Attirés par la pseudo liberté qu’offre le secteur et la simplicité d’embauche même sans qualifications particulières, le travail de saisonnier compte en majorité de jeunes travailleurs et travailleuses. Hors emploi agricole la médiane est de 24 ans pour les saisonniers d’été et 27 ans l’hiver (1). S’il est clair que nombres d’entre eux finissent par s’accommoder de ce mode de vie, et même d’en faire les louanges, il faut garder à l’esprit que l’exploitation même dans ses pires conditions n’amène généralement pas à la révolte mais plutôt à une subordination suivie d’une acceptation plus ou moins active (2).
La fragilité et/ou la non existence du contrat de travail sont deux phénomènes récurrents connus du secteur. Par fragilité on entend l’absence systématique de clauses adaptées aux spécificités de l’emploi, mais aussi le non respect des clauses les plus basiques pourtant inscrites dans ledit contrat. Il n’y a par exemple pas de clause de pénibilité dû aux mauvaises conditions météos pour les travailleurs agricoles. En effet les intempéries augmentent le niveau de pénibilité, de difficulté, et parfois même de risque ce qui ne manque pas de ralentir le travail. Si tant est que le travailleur soit payé à la tâche, ce qui n’est pas rare dans le secteur agricole et viticole, il en pâtira sur son salaire. Voilà un bel exemple de la « méritocratie » à laquelle les défenseurs du libéralisme de l’ordre capitaliste sont tant attachés : plus le travail est difficile moins il est rémunérateur (sans parler de l’absence de reconnaissance) !
Mais la fragilité de ces contrats de saisonnier réside aussi dans la nonapplication, par diverses dérives illégales, des droits fondamentaux qu’ils devraient procurer, à savoir : le respect des horaires, du droit à la sécurité sociale, des salaires, et plus largement du plus basique des contrats de travail. Cette non-application est systémique puisque on retrouve au sein des quatre secteurs jugés prioritaires pour le contrôle du travail illégal : l’hôtellerie/Café/Restauration et l’agriculture (avec aussi le secteur du bâtiment et celui du service aux entreprises) qui sont les deux secteurs embauchant la plupart des saisonniers (3). En contrepartie de cette « liberté » dont les aspects positifs ne profitent finalement qu’aux employeurs, et de la pénibilité, le saisonnier se voit verser un salaire légèrement plus acceptable (12,99€/h Brut en été et 13,49€/h Brut hiver en 2019 alors que le SMIC brut était de 10,03€/h en 2019 (4) ) mais ridicule par rapport aux économies faites par de nombreux patrons sur le non-versement de tout ou partie des cotisations sociales et sur l’exploitation abusive des travailleurs. Il faut en ce sens expliquer et ajouter à cela que le travail illégal, fait en surplus, dans la nature de la tâche et/ou en nombre d’heures, est évidemment dissimulé ce qui signifie que les données officielles sont biens en deçà de la réalité du terrain et qu’il faut donc les nuancer. Sans oublier que des allègements, biens légaux, de cotisations spécifiques aux emplois de moins de 6 mois justement pensés pour lutter contre le travail illégal mais qui n’ont sans surprise pas donné de résultats concluants; au cas où certains voudraient faire passer ces méthodes comme une nécessité face à une fiscalité trop lourde (5).
Contractuelles ou non les horaires de travail en particulier dans la restauration sont délirantes. Plus de 11h30 de travail 6 jours sur 7 et même 7 jours sur 7 dans les cas les plus extrêmes. Alors même que la durée absolue prévue par la loi est de 48h (6). « Allez ! C’est la onzième, la dernière heure ! » « profitez bien de votre week (au lieu de week-end car ils n’avaient qu’un jour de repos) » « 7 jour sur 7 forcement on pète un câble à un moment » « la saison est moins bonne que l’année dernière les patrons passerons que trois mois à Bali (restaurant ouvert seulement 6 mois de l’année) ». Voici quelques phrases que les saisonniers s’échangent souvent, parfois en rigolant, parfois moins, et certaines d’entre elles assez explicites témoignent de toutes les difficultés et des injustices du secteur. Si des données officielles concernant ces abus sont difficiles à obtenir et à établir il suffit de s’en référer aux nombreux cas rendus consultables par la jurisprudence impliquant dans le litige des motifs tels que le travail dissimulé et les heures réellement accomplies dans le cadre d’un emploi saisonnier. Ces horaires que peu de monde accepterait dans tout autre secteur deviennent alors une norme pour les saisonniers eux-mêmes. Ceux qui disposent d’un contrat de travail savent bien que les 35 heures qui y figurent ne valent que pour l’inspection du travail et pour l’Urssaf qui soit dit en passant ne voient pas d’incohérences à ce qu’une équipe de 4 cuisiniers puissent enchaîner la mise en place, le service du midi et du soir pour 130 couverts avec seulement 35 heures semaine de déclarées; quelle redoutable efficacité ! Et plutôt que de se plaindre et de lutter contre ces horaires et ces conditions dues au sous effectif qui garanti à l’employeur un bénéfice toujours plus important, des saisonniers finissent par développer une fierté mal placée et un dédain vis à vis du reste du prolétariat qui ne travaille « que » 40 heures semaine. Cela nous renvoie tristement à l’analyse de Simon Weil sur l’acceptation.
Le salaire perçu sera tout de même supérieur à celui d’un 35 heures semaine mais il ne faut pas croire qu’il augmentera de façon proportionnelle. Les employeurs qui ne respectent pas le temps de travail n’ont pas plus de raisons de respecter les taux horaires imposés aux régimes des heures supplémentaires. Si les heures ne se valent pas aux yeux de la loi c’est bien parce qu’elles ne se valent pas non plus en terme de pénibilité, après déjà 8 heures de travail les 3 (ou 4) suivantes sont beaucoup plus pénibles. Dans de telles conditions le corps n’a pas le temps de récupérer pleinement même avec une bonne nuit de sommeil. Il faut imaginer les dégâts que causent un tel rythme sur la jeunesse française. Les évolutions de carrières ne leur sont pas plus favorables puisque il est aisé de voir que peu de cuisiniers deviennent chefs, que peu de réceptionnistes deviennent maîtres d’hôtels, et que peu de travailleurs agricoles deviennent propriétaires terriens. Chaque « rang » intermédiaire n’apportant généralement que plus de tâches à défaut de plus d’argent. Les perspectives d’avenir sont d’autant plus inquiétantes avec une France de moins en moins souveraine face à une UE prête à détruire le moindre acquis social au profit du capital et en particulier du capital transatlantique. L’exemple en date le plus frappant de cette UE indifférente aux travailleurs sont ses directives concernant le rehaussement de l’âge de départ à la retraite des pays membres, déjà décidées et acceptées par nos politiques il y a bien longtemps depuis les accords de Barcelone de 2002 signés par Chirac et Jospin (7).
Des employeurs proposent de loger leurs mains d’œuvres, rendant ainsi plus acceptable un salaire pas à la hauteur du travail accompli, mais il ne faut pas s’attendre à un 25m carré individuel. Et que le saisonnier n’ose pas demander une augmentation de salaire s’il décidait de ne pas loger chez l’employeur, celui ci refuserait d’office ou proposerait une augmentation ridicule, car cet « arrangement » l’avantage bien plus lui que le salarié. Et malgré tout cela pourquoi des gens décident ils de devenir saisonniers ? Parce que beaucoup espèrent à juste titre percevoir plus que le SMIC, en particulier les jeunes qui n’ont pas ou peu d’expérience, et pas de diplôme mais qui doivent travailler. Alors voici « la chance » qui leur est laissée par un système capitaliste débridé : être exploités
plus violemment.
Les perroquets nous rabâcherons que : « ce n’était pas comme ça là où j’étais l’année dernière ! » « moi je loge bien mes employés ! » et cetera, refusant d’entrevoir que même si c’était vrai ce n’est pas à leur personne en particulier mais bien à un système et à des pratiques récurrentes que ces reproches sont faits. À ceux la il faut leur répondre qu’en défendant aveuglément leur propre condition qu’ils jugent eux-mêmes satisfaisante, ils donnent à ce système capitaliste les alibis dont ils à besoin pour continuer à opprimer et à exploiter les saisonniers et plus largement le prolétariat. Partout où des voix se lèvent il n’y a pas que des victoires (8), mais là où il n’y a aucune protestation il n’y en aura jamais. Les mesures que portent le PRCF et la JRCF telles que l’extension et la consolidation des droits des travailleurs et des libertés syndicales dans toutes les entreprises, le rétablissement de la retraite à taux plein à 60 ans, mais aussi et surtout proclamer la supériorité des lois françaises sur les directives européennes permettront d’améliorer concrètement les conditions de travail des saisonniers (9).
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Dans un système sain il faut certes travailler mais il n’est en aucun cas besoin de s’acharner 80 heures par semaines pour vivre plus convenablement.
Luttons contre le capitalisme pour qu’enfin l’émancipation et l’épanouissement de chacun soient garantis et profitent à tous.
(1) données DSN 2019 ; retraitements AKTO / Katalyse
(2) Cf « La condition ouvrière » Simone WEIL
(3) CNLTI, 2018
(4) données DSN 2019 ; retraitements AKTO / Katalyse
(5) Tivierge F., 11/09/2018, Exonérations de cotisations patronales en agriculture : pour la FGA-
CFDT, une remise à plat s’impose, FGA-CFDT
(6) Convention collective nationale des espaces de loisirs, d’attractions et culturels du 5 janvier
1994 – Textes Attachés – Avenant n° 41 du 23 janvier 2012 relatif au temps de travail Etendu par
arrêté du 5 mars 2013 JORF 12 mars 2013
(7) Conseil européen de Barcelone du 15 et 16 Mars 2002
(8) Victoire des saisonniers grévistes de la station de Valmorel : https://france3- regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/info/valmorel-73–fin-de-la-greve-75267.html
(9) Législatives 2024 : 30 mesures immédiates pour reconstruire la France des travailleurs
[Défendez vous, rejoignez le PRCF]
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