« En 1984, il y a eu un vote pour le statut Lemoine. Nous on a prôné le boycott de cette élection. A Nakéty, y a pas eu de vote, ils ont séquestré le gars qui tenait le bureau. Après, on est restés là, tous les jeunes, jusqu’à 3h30, puis on s’est dit, ‘allez on monte à Canala’. Là-bas, à la mairie, le vieux [Machoro], il est rentré avec son tamioc [hache], et il a cassé l’urne. Après on est revenu. Les gens avaient un peu voté sur le territoire, surtout à Nouméa, pour appliquer la loi Lemoine, mais lui il voulait le boycott actif. »
Marc Fifita-Ne, compagnon de lutte d’Eloi Machoro, propos recueillis par Le Monde.
Figure importante des années 80 du militantisme kanak, Eloi Machoro est toutefois assez peu connu en métropole. Né en Nouvelle-Calédonie en 1945 et mort assassiné par le GIGN le 12 janvier 1985, il fut l’un des symboles de la lutte indépendantiste des kanaks et reste une icône dans ce territoire, son portrait étant reproduit à l’instar d’autres révoltés. Afin d’être plus compréhensible de notre lectorat de l’hexagone, nous allons refaire un rapide tour du contexte calédonien, puis nous verrons le parcours de ce militant hors du commun.
Lors d’un précédent article sur la figure du chef Ataï[1], nous avons rappelé la vaste expropriation du peuple kanak de leur terre par les colons, surnommés les caldoches, les reléguant aux terres les moins fertiles et les parquant dans certains territoires. Depuis l’arrivée des européens, les kanaks se sont révoltés plusieurs fois contre l’occupant, mais la première grande révolte fut celle menée par le chef Ataï en 1878 et qui fut matée dans le sang comme nous avons pu le raconter précédemment. Une seconde grande révolte éclata en 1917 suite à de nouvelles dépossessions de terres et au refus des kanaks de partir en guerre. Encore une fois, la répression fut féroce. La Nouvelle-Calédonie est une colonie de peuplement où l’administration française a tellement favorisé la colonisation européenne, puis l’arrivée d’autres populations des îles, que sa population locale est devenue minoritaire et que la culture mélanésienne[2] risquait de disparaître. On constatait aussi une certaine tendance de la part de la population caldoche à commettre des violences envers les kanaks, sans jamais être inquiétée par la police, cette dernière étant composée majoritairement de cette même communauté.
Au fil des années, plusieurs partis politiques pro-français ou pro-kanak vont se créer, à l’instar du parti marxiste Palika. Nous allons nous arrêter sur un parti en particulier marquant durablement l’histoire de l’archipel : l’Union calédonienne. Créé en 1953 par le député Maurice Lenormand, le parti prône au départ l’entente entre la communauté blanche et les kanak, revendiquant tout au plus une certaine forme d’autonomie. C’est au congrès de Bourail du 22 novembre 1977 que l’UC adopte le mot d’ordre d’indépendance, sous l’égide de Jean-Marie Tjibaou. En 1979, l’UC crée dans cette optique le Front indépendantiste.
Eloi Machoro était un militant de l’UC et a participé aux événements précités en soutenant la ligne de l’indépendance. Grâce à son implication, il a rapidement gravi les échelons : en 1977, il est élu à l’Assemblée territoriale de Nouvelle-Calédonie. Suite à l’assassinat de Pierre Declercq[3], il devient secrétaire général de l’UC en 1981.
Le 18 novembre 1984, face à l’échec manifeste du Front indépendantiste, le Front de Libération Nationale kanak et socialiste est créé en regroupant plusieurs partis politiques kanaks, dont l’UC. Eloi Machoro est nommé ministre de la Sécurité dans le gouvernement provisoire de la République socialiste de Kanaky dirigé par Tjibaou. 1984 c’est aussi le vote du statut Lemoine qui visait à réformer l’exécutif de l’archipel sans donner la possibilité aux kanaks de s’exprimer et en éloignant la question de plus en plus présente de l’indépendance. La stratégie du FLNKS face à cela fut celle du boycott actif de l’élection : empêcher que le vote ait lieu. C’est dans ce cadre que Machoro va réaliser son geste célèbre en brisant une urne de la mairie de Canala à coup de hache[4]. Ce geste est resté gravé par une photo qui fut diffusée à l’international et que vous trouverez ci-dessous.
Après cet exploit, il organisa le siège de la ville de Thio, coupant l’activité de la mine de nickel. Assez surprenant pour le noter, lui et ses camarades ont réussi à désarmer les européens sans coup de feu ! Il reproduit la même chose le 1er décembre 1984 lorsqu’un groupe du GIGN venu délivrer la ville fut obligé de rendre les armes face à la supériorité numérique des insurgés. Seul le capitaine Picon eut une blessure car il se fit gifler par Machoro suite au refus de déposer son arme. Celui-ci, rancunier, fut responsable de son lâche assassinat par la suite.
Le vieil Eloi se cacha de la police et commença à organiser le siège futur de la Foa. Cependant l’assassinat du caldoche Yves Tual le 10 janvier 1985 et les émeutes des caldoches qu’elles provoquèrent, rendirent plus nécessaire le « départ » de ce militant. Le 12 janvier 1985, il est abattu avec un autre de ses compagnons par le GIGN sans qu’il ait tiré un coup de feu. Bien que les avis divergent et que le gouvernement l’ait nié, l’assassinat d’Eloi Machoro était bien prémédité.
Au PRCF et à la commission JRCF nous sommes attachés à célébrer sa mémoire : la cellule du PCF de Lens qui lança le processus de formation de la Coordination communiste du PCF, et donc in fine plus tard le PRCF, s’appelait cellule Eloi Machoro ! Nous avons souhaité par ce court texte rendre hommage à cet homme hors pair, un syndicaliste et un militant progressiste, certes ni un communiste ni un marxiste, mais profondément anti-colonialiste et anti-impérialiste, sachant organiser les masses dans la lutte pour une vie plus digne.
Ambroise-JRCF.
[1] « Ataï, la révolte des kanaks de 1878 », JRCF, 01/09/2020. http://jrcf.over-blog.org/2020/08/atai-la-revolte-des-kanaks-de-1878.html
[2] Les kanaks sont aussi appelé mélanésiens.
[3] Assassinat non élucidé.
[4] « Eloi Machoro : chronique d’une lutte kanak », RFI, 02/10/2020.
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