d’agression. Et pour cause, elle est désormais faite pour être projetée rapidement en force opérationnelle d’appoint sous la direction de l’OTAN. L’armée est devenue totalement dépendante de cette « intégration euro-otanienne », la privant de pouvoir disposer d’une industrie nationale autonome couvrant ses besoins – celle ci s’éparpillant un peu partout dans le bloc occidental –, d’une doctrine propre aux besoins « théoriques » de la stricte défense du territoire national, d’une stratégie indépendante des vues expansionnistes et impérialistes de l’OTAN et de l’Union européenne, ou encore de la capacité française à mobiliser réellement et efficacement toute les forces vives de la nation.

Il est donc relativement clair que deux stratégies s’opposent aujourd’hui et s’offrent à la nation française. D’un côté une stratégie où s’entremêlent intégration euro-otanienne, perte d’indépendance nationale sur tous les plans y compris militaires et diplomatiques, désindustrialisation, incapacité à défendre le territoire national, manque d’effectif, déconnexion entre la nation et « son » armée, reculs sociaux et démocratiques, destructions de services publics en tout genre, stratégie qui ne peut qu’aboutir à une marche à la guerre planétaire potentiellement exterministe et poliment dénommée « conflit de haute intensité »…

Alors que de l’autre côté peut s’articuler une véritable politique de recouvrement de l’indépendance nationale face aux politiques capitalistes, impérialistes, belliqueuses et mondialisées de l’UE-OTAN (autrement dit d’assumer de sortir de ces carcans par un frexit inévitablement progressiste et patriotique), ouvrant ainsi la voie à un véritable changement stratégique et concret pour une défense nationale libérée de la tutelle euro-atlantique, structurée indépendamment de toute force étrangère autour des grands principes de « seule et stricte défense militaire du territoire national » et de « défense de la paix et de la diplomatie mondiale ». Cette stratégie serait alimentée par une politique industrielle au service des besoins de la nation et de ses choix, s’appuyant sur une armée dont le cœur ne serait plus la part élitiste des « professionnels » mais bien celle plus populaire des « réservistes » qu’un Service national renouvelé et repensé, loin des vieilles doctrines « d’encasernement », entraînera régulièrement, non pas pour être projeté à 10 000 km de la France, mais dans le cadre des missions qui lui incombe sur le territoire national tout en permettant à notre pays de tirer profit de toutes ses capacités humaines, culturelles et matérielles en termes de défense nationale – une défense que n’importe quel révolutionnaire devrait prendre au sérieux au cas où quelques impérialistes étrangers chercheraient à rétablir l’ordre… Tout cela sans jamais menacer autrement que de potentiels agresseurs, assurant préventivement ces derniers de la volonté des Français recouvrant leur histoire qu’ils feront tout pour empêcher une nouvelle « parenthèse » contre-révolutionnaire, mais sans jamais plus inquiéter les peuples du monde de quelques oppressions que ce soit qui entacherait une nouvelle fois le peuple de France. D’aucun avancerait, sans doute à raison, que la nature même des conflits a changé, aussi du fait des progrès technologiques qui permettent tout bonnement aux grandes puissances militaires d’être à l’instant T à portée de tir les unes des autres. Ou encore que la mondialisation des enjeux économiques et géostratégiques a provoqué une certaine mondialisation du terrorisme sous toutes ses formes. Et qu’en ce sens faire un trait sur nos capacités militaires de projection serait une folie.

Qu’on ne se méprenne pas sur le propos initial. Il est certain que les capacités acquises par les forces armées professionnelles de notre pays, aussi en termes de projection, doivent être entretenues. Ne serait-ce que dans un soucis de maintenir le rapport de force le jour venu face à l’impérialisme euro-atlantique qui lui, ne se désarmera pas, de même que tous ses sbires terroristes. Deux choses comptent quant à cet aspect.

D’abord que l’enjeu n’est pas de faire table rase des connaissances militaires actuelles de la France, quand bien même elles le sont acquises dans le cadre de politiques que nous réprouvons aujourd’hui et que nous balayerons demain. Mais bien de les mettre au service de la nation recouvrant son indépendance nationale et sa souveraineté populaire, en « soumettant » la part professionnelle de l’armée à celle qu’on nomme « réserviste » et qui devra devenir la véritable armée d’active.

Par ailleurs, il serait idiot d’interdire formellement notre France de demain d’intervenir et donc de savoir intervenir à l’extérieur de ses frontières, en écartant la possibilité même d’un appel à l’aide d’un peuple en proie à une agression impérialiste. Des garde-fous politiques seront absolument nécessaires, contre tout abus, mais cette capacité doit pouvoir, si la nation le décide et ce en toute légalité, être mise au service des peuples – cela reste évidemment une question compliquée qu’il n’est pas question de développer ici.

Enfin, tout en cultivant (pacifiquement et à l’entraînement !) cette « expérience » acquise, cela ne s’oppose nullement à l’impératif de faire de la paix internationale, et non des guerres impérialistes, la stratégie centrale de notre défense nationale. Car c’est tout un ensemble de combats pour l’indépendance, la souveraineté, la liberté, qui mènent irrémédiablement à nous débarrasser en bloc des chaînes de l’Union européenne, de l’OTAN, du capitalisme, de l’impérialisme et de tous leurs dérivés néo-coloniaux. En rompant avec les organisations et les tenants de l’euro-atlantisme, ainsi qu’avec leurs politiques économiques qui écrasent les peuples et les travailleurs, nous ouvrirons la voie à une politique totalement opposée. Alors que la désorganisation de la défense nationale, au profit de l’UE-OTAN, va de pair avec la désagrégation de la paix mondiale, Jean Jaurès y répondait déjà par ces mots, que « l’organisation de la défense nationale et l’organisation de la paix internationale sont solidaires » et, qu’en somme, « [t]out ce que la France fera pour ajouter à sa puissance défensive accroîtra les chances de paix dans le monde. Tout ce que la France fera dans le monde pour organiser juridiquement la paix et la fonder immuablement sur l’arbitrage et le droit ajoutera à sa puissance défensive ».

Alors que les tensions internationales s’exacerbent entre puissances atomiques. Alors qu’au service de l’UE-OTAN notre « dissuasion nucléaire », sensée nous protéger de toute provocation, voire agression, n’en finit plus de faire braquer sur notre pays les ogives de la Russie… Il doit être clair, à ce moment de la lecture, qu’il est d’un enjeu littéralement vital, pour la France et pour l’humanité, de s’interroger sur la politique militaire et diplomatique de notre pays, et sur les stratégies et doctrines avec lesquelles nous devront rompre et celles que nous devrons adopter.

IV Réinventer la conscription pour construire une « armée nouvelle »

Jean Jaurès imaginait déjà au début du xixe siècle, dans son ouvrage du même nom, cette « Armée nouvelle » qui devait émerger en France et, en réalité, de la France, de son peuple travailleur qui lui est attaché.

Ce que nous essayons de saisir aujourd’hui, dans notre France contemporaine, c’est l’utilité et les moyens de redonner vie à cette revendication politique de haute importance.

Une « armée nouvelle » qui intéresse, aux côtés des questions militaires et diplomatiques, la jeunesse, les organisations progressistes, démocratiques, populaires et syndicales ainsi que la nation, toutes confiantes dans la direction générale que celle-ci prendrait machinalement. Une « armée nouvelle » qui entretient le lien entre l’armée et la nation jusqu’à produire la « nation-armée », exigeante sur le plan démocratique et largement imprégnée des masses. Une « armée nouvelle » dont le cœur battant de l’» active » en serait ses véritables forces vives, aujourd’hui dites « de réserves », qu’il s’agit de désencaserner, de mobiliser et d’entraîner régulièrement et localement, en lieu et place des seuls militaires « de métier ».

La réinvention d’une conscription nationale paraît en ce sens absolument nécessaire pour mettre en œuvre cette revendication.

Il serait difficile d’étayer ici très précisément des mesures très concrètes à adopter et à appliquer en ce sens. Aussi, nous nous contenterons d’évoquer seulement quelques pistes de manière purement exploratoire pour ce travail de nouvelle conscription nationale, l’esprit général se dégageant il nous semble largement du reste du texte.

Quelle durée ?

Plutôt qu’un service national « en bloc » de telle ou telle durée, et afin d’entretenir l’entraînement de la nation et donc son poids diplomatique pour maintenir la paix, il semblerait bien plus efficace d’étaler sur toute une période de la vie, au moins de 20 à 35 ans, les différents moments structurant ce nouveau service militaire. Il pourrait être ainsi envisagé d’engager les uns, deux ou trois premiers mois (pas plus) des nouveaux conscrits à de la formation théorique de base sur l’ensemble des champs de la Défense nationale. Une fois ce socle commun passé (si possible dans son département, doublé de quelques périodes bien plus courtes et éparpillées de « rappels » le long de la vie de conscrit), les jeunes soldats de cette « armée nouvelle » pourraient entamer à intervalles réguliers des cycles de formations, le plus possible pratiques et au maximum sur le terrain et dans leurs départements, aux interventions, aux opérations, aux stratégies et aux tactiques à déployer, au maniement des armes, à la cohésion etc.

Différents degrés d’engagement pourraient être exigés selon l’âge pour assurer un roulement progressif d’entrées et de sorties des conscrits sur leur période de 20 à 35 ans (durée purement théorique et surtout illustrative).

OÙ ?

Nous l’avons évoqué plus haut, il semble primordial que les conscrits soient entraînés la plupart du temps dans leurs propres départements. Pour la connaissance du terrain notamment, mais aussi parce que cette « armée nouvelle » doit puiser sa force dans les racines historiques (qui ne sont certes pas exemptes de contradictions !) de l’organisation populaire et citoyenne du territoire français. Autrement dit l’entraînement doit avoir lieu dans les communes qui ont forgé le socle révolutionnaire français par excellence et, à la Révolution française, le socle de leur regroupement par départements, et dans l’organisation politique et militaire qu’elles ont pu produire à différentes époques, celle des « milices » (qu’il s’agisse des milices communales du Moyen-Âge, des milices se fédérant pour monter sur Paris en 1792, des milices de la Commune de Paris, voire des « milices » résistantes durant l’occupation nazie). La connaissance du territoire, la connaissance des lieux, de leur histoire, la connaissance éventuelle d’autres conscrits sont autant de ressources nécessaires et précieuse à notre « armée nouvelle ».

L’aménagement de centre de formation départementaux sera alors nécessaire.

Mais cela ne doit pas proscrire ni l’étude ni la découverte organisée de l’ensemble du pays et de sa diversité géographique qu’il convient évidemment d’appréhender, tant d’éventuels combats défensifs et offensifs ne se mènent pas de la même manière, encore aujourd’hui, en plaine, en vallée, sur la côte, ou en montagne.

Pour quelle utilisation ?

Ainsi organisée, et comptant sur des soldats et officiers « de métier » tenus aux mêmes exigences démocratiques et aux mêmes contrôles populaires que les autres, notre « armée nouvelle » disposera sur l’ensemble de son territoire des ressources nécessaires pour faire face à tout éventuel agresseur.

Ne nous y trompons pas, les progrès techniques formidables dont disposent aujourd’hui les armées ne suffisent pas à mettre au pas un ennemi. Les différentes interventions militaires des dernières décennies le prouvent, et celle de la Fédération de Russie en Ukraine contre les provocations de l’UE-OTAN n’y déroge pas : drones, missiles en tout genre, satellites ou encore intelligences artificielles… sans le déploiement sur site d’hommes et de femmes, de matériels et véhicules militaires, de QG, de positions défensives et de ravitaillement, aucune guerre ne saurait être gagnée. C’est bien pourquoi, aujourd’hui encore, la question de l’adhésion à la stratégie nationale, à la formation, au déploiement et à l’organisation d’hommes et de femmes en très grand nombre, capables d’assurer notre défense nationale, reste structurante.

Quels liens avec la nation ?

Pour parachever ces pistes de réflexion, il nous semble absolument nécessaire de réfléchir à la manière dont la nation, par ses organisations populaires, démocratiques et patriotiques, syndicales voire associatives et de jeunesse, devra intervenir dans le dialogue et le contrôle démocratique, à l’échelle départementale et nationale, avec les représentants de la défense nationale et de notre « armée nouvelle ». L’impérialisme a toujours abusé de la « nation » pour fédérer par la force autour de ses intérêts propres ceux de la nation qui lui sont pourtant contradictoires (quel intérêt pour la nation française de participer demain à une guerre de l’UE et de l’OTAN contre la Russie ?). Il importe donc par là de reconstruire une cohérence « de classe » entre la nation, son armée et le pouvoir démocratique.

Des liens étroits et honnêtes seront gages de vitalité pour l’armée, de confiance au sein même de la nation, et d’engagement encore plus grand de l’ensemble de la nation, directement ou indirectement, dans sa propre défense et dans les questions nationales et internationales de diplomatie.

Conclusion

À l’heure où la paix mondiale est plus que jamais menacée par le bloc impérialiste de l’UE-OTAN-USA, par ses provocations internationales incessantes et par la collaboration des dirigeants nationaux « français » à ce bloc, notre devoir d’internationaliste est d’œuvrer à ce que la France, notre France, fasse échouer les projets de « Défense européenne » et en finisse avec son adhésion à la construction européenne et à l’OTAN. Autrement dit, qu’elle recouvre son indépendance nationale.

Pour ce faire, la revendication portée par ce texte, celle d’une « armée nouvelle » dont la colonne vertébrale et la force seraient assurées par une « conscription nouvelle », prend, nous le pensons, tout son sens tant elle rentre en contradiction avec notre soumission/participation à l’Union européenne capitaliste et supranationale ainsi qu’à l’OTAN.

Car la sortie de l’UE, de l’euro et de l’OTAN, dans la perspective de la sortie du capitalisme que portent la JRCF et le PRCF exposerait notre pays à minima à des pressions internationales et à des provocations fortes de la part du bloc impérialiste, à la mesure du coup qui lui serait porté par un Frexit progressiste.

Car la question du Frexit est bien ici posée en arrière-plan. Ou bien la France se vautre dans cette « Défense européenne » au service de l’OTAN qui cherche déjà, avant même d’exister, à faire la guerre à la Fédération de Russie en y envoyant mourir nos fils et nos filles, ou bien elle rompt définitivement avec l’UE et avec l’OTAN, donc avec leur logique intrinsèquement impérialiste, et réorganise sa défense nationale en conséquence, dans un élan populaire, patriotique et démocratique retrouvé.

Les jeunes communistes que nous sommes avons a minima pour tâche, et dans toutes les organisations de jeunesse auxquelles nous participons, d’intéresser à la question et pourquoi pas, par ce texte, l’ensemble de nos jeunes amis et camarades, de nous y interroger, d’y trouver les réponses, d’en préparer les revendications. L’auteur de ces lignes invite également l’ensemble de ses camarades à lire l’ouvrage de Jean Jaurès L’Armée nouvelle, mais aussi à s’intéresser à la lecture militaire qui nous est contemporaine ainsi qu’aux différents contenus qui peuvent en découler.

Gilliatt de Staërck

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