En octobre 2024, par l’intermédiaire de notre camarade Jérémy C., nous publiions une analyse intitulée « Que faire du MJCF ? ». Ce texte proposait une lecture critique de la situation du Mouvement Jeunes Communistes de France (MJCF, organisation de jeunesse liée au PCF), lecture que les développements récents sont venus largement corroborer.
Nous y écrivions que les contradictions internes au MJCF – entre une aile gauche minoritaire mais composée de ses éléments les plus dynamiques, et une direction majoritaire ancrée dans une ligne droitière et opportuniste – ne pouvaient perdurer indéfiniment sans aboutir à une rupture claire. C’est désormais chose faite.
Aujourd’hui, l’une des plus grandes fédérations départementales du MJCF – la JC Nord, si ce n’est la plus grande – a quitté l’organisation. Elle entraîne avec elle une part significative du mouvement : d’autres fédérations comme la JC Loire, la JC Meurthe-et-Moselle, la JC Alpes Maritimes et la JC Marne, ainsi que plusieurs sections locales, ont suivi le pas. Nous avons même pu voir l’annonce de la création d’une section dans la Loire Atlantique sans savoir s’il s’agit d’adhésions ex nihilo à ce nouveau mouvement ou bien des départs du MJCF 44. Ces forces se dirigent progressivement vers une unification avec les JC 13 (sorties du MJCF dès 2018), pour fonder un nouveau mouvement national de jeunes communistes.
En tant que jeunes communistes, nous observons cette nouvelle situation avec beaucoup d’intérêt, mais souhaitons avant tout produire l’analyse la plus rigoureuse possible afin de cerner les enjeux et les opportunités que cette nouvelle donne offre au mouvement communiste en France.
1) Lente agonie du Parti communiste
Nous accueillons ces derniers événements comme allant dans le bon sens, c’est-à-dire dans le sens d’une séparation organique entre réformistes et révolutionnaires. Cela ne veut pas dire que nous pensons que, désormais, il n’y aurait plus que des réformistes et des opportunistes dans le MJCF, ni que les JC indépendantes soient immunisées contre ce phénomène. Il reste, selon nous, des militants communistes sincères au sein du MJCF, et nous leur tendons naturellement la main. Mais la réalité est que sa direction opportuniste, alignée sur Roussel, a désormais conquis une hégémonie totale en interne : l’opposition y a pratiquement totalement disparu. Pour autant, cette victoire interne se paie au prix élevé, car le MJCF sort de cette séquence très affaibli au niveau national et nous nous en réjouissons, car s’il est aujourd’hui affaibli, c’est en tant qu’organisation désormais entièrement gagnée à l’opportunisme.
Dans « Que faire du MJCF ? », nous analysions un mouvement dans lequel cohabitaient une ambition révolutionnaire affichée et un tapis rouge déroulé pour les éléments opportunistes vers une boutique électoraliste qui n’a plus de communiste que le nom : le PCF.
Dans ce tableau, le MJCF faisait figure de caution révolutionnaire du PCF, car oui, comme précisé précédemment, il persistait jusqu’alors une sincère ambition révolutionnaire chez une part non négligeable de ses militants.
Le MJCF restait alors la plus grosse organisation de jeunesse de France, d’autant plus de jeunes communistes, mais bien loin d’être l’organisation de masse qu’elle a été par le passé. En atteste le congrès de Paris, durant lequel le MJCF comptait exactement 1 517 adhérents actifs, bien loin des 15 000 annoncés jusqu’à cette date.
Nous pensons que, jusqu’aux dernières annonces de départ, le MJCF s’est maintenu aux alentours de ce chiffre, entre 1 000 et 2 000 adhérents actifs, ce qui en faisait encore la première organisation de jeunesse du pays.
Cette organisation, qui constituait la principale source de dynamisme du PCF, est désormais amputée de deux de ses plus importantes fédérations – le Nord et la Loire – ainsi que de plusieurs autres sections locales.
On peut imaginer que, dans cette affaire, le MJCF perd une part non négligeable de ses effectifs d’un seul coup, puisés dans la frange la plus dynamique de l’organisation : un véritable coup dur pour les pro-Roussel du MJCF, et donc pour le PCF.
2) L’impasse du « Parti communiste de la jeunesse »
On peut alors se demander : partir du MJCF, certes, mais pour quels objectifs ?
Dans leur déclaration commune « En avant vers la reconstruction de la jeunesse communiste ! », les nouvelles JC annoncent vouloir créer une organisation fédérant toutes les JC dissidentes, mais avec la conscience qu’« une organisation de jeunesse communiste sans parti communiste n’aurait aucun avenir ».
Nous ne pouvons que souscrire à ces propos et, pour les appuyer, citons le camarade Jérémy C. dans son texte « Que faire du MJCF ? », lorsqu’il répond à la question : Une organisation de jeunesse communiste doit-elle être indépendante ?
Mais qu’en pense Lénine ? Ce dernier, qui a toujours rejeté la phraséologie révolutionnaire au profit de la conscientisation réelle des masses sur la base de la pratique concrète soulignait il y a déjà plus d’un siècle que « La jeunesse communiste doit être le mouvement de jeunesse du parti communiste, et non le Parti communiste de la jeunesse. »
Nous ne nions pas que les organisations de jeunesse ont leurs besoins et leurs modes d’action propres, qu’elles doivent jouir d’une certaine autonomie organisationnelle précisément pour être à même de toucher les larges masses de la jeunesse travailleuse. Mais cela ne peut se faire que sous la direction et avec l’aide expérimentée d’un véritable parti communiste, lui aussi inspiré par le marxisme-léninisme.
Ainsi, nous faisons nôtres ces mots de Georges Dimitrov : « Leur faiblesse fondamentale [des organisations de jeunesse communiste] consiste en ce qu’elles s’efforcent encore de copier les Partis communistes, leurs formes et leurs méthodes de travail, oubliant que la Jeunesse communiste n’est pas le Parti communiste de la jeunesse. Elles ne tiennent pas suffisamment compte du fait qu’il s’agit d’une organisation avec ses tâches particulières bien à elle. Ses méthodes et ses formes de travail, d’éducation et de lutte doivent être adaptées au niveau concret et aux aspirations de la jeunesse. »
En creux, nous disions déjà que l’autonomie organisationnelle ne signifie pas indépendance politique totale : l’une favorise l’initiative, l’autre coupe de la stratégie d’ensemble.
Or, cette nouvelle organisation, bien que consciente des dangers d’un « parti communiste de la jeunesse », prend malgré tout cette orientation de fait, puisqu’elle n’est affiliée à aucune organisation mère, du moins pas officiellement. Ce choix porte le risque de dériver vers des positions idéalistes ou utopiques, par rejet d’une ligne stratégique issue de l’expérience historique du mouvement ouvrier, et en agissant sans l’avis d’éléments expérimentés.
Le risque, aujourd’hui, serait d’en appeler à la classe ouvrière uniquement pour cocher les cases d’une phraséologie révolutionnaire – un langage maximaliste coupé de la pratique – sans la rigueur d’analyse nécessaire à la compréhension de ses intérêts réels et sans la capacité d’élaborer une stratégie concrète pour la conquérir. Comme le rappelait Lénine, cette « phrase révolutionnaire » n’est pas un signe de radicalité, mais une autre forme d’impuissance politique, un substitut verbal à l’action réelle dans les masses travailleuses.
À titre d’exemple, au PRCF nous considérons que, dans la période actuelle, l’intérêt objectif de la classe ouvrière est bien l’abolition du capitalisme-impérialisme. Mais cet intérêt objectif inclut aussi le refus de voir la France dissoute dans l’UE/OTAN, cet empire qui nous entraîne vers la troisième guerre mondiale à l’extérieur et vers le fascisme à l’intérieur.
En somme, nous pensons que le contenu capable de rallier la classe ouvrière doit articuler une dialectique entre le rouge et le tricolore, c’est-à-dire associer l’internationalisme, l’antifascisme et le patriotisme. L’enjeu est de partir de ce qui mobilise aujourd’hui le plus fortement la classe ouvrière, et sur quoi elle a objectivement le plus intérêt à se battre : le rejet de l’Union européenne et, à terme, la sortie de la France de cet État supranational.
Cette orientation, définie avec nos aînés dans le PRCF, ne relève pas de l’opportunisme mais de l’analyse concrète de la nécessité de rompre avec le capitalisme. En effet, mobiliser la classe ouvrière autour de la sortie de l’UE permettrait de créer un rapport de force dirigé contre le capitalisme-impérialisme, au bénéfice du prolétariat. C’est dans ce cadre qu’une rupture avec le système capitaliste lui-même pourrait devenir possible, ouvrant ainsi la voie à un coup d’arrêt à la marche vers la guerre et à la fascisation.
Il s’agit donc de reconnaître que la lutte contre le capitalisme ne peut s’engager efficacement que par ce biais, et que la révolution ne peut se développer et aboutir que dans le cadre national. Cette perspective nationale ne s’oppose pas à l’internationalisme, elle en est au contraire un levier : elle constitue le moyen concret de mobiliser la classe ouvrière contre le capitalisme et sa propre bourgeoisie, donc contre l’impérialisme et la fascisation, et ouvre ainsi une voie prolétarienne à l’internationalisme. Cette ligne, pensée de manière dialectique, n’aurait sans doute pas été possible si la JRCF s’était posée en parti communiste de la jeunesse.
Nous aurions alors pu, comme beaucoup de jeunes militants, considérer que, au fond, la classe ouvrière ne mérite pas notre intérêt, sous prétexte qu’elle ne correspondrait pas à notre idéal politique préconçu. Nous aurions aussi pu estimer, par facilité, que la classe ouvrière a disparu de France avec les délocalisations d’usines – ce qui est faux. Ce serait retomber dans une déviation sectaire petite-bourgeoise. Une telle attitude, coupée du mouvement réel, ne peut conduire qu’à un pseudo-radicalisme purement verbal, sans prise sur la réalité. Car, jusqu’à preuve du contraire, dans le capitalisme, la classe ouvrière reste la classe révolutionnaire. N’oublions pas qu’il ne s’agit pas tant de reconstruire le parti des communistes que celui de la classe ouvrière et du prolétariat.
C’est à partir de ce constat que nous pouvons examiner les perspectives avancées par les JC indépendantes, qui, dans leur déclaration commune, affirment que la construction d’un nouvel organe de jeunesse « ne peut que faciliter et accélérer le processus de reconstruction communiste ».
Nous sommes plus réservés sur cette affirmation à la lumière des arguments développés précédemment, mais pensons qu’il existe effectivement une voie par laquelle cette organisation pourrait contribuer à la renaissance du mouvement communiste : celle de la coordination d’action communiste. Elle ne pourra réussir qu’à condition de ne pas tomber dans les travers évoqués : sectarisme, idéalisme et phraséologie révolutionnaire.
3) Les perspectives d’une coordination d’action des jeunes communistes
D’après nous, il existe une voie efficace vers la renaissance d’un parti communiste en France : celle d’un parti de masse et de classe.
Cette voie passe par l’union dans l’action des forces se réclamant de cet objectif. Pour cela, il faut travailler à des rencontres bilatérales afin de construire ensemble des bases communes, capables de soutenir une action partagée en direction de la jeunesse populaire.
La question de la paix nous semble le principal axe de mobilisation de la jeunesse, tant ses enjeux sont énormes. Elle doit s’appuyer sur une ligne claire, celle que défendait Karl Liebknecht en son temps :
« L’ennemi principal est dans ton propre pays. »
Autrement dit, la lutte contre notre propre impérialisme, aujourd’hui arrimé à l’impérialisme hégémonique de l’UE-OTAN.
Pourquoi pas rajouter une partie pour expliquer nos positions et comment nous appelons à la coordination communiste non pas pour qu’on porte tous le drapeau français à l’unisson mais bien que notre analyse-tricolore nous amène à considérer la lutte contre l’UE et l’OTAN comme la priorité n°1 et qu’on est prêt à faire front contre l’UE et l’OTAN avec ces fédérations de JC pas forcément d’accord avec nous sur tout dans le respect de nos différences. On parlerait de notre ligne en démontrant qu’on est ouvert à des perspectives de mobilisation unitaire.
Pour avancer concrètement, nous pensons qu’il est nécessaire que toutes les organisations de jeunesse communiste se réclamant du marxisme-léninisme et affirmant leur opposition à l’OTAN se coordonnent dans l’action. Cela suppose de mettre en avant ce qui nous rassemble d’abord : la lutte contre notre propre impérialisme, arrimé à l’UE-OTAN, et la mobilisation de la jeunesse contre la guerre. Nous ne cherchons pas à effacer nos différences ni à uniformiser nos approches, mais à créer un cadre commun de combat où chaque organisation conserve son identité et ses analyses. Ce qui compte, c’est la convergence dans l’action : frapper ensemble contre l’ennemi principal, tout en respectant nos divergences. C’est de cette manière que pourra se construire une véritable dynamique unitaire, capable de donner à la jeunesse communiste une voix forte et crédible face à la guerre impérialiste et à la fascisation.
Si nous ne nous appliquons pas cette rigueur, nous reproduirons exactement ce que Lénine déplorait en son temps : ralentir l’édification du parti communiste en se précipitant dans des écueils pratiques éblouis par de la phraséologie révolutionnaire.
Baptiste Poisson, secrétaire national de la JRCF
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