L’image miroitante qu’on attribue par réflexe à Hollywood et au métier d’acteur américain prend un coup après quelques secondes de réflexion, qu’on s’y connaisse peu ou prou sur le sujet, des polémiques quotidiennes mettant mondialement la lumière sur les divers problèmes qui agitent le monde des Oscars… mais aussi ceux des non-invités.
Aujourd’hui, si tous les regards sont tournés vers eux, ce n’est pas pour la sortie du film Barbie ou Oppenheimer, mais parce que la SAG-AFTRA, le syndicat des acteurs américain le plus puissant aux Etats-Unis – dont les acteurs des deux derniers films cités sont membres – , s’est joint après quatre mois de négociations infructueuses avec les studios, à la grève des 11 500 scénaristes ayant débuté en mai. Un “coup de pouce” d’autant plus énorme (160 000 acteurs en grève) qu’historique, puisqu’une telle convergence des luttes n’était pas arrivée depuis 1960.
La SAG-AFTRA est présidée par Fran Drescher, une actrice connue aux Etats-Unis pour son rôle dans Une Nounou d’Enfer, une série télévisée commerciale des années 90. Lors d’une prise de parole récente, elle exprimait toute l’amertume que la politique des studios lui inspire : “La manière dont ils nous traitent est choquante. Ils crient misère, ils disent qu’ils perdent de l’argent et en même temps, ils distribuent des centaines de millions de dollars à leurs PDG. C’est écœurant.” En effet, les pratiques des studios consistent en la favorisation du reversement des dividendes à leurs actionnaires, au grand dam des scénaristes et des acteurs (des créateurs).
Par ailleurs, si l’époque change, les problèmes restent globalement les mêmes : scénaristes et acteurs demandent à être traité avec “respect”, c’est-à-dire recevoir une augmentation de salaire, en particulier à une heure où les studios s’en mettent plein les poches avec les plateformes de streaming et en rémunérant les créateurs de moins en moins, tout en durcissant les conditions de travail. Les studios demandent aux scénaristes d’écrire des séries plus courtes, en un laps de temps plus court, en réduisant les équipes de scénaristes et en rognant sur les salaires. Un cocktail explosif qui reflète bien le mépris que les capitalistes ont pour la culture et plus largement pour la dignité humaine.
En plus des conditions de travail et de l’augmentation des salaires, sont visés en particulier les rémunérations dites “résiduelles”, celles qui dépendent des revenus engendrés par la rediffusion d’un film ou d’une série, elles aussi en baisse drastique depuis l’arrivée des plateformes de streaming ; des actrices comme Kimiko Glenn, vedette de la série Netflix mondialement connue Orange Is the New Black, vont jusqu’à recevoir, de l’exploitation de la série à l’étranger, seulement 27 dollars et 30 cents. Parfois, des scénaristes ne sont même pas crédités.
En ce qui concerne les acteurs multimillionnaires, comme Matt Damon, ils ont eux aussi bien conscience des enjeux qui se jouent actuellement : “C’est une question de vie ou de mort.” Du côté des studios, on envisage toute honte bue la mort, comme le dit si bien ce producteur exécutif à Deadline : “Le but est de laisser les choses traîner jusqu’à ce que les membres du syndicat commencent à perdre leurs appartements et leurs maisons.”
Mais un autre problème majeur préoccupe scénaristes et artistes en tout genre et du monde entier, qu’il soit d’Hollywood ou non : l’utilisation de l’Intelligence Artificielle (IA). Comme le dit Fran Drescher : « nous courons le risque d’être remplacés par des machines et des grandes entreprises, qui se soucient plus de Wall Street que vous et votre famille. » Les capitalistes, en réalité, considèrent déjà les acteurs et les scénaristes, prolétaires, comme des machines. Pour eux, ils ne changent que les machines de l’usine, dont ils n’auront plus besoin de fournir quoi que ce soit pour reproduire la force de travail, puisque celle-ci n’existera plus : on sait que les studios utilisent déjà des IA pour corriger des scénarios ou encore pour rajeunir des visages, et nombre sont ceux qui, face aux progrès techniques fulgurants des IA, pensent qu’un film ne pourra, bientôt, qu’être tourné par des IA et avec des acteurs générés… par des IA ; des images d’acteurs bel et bien vivants qui devraient “pouvoir [être] utilisées pour le reste de l’éternité sur n’importe quel projet du choix [des studios], sans consentement ni compensation”, selon Duncan Crabtree-Ireland, négociateur en chef et directeur exécutif national de la SAG-AFTRA.
D’ailleurs, si on raconte qu’Hollywood a poussé sur une terre fertile, propice aux décors somptueux et aux aventuriers à l’esprit d’initiative, on déchante très vite en apprenant que c’est davantage en raison de l’absence de syndicat, comme le note le scénariste Joseph Armando Soba, que les studios s’y sont installés. Le syndicalisme a toujours fait peur aux bourgeois dans la mesure où il permet au prolétariat d’organiser et de créer un vrai rapport de force (l’expérience syndicale de Ronald Regan l’aurait rendu, d’après ses propres dires, anti-communiste…). Par exemple, lors de la crise des années 30, les studios ont violemment réduit les salaires en fonction du revenu de chacun, promettant de revenir à la normale au bout de 8 semaines, date à laquelle les studios devaient, selon eux, retrouver la forme financière. Cette réduction fût appliquée à tous, sauf… aux scénaristes syndiqués – qui étaient, par ailleurs, nombreux à faire partie du Parti Communiste Américain. Les non syndiqués, notamment les acteurs, se rendant vite compte de la tromperie des studios, décident alors de fonder leur propre syndicat, qui très vite, en raison de la popularité des vedettes, gagne en puissance.
L’importance d’être syndiqué, surtout dans des pays aussi répressifs que les Etats-Unis, apparaît ainsi comme une évidence vitale. Un avis que partageait déjà Jean-Paul Belmondo, acteur et président du syndicat des acteurs français CGT de 1963 à 1966 : “Le spectacle, ce sont les quelque vingt mille comédiens, acteurs de cinéma, de théâtre, de télé, qui travaillent quand on veut bien leur en donner l’occasion et dont beaucoup ont bien du mal à vivre de leur métier, ce métier qu’ils ont choisi et qu’ils aiment. Et ceux-là, je vous assure, ils ont besoin d’être syndiqués et de se battre pour la vie”.
Maxime-JRCF
Pour lire (en anglais) quelques témoignages de scénaristes sur leurs conditions de travail :
https://www.wgacontract2023.org/member-voices/why-we-strike
Sources :
https://www.washingtonpost.com/made-by-history/2023/06/22/wga-strike-hollywood-unions-solidarity
https://www.cnetfrance.fr/news/et-si-l-ia-etait-deja-en-train-de-tuer-le-cinema-39955680.htm
0 commentaires