J’appelle fraternellement les jeunes du PCF et de la JC qui nient en toute sincérité que leur parti se soit social-démocratisé, allant parfois jusqu’à soutenir que Fabien Roussel serait en quelque sorte un révolutionnaire communiste caché (bien caché !), à réfléchir à propos d’une contradiction simple à laquelle ils font face.
L’UE est basée sur des traités qui stipulent que l’économie de l’UE est une « économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée » (Traité de Maastricht), c’est à dire une économie capitaliste dite « néolibérale ». A partir de là, si on veut mettre en place un système socialiste tout en restant dans le cadre légal de l’UE, il faut nécessairement changer ces traités. Or, le PCF souhaite, si on en croit les discours, créer un système socialiste tout en restant dans le cadre légal de l’UE en la transformant en une « Europe sociale ». Donc ils doivent changer les traités.
La procédure de changement des traités, concernant des changements majeurs de ce type, est longue et complexe. Inutile ici de rentrer dans le détail de cette procédure (1), mais il suffit d’avoir à l’esprit qu’à la fin, le changement des traités doit être validé par la totalité des Etats membres, sans quoi aucun changement de traités ne peut être ratifié. Donc changer les traités européens dans un sens rendant légalement possible le socialisme, cela suppose qu’aucun Etat membre ne s’y oppose !
Maintenant, soit le PCF est toujours marxiste et a une analyse de classes de la société capitaliste, soit il ne l’est plus et s’est social-démocratisé.
Si il est toujours marxiste, alors il sait que la bourgeoisie, qui contrôle actuellement les grands moyens de propagande, de production et d’échange ainsi que les éléments clés de l’appareil d’Etat (a minima la haute fonction publique, les officiers de l’armée et les chefs de Police), fera tout pour s’opposer à tout ce qui remettra en cause son pouvoir économique et politique et utilisera tous les moyens à sa disposition pour s’opposer à la construction du socialisme, y compris des moyens s’opposant à leur propre légalité si nécessaire. La conséquence logique est la suivante : face à cela, tout pouvoir populaire voulant construire le socialisme devra nécessairement rompre avec la légalité bourgeoise à un moment donné pour imposer à terme la dictature du prolétariat (2), et donc sortir de facto du cadre légal de l’UE (et c’est d’ailleurs ce que n’a pas compris ou fait semblant de ne pas comprendre Mélenchon : « désobéir aux traités », si cela est fait jusqu’au bout et ne constitue pas seulement un mot d’ordre creux servant à cacher ses contradictions, impliquerait forcément de faire face aux réactions punitives de l’UE et de la BCE et d’affronter franchement l’UE elle-même, et donc de rompre de facto avec l’UE, ou alors de se soumettre comme cela s’est passé avec Tsipras en Grèce. Donc soit on sort de l’UE, soit on n’en sort pas, mais il n’y a pas de « désobéissance aux traités », il faut être clair et arrêter les doubles discours !).
Et quand bien même, par un concours de circonstances improbables, un pouvoir populaire arriverait à s’instaurer dans un des Etats membres et parvienne à résister aux assauts de la bourgeoisie tout en restant entièrement dans le cadre de la légalité bourgeoise (on a vu ce que ça a donné avec Allende au Chili, mais admettons), il faudrait a minima que les autres Etats restés bourgeois n’opposent pas leur droit de véto lors de la décision de changer les traités européens… ou alors que le processus se répète dans la totalité des Etats membres de l’UE en un temps suffisamment court… Tout marxiste qui a une vision rationnelle des choses peut aisément comprendre que c’est impossible en pratique.
Et cela sera d’autant plus impossible qu’à terme, si on ne fait rien, l’UE entamera son saut fédéral européen (3) (que le PCF a contribué à légitimer en participant et en faisant campagne pour les élections européennes (4) ), ce qui signifiera purement et simplement l’interdiction légale de toute politique progressiste et a fortiori du socialisme. Toute construction socialiste par voie légale deviendra donc officiellement impossible. Mais pire encore, ce saut fédéral européen, parce qu’il aboutira à la mise en place d’un super-Etat bourgeois sur fond de dépeçage euro-régionaliste, parce que donc il aboutira à une unité supérieure de la classe capitaliste en même temps qu’à une division supérieure du prolétariat (5), non seulement rendra légalement impossible toute construction socialiste, mais il rendra aussi beaucoup plus compliquée la lutte des classes elle-même et la révolution socialiste au sens marxiste-léniniste du terme. Car, d’une part la classe ouvrière sera plus divisée, et d’autre part le super-Etat bourgeois européen, avec sa police et son armée européennes, sera encore plus puissant pour mater toutes les velléités révolutionnaires sur tout le territoire européen et euro-dépendant. Nous voyons donc bien que cette idée d’Europe sociale est une idée aussi bien catastrophique pour le mouvement ouvrier que délirante et absurde.
Le seul moyen d’éviter la conséquence logique sur la nécessité de rompre avec le cadre légal bourgeois de l’UE pour construire le socialisme, c’est de croire que la bourgeoisie ne s’opposera pas par tous les moyens au socialisme, que nous vivons en « démocratie » où c’est le peuple qui décide par lui-même, et où donc il suffit de convaincre la majorité du peuple au sein des Etats membres dans le cadre d’un débat politique plus ou moins équitable, et qu’une fois cela fait il y aura juste à prendre la décision de changer les traités. Mais ça, c’est justement une conception social-démocrate opportuniste, celle de Bernstein qui disait que, puisque nous vivons maintenant en démocratie, la révolution n’est plus à l’ordre du jour mais il suffit d’obtenir la majorité des voix pour instaurer progressivement, soit le socialisme, soit un capitalisme plus humain.
Ou alors il existe une troisième voie : refuser la conséquence logique d’une lecture marxiste du monde tout en restant marxiste. Mais alors que les jeunes militants du PCF répondent sur ce point : comment compte-t-ils changer les traités européens tout en restant dans le cadre de l’UE, c’est à dire tout en respectant la légalité bourgeoise, et tout en considérant que la bourgeoisie fera tout pour s’opposer au socialisme et mènera une lutte de classes acharnée (c’est à dire tout en restant marxistes) ? Comment arrivent-ils à sortir de cette contradiction ? J’attends la réponse de ces jeunes militants…
William, pour le Collectif luttes
(1) Décrite à l’article 48 du traité sur l’Union européenne : EUR-Lex – 12016M048 – EN – EUR-Lex (europa.eu)
(2) Concept marxiste que le PCF a renié en 1976 à son 22ème congrès, pour ensuite accepter l’élection au suffrage universel du Parlement européen. Après l’abandon du concept de dictature du prolétariat, c’est la référence au marxisme-léninisme qui est abandonnée en 1979, puis suit l’abandon du marxisme comme outil théorique privilégié et de la référence au rôle dirigeant de la classe ouvrière en 1990, l’abandon du centralisme démocratique en 1994, et en 2004 est créé le Parti de la gauche européenne (PGE), tout cela sur fond de suivisme vis-à-vis du PS au nom de la soi-disant « union de la gauche ». Nous le voyons, abandon du marxisme et adhésion progressive à l’UE sont allés de pair, cela au cours d’un processus général de social-démocratisation où le combat électoraliste a petit à petit prédominé sur le combat révolutionnaire et qui a abouti à l’eurocommunisme.
(3) Saut fédéral européen réclamé par les parlementaires européens lors du vote émis par le « Parlement » européen le 22 novembre 2023 sur la révision des traités européens. Voir : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2023-0427_FR.html
(4) Entendons par là, faire campagne pour le PCF aux élections européennes ET pour les élections européennes elles-mêmes, car dans les conditions de 2024, faire campagne pour une liste aux européennes revient à légitimer ces élections européennes et le cadre européen qui va avec.
(5) Ce double processus d’unification bourgeoise et de division prolétarienne doit bien être saisi pour ne pas tomber dans l’erreur courante chez les trotskystes, notamment chez LO, qui pensent que le processus d’ouverture des marchés qui se manifeste à travers la « construction européenne » a quelque chose de progressiste en se basant sur le discours sur le libre-échange de Marx. Si Marx avait raison de défendre le libre-échange à une époque où le capitalisme était encore en phase ascendante et où justement il s’agissait pour le capitalisme de se développer par la lutte concurrentielle entre les capitalistes que permet le libre-échange, on aurait tort de penser que la « construction européenne » au stade impérialiste aurait quoique ce soit de progressiste, « construction européenne » qui n’a pas grand-chose à voir en réalité avec le développement du libre-échange mais tout à voir avec la domination des monopoles capitalistes européens et américains sur le monde. Au stade impérialiste, il ne s’agit plus pour le capitalisme de se développer par la concurrence mais de consacrer la domination des monopoles, et il se caractérise essentiellement par son aspect réactionnaire, destructeur, et même aujourd’hui exterministe. L’UE, c’est l’union de la bourgeoisie contre le socialisme, contre l’unité de la classe ouvrière et pour le partage du monde. La libre-circulation des marchandises se fera de plus en plus sur fond de mise en concurrence des travailleurs entre les différentes euro-régions, c’est-à-dire que l’ouverture économique que permet l’UE est conjointe à la fermeture des relations fraternelles entre les travailleurs. A ceux qui traitent ceux qui veulent sortir de l’UE pour sauvegarder l’unité nationale de nationalistes, nous devons leur rétorquer que eux sont pires que nationalistes : ils sont régionalistes, car le processus de « construction européenne » est aussi bien un processus euro-régionaliste qu’un processus supranationaliste. C’est pour tout cela que Lénine avait raison contre Trotsky de dire que « au point de vue des conditions économiques de l’impérialisme, c’est-à-dire des exportations de capitaux et du partage du monde par les puissances coloniales « avancées » et « civilisées », les États-Unis d’Europe sont, en régime capitaliste, ou bien impossibles, ou bien réactionnaires. »
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