Se défendre – mode d’emploi

par | Août 30, 2024 | Luttes | 0 commentaires

Partie 1 : Les alliances

Au boulot, à la fac, au lycée, ou même au chômage, il se passe autour de nous des choses que nous trouvons indignes, des injustices, des choses carrément abjectes. Mais seul, on se dit qu’on ne peut rien y faire, que c’est comme ça, de toutes façons à quoi bon, ce sont des forces beaucoup trop grandes pour nous. Constat logique : en effet, seul, on est impuissant. Mais partant de ce constat, et quand on en a vraiment assez de se cacher comme un lâche plutôt que de se battre pour ce qui est juste, une idée germe : si je suis impuissant seul, pourquoi ne pas essayer à plusieurs ? Car comme disait l’autre, « tu dirais peut-être que je suis un rêveur, mais je ne suis pas le seul ».

Donc vous avez commencé à rameuter vos collègues, des gens avec qui vous êtes à peu près d’accord. Oh, pas à 100%, et puis y en a qui sont fiables, et d’autres un peu moins. Y en a même un qui a carrément le potentiel de tout faire sauter, mais bon on peut pas le dégager, c’est lui qui a les codes pour accéder au compte administrateur du logiciel de la boîte ou du lycée. Enfin bref, on a quelque chose avec lequel on peut commencer à travailler. Ce quelque chose, appelez-le comme vous voulez, mais en français, ça s’appelle un syndicat, une union de gens qui se battent d’abord pour leurs intérêts contre d’autres intérêts, au sein d’une structure particulière et selon un type d’emploi ou d’occupation assez similaire (oui, il y a aussi des syndicats de chômeurs, renseignez-vous).

Donc on commence à préparer quelques actions pour se défendre, et puis on finit par se rendre compte que l’adversaire auquel on est confronté a plus de moyens à sa disposition, et qu’il part donc avec un net avantage dans le rapport de force, mettons la mairie de la commune qui refuse de faire les inspections sanitaires à la cantine qu’elle est censée prévoir. D’autant qu’il y a déjà eu un ou deux malades de façon douteuse. Se pose alors la question d’augmenter le rapport de force face à un adversaire aussi imposant, et un des moyens les plus intuitifs, c’est de faire alliance avec une autre organisation pour utiliser sa force de frappe… Avec la question toujours délicate de savoir avec qui s’allier, et sous quelles conditions.

Règle d’or : compromis sans compromission

Savoir faire des alliances est un enjeu crucial. On ne peut pas s’isoler dans une position sectaire et refuser de principe tout dialogue avec des organisations différentes juste parce-que leur ligne n’est pas assez pure ou trop différente. Que nous importe que la ligne de l’allié ne soit pas pure tant que leur ligne ne dilue pas la nôtre et que leurs actions sont à notre avantage ? L’important, c’est l’intérêt. Quel intérêt ai-je à discuter avec toi, et qu’ai-je à perdre dans une alliance ?

Voilà le critère essentiel : le refus de la compromission. Une alliance ne doit surtout pas nous amener à réduire nos revendications pour les rendre dérisoires, ou à réduire nos méthodes pour les rendre inefficaces. Dans notre cas de la mairie qui refuse les contrôles à la cantine, l’alliance avec une association locale (appelons-la BioCool™) qui fournit des produits bios à la cantine pourrait avoir son utilité, l’asso étant d’accord avec nos revendications mais souhaitant élargir à la question du respect du système de tri des déchets végétaux dont elle s’occupe et que la cantine ne respecte pas, un accord commun peut-être trouvé et des revendications communes sur ces deux plans peuvent être signées pour sceller une coordination des efforts autour d’un but commun. Une telle alliance pourrait permettre d’enrichir les méthodes de pression, par exemple en réduisant les livraisons à la cantine pour provoquer un dysfonctionnement. Cette alliance serait objectivement bénéfique et permettrait à notre syndicat d’avancer sur son objectif de faire respecter les contrôles sanitaires à la cantine.

Mais si BioCool™ refuse d’augmenter la pression, si elle refuse nos méthodes de manifester devant la mairie et préfère envoyer d’inoffensifs courriers aux élus, ou si elle refuse d’exiger le respect des contrôles sanitaires et souhaite limiter ses revendications à un simple engagement oral de la mairie, alors une telle alliance serait un recul, ce serait une trahison envers nos objectifs, ce serait une compromission. Toute alliance n’est pas bonne à prendre, et chaque alliance doit se faire sur le strict calcul égoïste de « qu’ai-je à y gagner, et qu’ai-je à y perdre ? ». Si je suis mieux seul qu’avec toi, au revoir.

Mais savoir faire des compromis

Il ne s’agit pas de refuser toute alliance qui diluerait tant soit peu nos méthodes et revendications. Il faut également savoir faire des compromis, faire un pas en avant vers l’autre, parfois un pas en arrière sur nos revendications, pour faire ensuite deux pas en avant dans la lutte.

Si BioCool™ nous incite à revoir nos revendications à la baisse, par exemple à exiger le contrôle sanitaire seulement pour les viandes et poissons, mais qu’une telle alliance peut nous permettre de convaincre et recruter pour notre syndicat des membres dans les rangs de BioCool™ et de faire un papier dans la presse qui ralliera une partie des habitants de la commune à notre cause, et que cette revendication minimale est obtenue, cela permettra de renforcer considérablement le syndicat, dont les troupes seront plus nombreuses, plus aguerries, plus optimistes du fait d’une première victoire contre la mairie, et disposant déjà d’un certain soutien de la population. C’est donc un progrès objectif dans le rapport de force de long terme contre la mairie, autant dire que la prochaine fois sera la bonne. Un pas en arrière, deux pas avant.

Compromission sans compromis :

Syndicalisme de classe contre syndicalisme rassemblé

Cette règle d’or du compromis sans compromission, certains l’ont mise totalement sur la tête, ils sont des adeptes de la compromission sans compromis.

Le dernier mouvement défensif contre la contre-réforme des retraites a été historique. La mobilisation a été massive, la répression réelle, et l’opinion publique quasi-unanime. Ce mouvement avait tout pour faire vaciller Macron et sa clique. Mais ce mouvement imperdable a été perdu.

Ce n’est pas tout d’avoir une force de frappe de son côté, il s’agit de frapper au bon endroit, sinon tout n’est que brassage d’air et moulinets. Au sein de cette grande alliance qu’a été l’intersyndicale, alliance de toutes les grandes confédérations syndicales, CGT, CFDT, FO, Solidaires, FSU, CFE-CGC, CFTC, UNSA, les méthodes d’action qui ont été proposées ont été très diverses et sont guidées par une certaine analyse de la société.

Deux visions de la société se sont affrontées dans ce mouvement :

– D’abord, une vision parlementaire. Le jeu démocratique serait bien ficelé et il s’agirait donc d’en appeler à la bonne conscience des députés et de Macron qui ne sont au final pas vraiment informés du mécontentement général et il s’agirait donc de leur faire entendre afin qu’ils prennent la bonne décision. La méthode la plus logique ? Manifester, faire du bruit, distribuer des tracts, passer à la radio, passer des coups de fil aux élus locaux et députés, et rythmer ça en fonction des votes à l’assemblée, afin de les faire changer d’avis, de les faire voter dans le bon sens.

  • Ensuite, une vision de classe. Un rapport de force s’engage entre des groupes dont les intérêts ne sont pas les mêmes : les riches (la grande et moyenne bourgeoisie), qui sont à l’œuvre derrière Macron, ont un intérêt réel à faire travailler les gens plus vieux et à économiser l’argent de l’Etat pour d’autres mesures qui les arrangent comme les subventions aux entreprises. Les pas riches (le prolétariat et autres classes populaires et classes moyennes), quant à eux, n’ont aucun intérêt à s’user la corde jusqu’à 70 ans et préfèrent profiter de leurs enfants et petits-enfants après avoir travaillé toute leur vie. Ces intérêts divergents et irréconciliables ne sont pas modérables par la bonne morale bourgeoise, l’issue du conflit est une question de rapport de force. Pas d’appel à la moralité de l’adversaire, il faut savoir frapper fort, là où ça fait mal, pour faire plier l’opposant.

L’une des organisations qui a historiquement le plus porté cette deuxième vision du monde et cette deuxième méthode d’action est la CGT. Mais au cours du mouvement contre la contre-réforme des retraites, la CGT a lâché le syndicalisme de classe pour préférer le « syndicalisme rassemblé », c’est-à-dire la recherche du plus grand nombre, à tout prix, et avec n’importe quel compromis. Ces compromis se sont faits dans l’acceptation de la méthode de lutte qui est portée par l’autre grand syndicat, la CFDT, qui est bien davantage porteuse de la première vision de la société et de la première méthode de lutte.

Ainsi donc, alors que la CGT aurait pu proposer aux travailleurs des grèves massives, soutenues, continues, afin de paralyser l’économie et de frapper directement au portefeuille les capitalistes qui sont à l’origine de la contre-réforme, toute cette immense foule de gens qui étaient prêts à aller à la bagarre ont reçu la consigne de faire des petites grèves en pointillés et des manifestations selon l’agenda parlementaire.

Et ainsi, surprise, le pouvoir n’avait pas envie d’écouter, il n’en a eu que faire des manifestations, et il a passé ses réformes sans résistance sérieuse. Qui l’aurait cru ? La grande bourgeoisie sait parfaitement ce qu’elle fait et se fiche qu’on lui explique notre colère ? Le monde serait donc fait de rapports de force ? Impensable…

Voilà donc un exemple de compromission totale. La direction de la CGT, en cherchant l’alliance à tout prix, a vendu ses revendications et ses méthodes pour absorber les méthodes les moins efficaces portées par les éléments les plus mous, en vendant ses militants à la CFDT. Autant dire que la partie la plus forte du mouvement a été paralysée par la partie la plus faible. Voilà exactement comment il ne faut pas conclure une alliance.

Maintenant que vous avez le savoir clef pour réussir vos alliances, plus d’excuses. Suivez la règle d’or du compromis sans compromission, sachez reculer pour mieux sauter, sachez maintenir fermement le cap sur vos objectifs de long terme, et avancer avec souplesse et intelligence. Il n’y a rien de pire pour votre adversaire que le moment où vous arrêtez de faire n’importe quoi !

Collectif Luttes JRCF

Sur le même thème que le compromis sans compromission : le soutien critique est une autre façon de mettre ce schéma en application. Celui-ci permet de soutenir un mouvement dans un objectif particulier, sans pour autant s’aligner avec la totalité de son idéologie. 

Exemple : soutien du PRCF au NFP dans sa lutte contre le pouvoir total et anti-démocratique de Macron, voir la dernière vidéo de Georges Gastaud (lien : https://www.youtube.com/watch?v=nSw6nMEByyQ).

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