Précédemment publiée dans notre journal Jeunesse du Monde, nous publions sur notre site la nouvelle de notre camarade Blu intitulée Dans l’attente du tramway, ainsi que sa seconde partie, L’arrivée du tramway.
Ce genre de publication sort de l’ordinaire et jure avec nos autres articles. Pourtant, on ne saurait cantonner les communistes à la simple et juste défense du prolétariat, de l’anti-impérialisme et de l’antifascisme.
Pas plus à l’étude, au moyen du marxisme-léninisme, du « mouvement réel qui abolit l’état de choses existant ». Dans sa réalité vécue, que résume le mot fraternité, le communisme signifie l’épanouissement, en chacune et en chacun des militants, de la générosité la plus désintéressée et des sentiments les plus chaleureux à l’égard de tout opprimé.
Être militant communiste, c’est aussi une sensibilité qui passe par l’écriture. En témoignent les nombreux écrivains et poètes de la sphère communiste. C’est pour cela que nous sommes fiers de publier la création littéraire de notre camarade. En vous souhaitant une bonne et agréable lecture.
Dans l’attente du tramway
Le tramway tardait à venir, et déjà le soleil déclinait. Des reflets de cuivre étincelaient sur les façades de baies vitrées qui bordaient le canal : le jour à la ville donnait un baiser d’adieu. Le vent charriait par vague les feuilles mortes qui s’en allaient tournoyer dans le ciel, et des sacs plastiques prenaient leur envol comme des montgolfières. Un froid glacial s’emparait du Cours Charlemagne. Charlène, elle, se sentait comme en ébullition. Elle avait ingurgité une quantité phénoménale de boisson énergisante. Mais comme d’habitude, elle ne s’en était rendu compte qu’à la fin du service, lorsque la salle du restaurant devenait suffisamment silencieuse pour qu’elle puisse entendre la pulsation détraquée de son cœur. Les pensées se bousculaient dans sa tête comme les usagers du métro aux heures de pointe. Cinq minutes : c’était le temps d’attente affiché par les petits points jaunes sur le fond noir de l’écran qui surplombait le quai. Juste le temps de s’allumer une deuxième clope, se dit-elle. Et tandis que ses pensées semblaient soudainement s’éclaircir, le doute, lui, persistait avec une intensité renouvelée.
L’entretien qu’elle avait eu ce matin avec le directeur du Blue Sky Hotel avait peut-être duré un quart d’heure tout au plus. Il lui avait paru si long que le temps semblait avoir rebroussé chemin. Une agitation inhabituelle affolait les bureaux. L’ambiance était électrique, comme si une guerre allait bientôt éclater. Ce n’était que récemment, lorsque la direction l’avait promue maîtresse d’hôtel, qu’elle avait pu, pour la première fois, pénétrer ces lieux jusqu’alors enveloppés de mystère. Nichées derrière la réception, ces pièces feutrées semblaient faites pour conserver le secret. On y accédait par une petite porte d’une sobriété majestueuse. Ce matin-là, le souvenir de la vive émotion qu’elle avait alors éprouvée en franchissant le seuil de cette porte refit surface. Mais elle se trouva aussitôt prise de vertige sous l’effet du contraste saisissant entre la rectitude géométrique imperturbable des motifs qui ornaient les tapisseries et les moquettes et la frénésie des intrigues qui s’emparait de ces lieux. « J’ai une baraque à faire tourner moi, tu vois. Le problème avec ces enfoirés de syndicalistes, c’est qu’il en suffit d’un et après ça pullule comme des cafards, et ça te fout en l’air le chiffre d’affaires. Ce mec-là, faut qu’on s’en débarrasse avant qu’il vienne semer la merde ! » C’était Karim qui était visé. Jamais Charlène n’avait osé contredire Monsieur le Directeur, mais là, elle se sentit bien obligée de prendre la défense de son collègue : « Mais, Monsieur le Directeur, on peut pas le virer comme ça, vous savez, c’est un très bon élément. C’est vraiment rare un travailleur aussi consciencieux et appliqué. » A ces mots, le directeur fut pris d’un ricanement sardonique qui résonna dans toute la pièce, comme une foule vengeresse en approche. « Charlène, enfin ! Je t’aime bien, tu sais, mais tu es encore un peu naïve à mon avis. Écoute, va falloir que tu comprennes un truc : moi, j’ai pas besoin de travailleurs consciencieux et appliqués, comme tu dis, ce qu’il me faut c’est des employés obéissants, et surtout qui ne la ramènent pas. Y a que comme ça qu’on fait tourner un business. Et si y a bien une chose que tu dois retenir, c’est que personne n’est irremplaçable. » Cette réaction imprévue avait jeté un trouble dans la tête de Charlène, à tel point qu’elle ne savait plus si elle était dans un rêve ou dans la réalité. Et pourtant, il semblerait que le directeur ait mis des mots sur ce qu’elle n’osait plus s’avouer à elle-même depuis longtemps déjà. Il lui exposa son plan : « C’est vrai qu’il est en CDI, ce connard, mais j’ai la solution ! Le seul motif pour lequel on peut le licencier, ce serait pour faute grave. Et c’est là que tu rentres en scène. C’est pas compliqué : tu fais un trou dans la caisse, et tu l’accuses de taper dedans. Et hop ! Mise à pied, lettre de licenciement, tac tac boum boum, et on n’en parle plus. » Charlène comprit à cet instant qu’elle devait faire un choix : c’était soit à son poste soit à son intégrité morale qu’il lui fallait renoncer. Alors qu’elle demeurait pensive et silencieuse, Monsieur le Directeur esquissa un sourire plein de tendresse paternelle : « Je sais bien que c’est pas évident pour toi, Charlène, parce que tu es une personne assez sensible, mais rappelle-toi de ce que je t’ai dit quand je t’ai placée à ce poste : il faut savoir mettre tes états d’âme de côté pour prendre des décisions qui sont parfois difficiles mais nécessaires. C’est comme ça. Quand on a des responsabilités, il faut être corporate. C’est l’entreprise qui passe avant tout ! Je sais que t’en es capable. C’est pas pour rien que je t’ai choisie : t’as toujours été loyale envers moi, et comme c’est moi qui ai fait de toi ce que tu es devenue, j’espère que tu sauras faire preuve de gratitude. »
Ces mots doux, il lui semblait les entendre résonner encore au creux de son oreille au moment où elle sortait fumer sur la terrasse en rooftop. Elle contemplait la vue lointaine sur la Confluence, où les immeubles de bureaux pour jeunes cadres dynamiques et les onéreux logements flambants neufs qui leur étaient destinés avaient presque entièrement recouvert les terrains vagues que les fermetures successives des usines avaient laissés derrière elles, tandis que d’éparses bâtisses délabrées, ainsi que quelques bistrots et petits commerces qui vivotaient avec discrétion, dans le labeur et dans la peine, témoignaient encore humblement du passé industriel et populaire du quartier. « Charlène ? Ça va ? » C’était Audrey qui était apparue inopinément et qui interrompit le cours de ses pensées.
– Ils veulent virer Karim.
– Quoi ? Mais ils ont craqué !
– J’te jure ! Ça les a rendus zinzins dans les bureaux cette histoire. Et maintenant, ils veulent faire un exemple.
Et soudain, elle songea : n’en avait-elle pas trop dit ? Et pourtant, elle ne pouvait rien cacher à Audrey. Il y avait entre elles une certaine forme de complicité qui s’était tissée au cours des services interminables qu’elles avaient dû affronter ensemble certains soirs, à l’occasion de grands événements hyper-médiatisés, où les clients affluaient en masse et sans discontinuer jusque tard dans la nuit. Elles faisaient alors un nombre incalculable de pas, répétaient les mêmes phrases aux clients comme des automates, et les tendons de leurs poignets s’usaient sous le poids des lourdes assiettes qu’elles calaient entre leurs doigts. Il leur fallait également composer avec les blagues obscènes et graveleuses de quelques vieux boomers ventripotents en quête de bonne chère. L’épuisement les menait sans cesse au bord de la crise de nerfs. Pour faire face à l’assaut, elles se soutenaient mutuellement, comme deux soldats envoyés au front, réduits à ramper sous la mitraille ennemie. A l’inverse, il arrivait parfois que l’hôtel soit quasiment vide. Elles se retrouvaient alors, seules au milieu d’une salle désertée, à plier des quantités astronomiques de serviettes, tout en bavardant à propos de choses et d’autres pour tromper l’ennui. Et tandis que les serviettes qu’elles empilaient s’élevaient vers le plafond comme des tours de Babel, elles en venaient à aborder des sujets toujours plus intimes et confidentiels. Néanmoins, Charlène se représentait le retour à sa condition initiale de « petite serveuse » comme une déchéance qu’un mot de trop aurait suffi à provoquer. Aussi, lorsqu’Audrey lui demanda comment la direction comptait s’y prendre pour mettre Karim à la porte, elle prétendit qu’elle n’en savait rien.
Charlène était rongée par la culpabilité. Mais elle ignorait si celle-ci était davantage liée à son manque de loyauté envers la direction ou à son manque de loyauté envers ses collègues. Avait-elle eu tort de dévoiler à Audrey les intentions du directeur, ou avait-elle eu tort de lui dissimuler son plan mesquin pour les réaliser ? Elle avait toujours vu l’entreprise comme une grande famille. Et il est vrai qu’on lui avait beaucoup répété cette théorie. A tel point qu’elle avait pris, pour elle, la force d’une évidence. A présent, la douceur d’une illusion se volatilisait pour laisser place à la réalité dans sa nudité obscène. En somme, elle devait prendre parti. Alors que sa cigarette se consumait lentement dans l’attente du tramway, elle sentait son corps frémir dans l’air glacial de ce mois de décembre 2019. Une décennie touchait à sa fin, et le grand monarque élyséen avait lancé une première offensive sur les retraites.
« Il a totalement raison, Karim. Ils veulent nous tuer au boulot ! La prochaine fois, c’est moi qui vais me mettre en grève. », dit Audrey d’un ton ferme et résolu. Dans la salle de pause où les membres du personnel avalaient leur barquette réchauffée au micro-onde, les conversations allaient bon train à propos de Karim. S’il paraissait judicieux à William, le chef de cuisine, de « cramer les syndicalistes au lance-flamme », la petite assemblée avait plutôt tendance à approuver Karim, bien que la plupart des collègues n’osait pas l’affirmer de façon aussi explicite. Néanmoins, la parole se libérait toujours davantage. Et de Karim, on en venait à la contre-réforme des retraites, et de la contre-réforme, on en venait aux conditions de travail déplorables dont on n’avait, jusqu’à présent, souffert qu’en silence et dans la honte (ce qui n’avait jamais mené, en définitive, qu’à une série d’arrêts maladie prolongés). Et tandis qu’une escarmouche opposant Audrey et William escaladait exponentiellement vers une guerre frontale, les langues se déliaient dans un grand déballage qui avait trop longtemps attendu son élément déclencheur. Une telle effervescence n’était pas sans rappeler à Charlène quelques vagues souvenirs. Une dizaine d’années auparavant, alors qu’elle travaillait comme caissière dans la grande distribution, à peine était-elle entrée dans la vie active qu’elle avait eu l’occasion de prendre part à une grève. Elle y avait observé un processus analogue : à quatre-vingt-dix-neuf degrés, l’eau ne fait que frémir, et il ne suffit que d’un degré supplémentaire pour qu’elle entre en ébullition. Elle et ses collègues n’avaient obtenu rien d’autre que le paiement de leurs heures supplémentaires et la satisfaction de s’être bien battu. Charlène n’avait pas hésité à prendre part au combat : sa dignité était en jeu. C’était à Belfort, dans la ville qui l’avait vue grandir, là où elle avait vu son père, ouvrier de l’automobile, lutter avec rage et ténacité contre la fermeture de son usine, finalement délocalisée en Roumanie, avant qu’il ne sombre dans l’alcool, là où son grand-père, vétéran de la guerre d’Espagne, lui racontait, au cours des longues promenades du printemps renaissant, les combats acharnés des républicains contre les troupes de Franco, la fuite humiliante suite à la terrible défaite qui leur fut infligée, et malgré tout la poursuite de ces combats dans les maquis de Corrèze.
Deux points lumineux apparaissaient au loin, dans l’ombre des platanes. Agrémentée d’un son de cloche au rythme saccadé, une note métallique ininterrompue s’élevait crescendo. Le tramway était en approche. Charlène pensait à Karim. Il avait toujours eu, à ses yeux, une certaine familiarité. Elle ne pouvait éprouver que de la tendresse pour ce jeune homme un peu excentrique qui lui rappelait vaguement son petit frère. Il avait une élégance plutôt étonnante, dont le charme résidait principalement dans cette désinvolture discrète et joyeuse qui détonnait avec l’obséquiosité de ce milieu. Sa sensibilité épidermique et son humeur joviale le faisaient passer pour un original. Et il est vrai qu’ensemble ils riaient beaucoup. Toutes les tares désagréables devenaient objet de dérision, aussi bien celles des autres que les leurs. Il était parfois difficile de savoir s’il était sérieux où s’il plaisantait. Si bien que, lorsque la veille au soir, il lui avait annoncé son intention de se mettre en grève pour le lendemain, sa première réaction fut de rire de ce qu’elle croyait être « une vanne ». Karim la fixait en silence. « Non non, Charlène. Cette fois, c’est pas pour rire. »
L’arrivée du tramway
Tout le personnel du Blue Sky Hotel avait été parqué dans la grande salle du restaurant, où l’on attendait encore l’arrivée de Monsieur le Directeur qui avait préparé un discours de vœux pour la nouvelle année. Au milieu des bavardages, Karim parcourait la salle du regard avec une attention si minutieuse qu’Audrey en fut interloquée : « Tu cherches la petite réceptionniste ? », demanda-t-elle avec espièglerie. C’était la maîtresse d’hôtel qu’il cherchait non sans inquiétude. « Charlène n’est pas là ? » Audrey ne l’avait pas vue non plus. « En retard, peut-être ? C’est bizarre, ça ne lui ressemble pas… » Lorsque Sylvie, la DRH, annonça l’arrivée imminente de Monsieur le Directeur, les conversations se firent soudain plus discrètes, jusqu’à l’extinction complète des murmures. Son entrée en scène eut un effet hypnotique sur un auditoire envoûté par son charisme jupitérien qui avait le pouvoir, dès son apparition, de faire passer la quasi-totalité des employés de la station assise à la station verticale, de telle sorte que les récalcitrants ne passaient pas inaperçus, et étaient bien vite rappelés à l’ordre par les adorateurs. Le directeur maniait les beaux mots avec la virtuosité d’un pianiste. Il appelait ses « collaborateurs » à faire preuve d’audace et de « résilience » pour cette nouvelle année qui s’annonçait prometteuse de grands changements. C’est alors qu’avec ses grands yeux écarquillés il submergea son auditoire de grandes envolées lyriques faisant l’éloge du concept de « changement ». Le « changement » consistait-il à progresser ou à régresser ? C’est une question qu’on serait bien en droit de se poser, après tout. A ce sujet, nous n’en saurons pas plus long. Le « changement » semblait bien être une fin en soi, ou un « challenge », comme disait Monsieur le Directeur, qui exhortait sa « team » à se montrer à la hauteur. L’absence de Charlène n’était pas passée inaperçue. Et tout le monde se demandait ce qu’elle était devenue. Aussi, lorsque Monsieur le Directeur annonça l’arrivée prochaine d’un nouveau maître d’hôtel, cela ne fut pas sans provoquer une certaine stupéfaction.
Qu’était-il advenu de Charlène ? Son nom était sur toutes les lèvres, et chacun y allait de sa petite hypothèse. Les uns affirmaient qu’elle avait présenté sa lettre de démission, les autres prétendaient qu’elle était malade ou encore qu’elle avait fait un abandon de poste pour partir en voyage. C’était un grand méli-mélo de rumeurs alambiquées. Et il n’était pas simple de démêler le vrai du faux. Dans les jours qui suivirent, Audrey avait tenté de la joindre à plusieurs reprises, mais sans toutefois y parvenir. Karim aussi chercha à l’appeler, mais il n’eut pas plus de succès. Était-elle au moins au courant qu’on allait la remplacer ? Les manigances qui se tramaient en coulisse étaient tenues secrètes, et cette dissimulation ne faisait qu’amplifier les spéculations.
Un jour, alors qu’Audrey attendait l’arrivée du tramway dans le froid, elle sentit vibrer son téléphone : c’était Charlène ! Elle avait tant attendu cet appel qu’elle hésita presque à décrocher. Elles se retrouvèrent le lendemain, dans un café de Villeurbanne. Situé au beau milieu d’un quartier populaire, cet établissement lounge, dont le décor consistait en un design très standardisé avec des courbes suggestives, était très prisé des start-uppers qui y organisaient régulièrement des afterworks. Le quartier avait bien changé depuis une dizaine d’années au cours de laquelle les prix de l’immobilier avaient rendu les logements toujours plus difficiles d’accès pour le commun des mortels. Charlène avait le teint pâle. On aurait dit qu’elle n’avait pas vu la lumière du jour depuis de nombreuses années. Et ses cernes trahissaient la mauvaise fatigue nerveuse d’une insomniaque. Une certaine pudeur retint Audrey de la questionner, et c’est elle qui l’informa d’abord de la situation : « Je sais pas si tu sais mais ils veulent te remplacer. » Charlène regardait dans le vide.
– On me l’a pas dit comme ça, mais je m’en doutais un peu.
– C’est-à-dire ? On te l’a dit comment ?
– En fait, on me l’a pas dit, mais de toute façon, ça pouvait pas finir autrement.
Ses yeux se mirent à scintiller. « Y a certaines choses que j’aurais dû te dire… »
Le lendemain, à la pause cigarette, Audrey alla voir Karim : « Viens. Faut qu’on parle. » Ils se mirent à l’écart derrière les thuyas.
– T’as pu la voir ?
– Oui.
– Et alors ?
– Elle m’a tout dit. Et crois-moi, tu devrais rester sur tes gardes.
– Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ?
– Tu te souviens la fois où t’avais fait grève ?
– Ouais ?
– Eh ben eux aussi, et ils veulent clairement se venger. »
Audrey lui exposa le plan crapuleux que la direction avait conçu pour se débarrasser de lui, et que Charlène avait la charge d’exécuter.
– Et donc elle l’a pas fait ?
– Ben t’es toujours là, nan ?
– Ouais ! Pour combien de temps encore ? », rétorqua-t-il en riant la clope au bec.
L’arrivée de Benoît, le nouveau maître d’hôtel était un événement que la direction auréolait d’un certain messianisme. « Cet hôtel a besoin d’une bonne thérapie de choc. », confiait le directeur à sa garde rapprochée. Cet événement, pensait-il, sera une « divine surprise ». Et ses attentes ne furent pas déçues. Dès son arrivée, l’équipe de salle eut droit à son discours martial qui encensait les « battants » pour mieux fustiger les « branleurs ». Alors Karim demanda d’un air naïf si la charge de travail supplémentaire qu’ils allaient devoir accomplir serait compensée par une augmentation. En guise de réponse, un regard torve. Il semblerait qu’on allait devoir se contenter des lauriers de la gloire. Et cette réaction tout-à-fait candide de la part de Karim fut perçue comme un blasphème par ce grand prêtre du « mérite » et de la « valeur travail ». Pareille provocation appelait à des remontrances immédiates, si bien qu’il le prit à part : « Viens là, toi. Tu commences pas à faire le mariole avec moi, parce que ça va pas le faire.
– Ah bah c’est clair que si on bosse plus pour être payé pareil, ça va pas le faire. », répondit Karim d’un air taquin. Cette réponse que Benoît n’attendait pas le fit rougir si brusquement que sa tête ressemblait à une grosse cocotte-minute qu’on aurait trop vissée. « Bon allez, ça suffit, au boulot ! » furent les seuls mots qui parvinrent à sortir de sa bouche.
Le lendemain, alors que Karim arrivait en salle avec nonchalance, il fut brutalement interpellé par Benoît : « Viens là, toi. Y a le directeur qui veut te voir. ». Ils se rendirent aussitôt dans les bureaux où tous les regards se braquèrent avec délectation sur une proie dont on n’allait faire qu’une bouchée. Le directeur toisait Karim d’un air triomphal.
– Dis-moi, Karim, c’est bien toi, hier soir qui a fait la caisse ?
– Oui ?
– Après vérification, il manque cinq-cent balles. T’expliques ça comment ?
Blu
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