Dans une démocratie, 1 personne = 1 vote. Dans le “Brussels Business”, c’est plutôt 1 euro = 1 vote.
Eric Wesselius, activiste du Corporate Europe Observatory (CEO)
Vous connaissez la fable de l’”Europe sociale et solidaire” (1), clamée haut et fort par les sujets-de-pendules thuriféraires et les pères et mères du mythe de la bienfaisance bourgeoise sur Terre, qui expliquent à longueur de journée sur les plateaux tv que le peuple d’en bas n’a raison que lorsqu’il se tait ou bien qu’il légitime les instances bourgeoises (en votant pour le scrutin du 9 juin par exemple). Ces derniers temps, on la retrouve notamment chez Arte (Association Relative à la Télévision Européenne), chaîne sinophobe (2) et russophobe (3) s’il en est, anticommuniste dans l’âme (4), qui propose avec son journal “une approche européenne et culturelle de l’actualité”, autrement dit une approche pro UE-OTAN, qui si elle n’est pas exempt de contradictions se veut claire et nette dans les moments clefs (5) (6).
C’est que ces chaînes, ces plateaux et ces radios (BFMTV, Europe 1, CNEWS, LCI, France 5…) apparaissent tous socialement comme les porte-étendards de la vérité. Bien entendu on se méfie en général de ce que disent les médias, ceci est dit et pensé par beaucoup, mais aussi paradoxal qu’on puisse le croire le fait est qu’ils conservent en réalité une grande légitimité dans le débat public de par leur puissance financière et médiatique. Par conséquent, on peut s’interroger sur les soutanes sous lesquelles ils trimballent leurs propos hideux pour les élever au rang du fatum aux yeux des masses, autrement dit quelles formes leur propagande prend-elle, et comment tente-elle d’invisibiliser la contradiction portée par des reportages d’investigations comme The Brussels Business (2012) de Matthieu Lietaert et de Friedrich Moser, film acheté par Arte dénonçant l’anti-démocratie, le népotisme, la corruption régnantes et la nature de classe de l’UE.
Le reportage, frère renié du documentaire
Ces chaînes, ces plateaux et ces radios sont en effet rôdés au “reportage”. C’est ainsi qu’elles enrobent souvent leur maigre pitance pour paraître plus sérieux.
Ce qui m’intéresse dans un premier temps, c’est que dans le langage courant, on ne fait pas de différence entre le reportage et le documentaire. Voir un reportage d’Arte ou un documentaire d’Arte, peu importe, c’est pareil.
Pourtant, en tant qu’étudiant en cinéma documentaire, on nous rabâche souvent que verser dans le reportage revient à pactiser avec le diable ; qu’il n’est acceptable pour un réalisateur que si ça lui rapporte de quoi manger. En gros, un documentaire, c’est de l’art, du cinéma, ça a de la valeur même si ça ne rapporte pas grand chose voire rien financièrement parlant, et de l’autre côté un reportage ça ne tient que du commercial et de la télévision mais au moins ça permet de se nourrir. Il faut toujours faire en sorte que le film qu’on est en train de faire s’écarte au maximum du reportage.
Ce qui est sous-entendu la plupart du temps par là définit l’approche documentaire en général comme suggestive, reposant sur l’ambiguïté, la “poésie”, la manipulation assumée des images (= montage lent, séquences dramatiques et oniriques, “dispositif” technique similaire à un choix fictionnel, longueurs), a contrario du livre scolaire qui se rapproche alors davantage du reportage en général, sans ambiguïté, dont l’idée principale est entendue par toutes et tous (= interview et voix off explicatives excessives, journalistiques, narration ultra-dirigée, montage efficace ne permettant pas de “blancs”, format court). Cette démarche confuse (au cours de mes études, la distinction reportage/documentaire n’a été que très très vaguement établie) oublie une chose : que le contenu de l’image, qu’il provienne d’un reportage ou d’un documentaire, est le même en ceci qu’il est tiré du réel que partagent tous les genres cinématographiques (horreur, comédie, romance, etc.) – selon un point de vue dia-matérialiste qui admet qu’il n’y a qu’un seul réel. De plus, elle se contredit énormément, notamment lorsqu’elle se penche sur les premières “vues” prises par les opérateurs Francis Doublier, Alexandre Promio, Félix Mesguich et Marius Chapuis à la fin du XIXème siècle (7), tantôt considérées comme les premiers témoignages du documentaire, tantôt comme de purs et simples reportages. Il en va de même pour le fameux film considéré par beaucoup (surtout dans les manuels scolaires d’histoire du cinéma) comme le premier documentaire, Nanouk l’Esquimau (1922) de Robert Flaherty, alors que beaucoup d’autres n’y voient soit qu’un simple reportage, soit un documentaire parmi tant d’autres, sans aucun doute très bon, mais pas le premier…
En fait, le cinéma s’est inspiré des autres arts avant de devenir “7ème art”, titre qui lui était alors fortement contesté. Donc, non seulement le cinéma est traversé par tous les arts comme tous les arts post-cinéma le sont par le cinéma, mais en plus les différents genres cinématographiques (comme le reportage et le documentaire) ne sont pas non plus enfermés dans des vases clos réduisant ainsi au néant toute possibilité l’existence de films trans-genres – possibilité qui est, en réalité, une nécessité (8). Nous réfléchissons, en ce sens, en dia-matérialistes (9)…
Il est en effet difficile de nier qu’un film d’animation “contient” du dessin. Idem pour certains films d’horreurs “contenant” des films comiques, lorsque par exemple une blague ou un choix technique propres aux films comiques sont employés – sans compter le fait qu’ils sont aussi des films de fiction. Ne soyons donc pas surpris de lire des réalisateurs se réclamer du “mélange des genres” – comme on aime bien le dire -, c’est-à-dire réalisant des films avec l’intention consciente que les codes propres de plusieurs genres puissent être exploités à égalité au cours d’un film. Parce qu’aucun objet n’est pur, aucun genre ne l’est.
Par ailleurs, si l’on prend deux réalisateurs de documentaires très connus et très respectés dans les milieux cinéphiles, universitaires et festivaliers (du moins en France), et que j’apprécie beaucoup, à savoir Avi Mograbi (אבי מוגרבי) et Jocelyne Saab (جوسلين صعب), on remarque que leur cinéma se rapproche à maints égards du reportage à proprement parler (10), parfois même de la fiction (surtout pour Avi Mograbi, qui se met en scène), tandis qu’ils sont adulés par les mêmes qui fustigent le reportage.
Afin d’être plus précis, disons en dia-matérialiste que tout film contient un genre prédominant, principal, auquel sont arrimés plusieurs genres secondaires, et que ce genre principal est celui qui lui est socialement attribué par les réalisateurs, les médias et les critiques de cinéma dont les goûts et les méthodes évoluent avec le temps. C’est ce qui nous fait dire que Plaisirs inconnus (任逍遥, Ren xiao yao) de Jia Zhangke (贾樟柯, Jiǎ Zhāngkē) sorti en 2002 est principalement un drame.
Par conséquent, un reportage peut contenir des germes de documentaire, même en contient nécessairement, et dispose ainsi de la capacité de dépasser le caractère principalement commercial pour lequel il avait été produit, tout comme un téléfilm ou une série tv peut acquérir ses lettres de noblesse à l’instar des téléfilms de Roberto Rossellini sortis dans les années 70, sur Socrate, Pascal ou Descartes. En plus, le cinéma contemporain ayant tendance à mélanger toutes les techniques et tous les genres entre eux, il n’est pas possible de fonder de séparations nettes entre le reportage et le documentaire. Tout ce que nous pouvons imaginer, ce sont des distinctions d’ordre général.
Tuer la télévision ou tuer le Père
Notons que la télévision joue un grand rôle dans la production cinématographique : “L’économie de la filière cinématographique [est dépendant d’un système télévisuel] qui est devenu son principal débouché et son principal financier.” (11) Cependant, cette façon d’être à la remorque financièrement pousse le monde du cinéma à craindre le système télévisuel et tout ce qui en découle, système qui n’a pas les mêmes exigences, négligeant notamment la politique des auteurs très importante en France. Son existence menacerait ainsi en réalité la vie du cinéma (on a beaucoup dit que le cinéma était mort à cause de la télévision qui faisait baisser le taux de spectateurs en salles) :
En France, le clivage traditionnel entre cinéma et télévision a longtemps été entretenu au nom d’une hiérarchie symbolique : ayant conquis de haute lutte des titres de noblesse, le cinéma habituellement qualifié de « Septième art » cherche sans relâche à se distinguer d’une télévision qui serait par nature profane, voire représenterait le comble de la vulgarité. Cette caricature est tellement lourde qu’on la croirait volontiers dépassée, mais elle correspond pourtant à des représentations qui exercent encore une certaine influence. (12)
Ce qui justifie du coup le mépris que j’évoquais plus haut pour le reportage – style typique historiquement de la télévision – par les garde-fous du documentaire, qui devrait pourtant s’édulcorer avec le temps vu la proximité purement technique entre les deux pratiques (même si l’influence est plutôt unilatérale, allant du reportage au documentaire, pour des raisons financières) : “Avec un cinéma dont la diffusion est devenue principalement télévisuelle et avec une télévision qui multiplie les téléfilms et les séries de prestige mobilisant des facteurs et des pratiques habituellement considérées comme propres au cinéma, sa définition est encore plus équivoque, plus flottante.” (13) On peut comprendre la critique du reportage d’un point de vue artistique, tant le style est il est vrai ankylosé depuis plusieurs années jusqu’à s’être changé en moule à gâteau indigeste. Mais à force de placer un mur entre le documentaire et le reportage, n’ankylosons-nous pas de la même manière un certain style de documentaire ?
Le mépris pour le reportage puise également ses origines dans la naissance du documentaire contemporain débutant dans les années 60 en France, puis ensuite au Canada, aux États-Unis et en Angleterre, sous le nom de cinéma vérité, construit contre l’ancêtre du reportage (14) (15).
Pour faire simple, c’était l’époque où une parole contestataire devait se libérer, agir pour une contre-hégémonie culturelle exprimées en vérités relatives avec les nouveaux moyens techniques qui le permettaient et les nouvelles manières de faire un film, qui enthousiasmait alors les expériences artistiques (16) (17). On allait alors interroger des quidams, des survivants de l’Holocauste ou alors des personnes à la peau noire, dans une France alors très, très raciste, comme dans Chronique d’un été (1961), une des oeuvres majeures du cinéma vérité (18) (19); avant les années 60, ce qui était appelé “documentaire” c’était ce qui ressemble à nos reportages d’aujourd’hui : didactique, “docucu” (20), ultra-narratif… Pendant que le cinéma vérité s’incarnait dans les films s’approchant le plus de nos documentaires contemporains, en se construisant donc contre ces “docucu” soporifiques (21).
Et comme le documentaire pré-années 60 est l’ancêtre des reportages actuels, et le cinéma vérité l’ancêtre des documentaires actuels, le différend artistique et socio-politique persiste encore de nos jours. Bien entendu, cela n’empêche que le reportage actuel et le documentaire actuel partagent certains traits, de la même manière que le documentaire pré-années 60 et les films du cinéma vérité partageaient certains traits.
On a raison de se révolter
A mon avis, ce n’est pas le style reportage qu’il faut principalement attaquer, mais bien le système de production télévisuel à l’origine du problème car n’ayant que le profit en tête. Ce que font les syndicats de l’audiovisuel combattant la suppression par le gouvernement Macron de la redevance (source principale de financement des services publics de l’audiovisuel), s’indignant de la nomination, en 2022, de la macroniste ultra-opportuniste Aurore Bergé à la tête de l’administration de France Télévision en appuyant en filigrane la responsabilité de l’Union Européenne (22). Ainsi, le style reportage n’est pas en soi un ennemi, on le voit avec The Brussels Business et en constatant ses croisements avec le cinéma de Saab, le sont plutôt celles et ceux qui tirent les ficelles de la production en France.
En outre, si le reportage est le style privilégié, phare, représentatif d’une tendance capitaliste de recherche de profit et donc en ce sens opposé à l’idée d’un art relativement indépendant politiquement, c’est parce qu’il est le meilleur moyen de faire passer une ou plusieurs idées en raison de sa clarté évidente (interview et voix off explicatives excessives, journalistiques, narration ultra-dirigée, montage efficace ne permettant pas de “blancs”, format court) ; c’est moins le cas pour un documentaire, qui laisse plus de “liberté d’interprétation” (comme on aime le dire) au spectateur et a moins vocation à convaincre qu’à raconter. Pour faire simple, le reportage se fait le chevalier blanc de la “vérité” et de l’hégémonie culturelle bourgeoise, qui souhaite asseoir ses opinions anticommunistes, sinophobes et russophobes le plus efficacement possible et sans avoir recours à 36 pirouettes artistiques qui pourraient jeter le doute sur le propos du film (23). A force, ce genre de questions artistiques ne se posent d’ailleurs plus puisque le style du reportage est connu de toutes et tous et admis comme espace de vérité. Regarder un reportage, c’est apprendre, c’est connaître la vie en Nouvelle-Guinée, les Ouïghours, la façon de manger des varans, la Révolution Culturelle, la reproduction des grues du Japon, etc. Le style est le même car la vérité s’énonce de la même manière. Mais le véritable problème, c’est la nature de classe du propos qui est orientée par les classes dominantes et non de la forme en soi du reportage :
On pourrait en effet reprendre le style du reportage pour diffuser des vérités relatives non triées sur le volet pour se faire le relais de la propagande bourgeoise, étant donné qu’il est socialement accepté à notre époque que ce style est porteur de vérités relatives. Par là, le propos gagnerait en crédit.
En reprenant l’exemple d’Arte, le but d’une telle propagande est évidemment de faire le ménage sur le passé douteux de l’OTAN et de l’UE élevés au lait des fascistes allemands et italiens en les légitimant puis en désignant comme les fauteurs de trouble du monde les communistes, et aujourd’hui plus que tout la République Populaire de Chine, la Corée du Nord, Cuba socialiste et la Russie, qui contestent l’hégémonie impérialiste et culturelle étasunienne dopée par ces instances :
Avec le tournant des années 2000, la politique des chaînes se recentre nettement sur ses intérêts propres, et fait apparaître rétrospectivement, par contraste, que pendant plus d’une décennie les chaînes ont plutôt joué le jeu d’un financement du cinéma dans un relatif respect de sa singularité et des diversités dont il peut être porteur. Cette nouvelle orientation politique se caractérise par une prise en compte plus affirmée de critères de décision directement liés à leur modèle industriel et commercial, et par une sélectivité accrue (24).
Cela veut bien dire ce que ça veut dire. Les ciseaux d’Anastasie ne sont jamais bien loin de la vérité révolutionnaire. Une section de la page Wikipédia est même réservée à ces affaires de censure (25). Le pire c’est que ce type de censure n’est pas exclusif à la télévision ni au cinéma quand on sait tout ce qui est interdit et tous les camarades menacés par la justice pour avoir défendu la Palestine (Jean-Paul Delescaut, Mathilde Panot…). Il faut également prendre en compte la censure “sourde”, “douce”, celle qu’on ne voit pas (ce n’est pas parce qu’on ne voit pas les ciseaux couper qu’ils ne coupent pas), puis celle qui fait en sorte que certains ouvrages ou certaines oeuvres ne soient pas promus, ou que certains auteurs ou politiciens, notamment marxistes-léninistes, soient mis sous silence pendant que des facho-délinquants multi-récidivistes comme ceux du RN et de Reconquête sont invités partout.
The Brussels Business : le passage entre les mailles du filet, mais pas trop
The Brussels Business rappelle ainsi le principe d’une exception : celui de confirmer la règle. C’est sûr qu’on entend pas tous les jours sur Arte que “maintenant nous avons des personnes qui ne sont expertes en rien [au sein de l’UE] mais qui sont payées par des clients pour servir des objectifs précis, [ceux des lobbys]” (26).
Par contre, disons-le tout de suite : le reportage est insipide et rébarbatif dans le style. Scènes de reconstitutions en noir et blanc (analepses) pour marquer leur appartenance au passé, musique de thriller omniprésente, archives montées bout à bout uniquement pour illustrer, profusion d’inserts dynamiques, montage limpide, narration bridée… Il met en scène d’une façon incroyablement banale plusieurs personnalités comme Keith Richardson (ex-secrétaire général de la Table Ronde des Industrialistes Européens (ERT)), Siim Kallas (ex-vice-président de la Commission Européenne), Craig Holman (lobbyiste), mais surtout Pascal Kerneis, un important lobbyiste et Olivier Hoedeman, coordinateur des recherches et des campagnes du Corporate Europe Observatory (CEO), qui dénonce le rôle prédominant des lobbys vis-à-vis de l’UE, en partant de l’influence politique dominante de l’ERT (composée de grands patrons) dans les années 90 tournant autour de l’“[adoption du] marché unique [et ouvert], l’union monétaire, des projets d’infrastructures, la dérégulation, du marché du travail flexible, des mesures d’austérité, du dégraissage des services publics” (27).
Ces derniers personnages représentent implicitement les deux tendances politiques majeures pour les réalisateurs du film : la pro-UE-pro-libérale et la critique de l’UE anti-libérale : les deux pôles que sont la droite néolibérale et la sociale-démocratie molle (si ce n’est pas un pléonasme) composant l’UE. Le film part d’une bonne intention en cherchant à critiquer l’UE, mais il tourne vite en rond à partir du moment où lui-même se rend compte qu’il n’y a pas d’autre solution à l’UE que sa suppression définitive. En effet, il se ferait sinon l’apologue d’un Frexit progressiste qui lui arracherait la langue. C’est la raison pour laquelle le film a beau s’ouvrir sur des remarques et questions importantes : le “pouvoir obscur [des lobbys]” ; “l’arsenal néo-libéral [de l’UE]” ; “l’industrie qui opère secrètement dans l’ombre” ; “Qui sont ces gens qui tiennent les ficelles de l’Union Européenne ?”, le coeur du problème, autrement dit la dynamique du capitalisme et les manoeuvres des classes dominantes pour retarder son dépassement, n’est jamais réellement abordé frontalement. J’en veux pour preuve les deux mots que sont “bourgeoisie” et “prolétariat”, qui se trouvent remplacés par “lobbys”, “industrie à l’influence excessive” et “gens”, “citoyens” (28). Il est dit plus loin que “L’ERT et la Commission Européenne travaillaient main dans la main”. Très bien, mais à quelles classes servent-ils ? Le reportage nous apprend aussi que 2 500 bureaux de lobbys jouxtent les rues du Parlement Européen. Très bien, mais pour le compte de quel système de production ? Pourquoi nous dit-il également que la crise de 2008 n’a pu être résolue sans creuser le fond de l’affaire ?
Soyons clair sur ce point, ce manque de clarté n’est pas étonnant et ce serait se tirer une balle dans le pied que d’interrompre l’ennemi en train de commettre une erreur (Arte qui remet indirectement en cause l’UE), c’est-à-dire en condamnant le film dans sa totalité. Il faut soutenir ce type de reportage d’investigation politiquement et idéologiquement, tout en y apportant un point de vue critique idéologique, politique et artistique intransigeant. On peut sans aucun doute supposer que certaines parties plus acides ont été coupées par la production…
Le boycott des européennes : le choix de la paix, des salaires et du Frexit progressiste
Le reportage a l’avantage d’apporter la contradiction en s’opposant incontestablement au système néo-libéral. Après visionnage, seul un macroniste chevronné continuerait à croire profondément en l’”Europe sociale et solidaire”. N’importe qui s’interrogerait sur les façons de sortir de ce bourbier. C’est pourquoi le PRCF appelle à boycotter massivement le scrutin européiste du 9 juin prochain, en partie pour les raisons suivantes :
- Cela fait plusieurs décennies que des députés de gauche ou prétendument de gauche (PCF, LFi, Left Unity, PCE, Die Linke, PTB) siègent au Parlement Européen sans que rien ne change en faveur des travailleurs, ça va même de mal en pis. Ils ont beau dénoncer les pires crasses commises par l’UE, cette dernière continue de livrer des armes, d’augmenter sa politique d’austérité et de faire monter l’extrême-droite partout (29). L’UE n’est pas un frein à l’extrême-droite ni à l’austérité, mais un accélérateur. “La montée de l’extrême-droite en Europe n’est pas une fatalité” nous dit l’eurodéputé allemand écologiste Daniel Freund (30).
- On nous rétorque souvent qu’on ne doit pas faire passer l’extrême-droite, mais elle est déjà au Parlement ! Et Meloni, en Italie, qui appelle à “plus d’Europe” mène une politique pro-européenne, comme la très grande majorité des partis d’extrême-droite en Europe. Il suffit de voir l’enthousiasme de Bardella et de Reconquête. Ce qui révèle une nouvelle fois son caractère de classe : l’UE est un outil de la bourgeoisie et de sa frange extrême (l’extrême-droite), qu’elle fait grimper partout sur son territoire, dont le nôtre, alors qu’elle réprime les partis communistes. “L’UE a adopté l’anticommunisme comme idéologie officielle, ignorant la vérité historique et assumant de grandes responsabilités dans la montée de l’extrême droite” écrit le KKE (grec) (31).
- Les instances de l’UE sont antidémocratiques, Brussels Business le montre très bien. D’ailleurs, vous rappelez-vous du “Non” des français en 2005 à la constitution européenne, piétiné par l’UE qui la fait passer en force, comme dans d’autres pays ? La non consultation des parlements nationaux sur l’accord commercial du CETA ? L’UE n’est qu’un moyen pour la bourgeoisie d’exercer sa dictature de classe et se contrefiche des souverainetés nationales et populaires.
- Les travailleurs ne s’intéressent pas aux élections européennes, ni aux jeunes, voyez les sondages. L’abstention est “en progression” (32) quand seulement 30% des 18-24 ans envisagent d’aller voter pour le 9 juin (33). La classe travailleuse dans son ensemble refuse de perdre son temps et son énergie à participer à ce bal des masques dont l’un des objectifs est de légitimer l’UE en crise.
- A l’heure où un “conflit généralisé” s’apprête à éclater, l’UE mène une politique d’austérité et belliciste, pillant des milliards d’euros dans les salaires des travailleurs et des travailleuses pour les reverser dans l’aide militaire à l’Ukraine, au mépris de la paix, ou bien pour réhausser son budget à hauteur de plusieurs centaines de milliards (34). Elle pense alors de plus en plus à créer une “armée européenne”, évidemment à nos frais : “On ne protégera pas les Européens si on ne décide pas d’avoir une vraie armée européenne” disait Macron en 2018 (35).
- Se prépare ce stade du projet européen qui pointe de plus en plus le bout de son nez, c’est-à-dire l’idée de faire une grande fédération européenne (les “Etats-Unis d’Europe” dont parlait Lénine en… 1916) (36) où les souverainetés nationales seraient servis sur un plateau à l’OTAN avant de finir définitivement aux oubliettes : “La France et l’Allemagne, gouvernées par Emmanuel Macron et Olaf Scholz, sont totalement alignées avec ces propositions fédéralistes.” (37) Une Europe qui plongerait les travailleurs et les travailleuses du continent dans une “barbarie” encore plus dévorante. Il faut urgemment délégitimer l’UE, ce “partenaire incontournable et sans équivalent” de l’OTAN (38), cette machine bourgeoise à broyer des vies.
- Boycotter, c’est jeter les bases du Frexit progressiste. Boycotter, c’est délégitimer l’Union Européenne comme une instance démocratique où la parole populaire à sa place, et faire tomber les masques ! Boycotter c’est révéler son visage bourgeois.
Notre choix du boycott s’est décidé au gré de riches débats et de longues analyses. Tout comme les bolchéviques de Lénine ne se sont pas refusés à appeler au boycottage de la Douma de Boulyguine en 1905 comme à participer à d’autres types d’élections bourgeoises, nous n’agissons pas en gauchistes bornés mais en léninistes. L’instant t exige pour les travailleurs et les travailleuses le boycott, et rien d’autre, pour les raisons que nous avons évoquées ci-dessus. “C’est cette chose si simple que n’ont absolument pas su comprendre les social-démocrates opposés au boycottage” (39) aurait dit Lénine.
(1) Dixit le P”C”F-PGE : http://sante.pcf.fr/43138
(2) https://www.legrandsoir.info/arte-une-chaine-enchainee-a-la-sinophobie.html
(3) https://fr.wikipedia.org/wiki/Arte#Accusations_de_russophobie
(4) Je connais de source sûre l’histoire suivante : l’ami documentariste d’une connaissance à moi, faisant partie du monde du cinéma, faisait un film sur son grand-père communiste. Le film était produit par Arte. Ces derniers ont refusé de faire paraître le mot “communiste” dans le titre, sans donner aucune raison.
(5) https://www.youtube.com/watch?v=fpORbL5USrs / https://www.youtube.com/watch?v=hMjyoyLr384 / https://www.youtube.com/watch?v=9mKSU8bgnS0
(6) “Basée à Strasbourg et composée à parité de deux pôles d’édition et de fourniture de contenus — ARTE France et ARTE Deutschland TV GmbH — la Chaîne est un groupement européen d’intérêt économique (GEIE)”
(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/Reportage
(8) Je précise ici que le nom de “cinématographe” (=du grec ancien κίνημα, kínêma (“mouvement”) et du suffixe -graphe issu de γράφω, graphô (“écrire”)) fait référence à une technique et non essentiellement un art. L’art est venu après (c’est pourquoi je pense qu’il est un peu absurde de parler d’art au sujet des toutes premières oeuvres cinématographiques… ce serait comme dire qu’un vieillard sur le point de flancher est l’égal d’un nourrisson puisque ce dernier vieillit et doit bien mourir un jour, on évince alors à mon sens la différence entre le quantitatif et le qualitatif). “Cinéma” désigne aujourd’hui le circuit de production cinématographique. Cependant, un simple TikTok utilise les mêmes techniques cinématographiques qu’un film hollywoodien, hormis le fait qu’il se trouve hors du circuit de production cinématographique.
(9) Cf l’exemple de la vache dans les fameux Principes élémentaires de philosophie de Georges Politzer.
(10) Je pense à Les 54 premières années : manuel abrégé d’occupation militaire (2021) et à la remarque de Mathilde Rouxel, chercheuse et co-autrice de Le livre pour sortir au jour de Jocelyne Saab, Editions commune et Film flamme, 2023, qui déclare en interview qu’il est “très vrai” de dire que le cinéma de Jocelyne Saab (qui vient du journalisme) entretient des liens avec le reportage. Consultée à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/watch?v=EyusxwLjZlQ&t=928s
(11) Laurent Creton, Cinéma et télévision en France : idiosyncrasies, convergences et recompositions industrielles, Le Temps des médias, vol. 6, no. 1, 2006, pp. 118-128.
(12) Ibid.
(13) Ibid.
(14) L’appellation et les définitions varient en fonction des pays et des personnes qui en parlent (cinéma-direct, ciné-vérité, etc.)… J’essaie de restituer ici les caractères généraux et non pas d’engager un débat.
(15) Séverine Graff, « Réunion et désunions autour du « cinéma-vérité » : le MIPE-TV 1963 de Lyon », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze.
(16) Graff, Séverine. « Chapitre I. Le “cinéma-vérité” comme mouvement. État de la question ». Le cinéma-vérité, Presses universitaires de Rennes, 2014.
(17) Rothberg, Michael. « Le témoignage à l’âge de la décolonisation : Chronique d’un été, cinéma-vérité et émergence du survivant de l’Holocauste », Littérature, vol. 144, no. 4, 2006, pp. 56-80.
(18) Gauthier, Guy. « Chapitre 5. 1960-1990. La parole en direct », Le documentaire, un autre cinéma. Histoire et création, sous la direction de Gauthier Guy. Armand Colin, 2015, pp. 83-122.
(19) Jean-Pierre JEANCOLAS. CINÉMA-VÉRITÉ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : https://www-universalis-edu-com.lama.univ-amu.fr/encyclopedie/cinema-verite/
(20) Séverine Graff, « « Cinéma-vérité » ou « cinéma direct » : hasard terminologique ou paradigme théorique ? », Décadrages, 18 | 2011, 32-46.
(21) Vincent Bouchard, « Dispositif léger et synchrone appliqué : le tournage direct de Mario Ruspoli », Décadrages, 18 | 2011, 86-99.
(22) AVENIR DE L’AUDIOVISUEL PUBLIC (intersyndicale) https://www.sfr-cgt.fr/avenir-de-laudiovisuel-public-communique-de-lintersyndicale/
(23) Bourdieu en parlait dès 1996 dans Sur la télévision.
(24) Op. Cité. Laurent Creton.
(25) https://fr.wikipedia.org/wiki/Arte#Accusations_de_censure / Voir aussi https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-medias/20110430.RUE2050/le-systeme-octogon-arte-la-censure-et-le-tresor-des-nazis.html
(26)
Je m’étais fait la même remarque sur le reportage en deux parties d’Abazoglou Angelos, Chronique d’un ravage, 2020, que j’avais consulté pour mon article sur le cinéma grec et Animal (2023) (https://jrcf.fr/2024/02/12/critique-de-animal-2023-de-sofia-exarchou/). Des chercheurs progressistes comme l’historienne marxiste-léniniste Annie Lacroix-Riz y sont sollicitées.
Je pense aussi au reportage de Paul Moreira sur la forte présence de nazis en Ukraine et le coup d’État pro-américain de Maidan en 2014 qui installa le junte fasciste de Kiev au pouvoir, exploité par Canal + (https://www.youtube.com/watch?v=VLXtWfTcLC4).
(27) Sur leur site, ils écrivent que l’UE est un “projet néolibéral” qui n’établit pas de “connexions démocratiques entre les citoyens de l’UE et les décisions de Bruxelles” et menace de faire monter “l’extrême-droite” dans “toute l’Europe”. https://corporateeurope.org/en/power-lobbies/2016/07/europe-democracy-or-bust-0
(28) Ce qui nous rappelle un slogan mou du P”C”F-PGE : “Pour l’Europe des gens, contre l’Europe de l’argent”.
(29) Comme quoi, Staline avait raison quand il disait que “La social-démocratie est objectivement l’aile modérée du fascisme”.
(31)
(33) https://www.humanite.fr/politique/abstention/europeennes-2024-un-scrutin-sans-les-jeunes
(34) https://www.challenges.fr/monde/la-commission-europeenne-prevoit-un-budget-2021-2027-inedit_584523
(35) https://www.monde-diplomatique.fr/2019/07/LEYMARIE/60026
(36) https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1916/vlimperi/vlimp.htm
(38) https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_49217.htm
(39) https://www.marxists.org/francais/lenin/works/1907/06/vil19070626_3.htm
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