Entretien avec Belkys Lay Rogriguez, membre du Comité Central du Parti Communiste de Cuba, le 30 janvier au Palais des Conventions (La Havane)

par | Mar 2, 2019 | International | 0 commentaires

Nous partageons l’entretien réalisé par notre délégation JRCF à Cuba avec Belkys Lay Rodriguez, membre du Comité Central du Parti Communiste de Cuba. L’entretien s’est déroulé avant le référendum sur la nouvelle constitution, qui a abouti à un vote en majorité pour le Oui. 

La camarade Belkys Lay Rodriguez au milieu avec son gilet jaune

Belkys Lay Rogriguez (PCC) : Tout d’abord, bienvenus à Cuba et nous espérons que votre séjour ici se passe pour le mieux, que vous vous sentez comme chez vous auprès de vos camarades cubains.

Commençons par dire qu’il était très important pour nous d’accueillir une délégation de votre organisation de jeunesse, puisque le PCC (Parti Communiste de Cuba) considère le Pôle de Renaissance Communiste en France comme un parti frère, tant du point de vue de son identité politique que de sa ligne idéologique. Votre Secrétaire général, Georges Gastaud est un ami de longue date de Cuba socialiste et du PCC. Nos deux organisations ont donc de nombreuses concordances, et notre Parti est vraiment attentif à développer et à maintenir active cette collaboration. Le moment de la Fête de l’Humanité et de la visite à votre stand est un de ces moments privilégiés d’échange.

Permettez-moi de dire que nous sommes vraiment satisfaits de voir une croissance du nombre de jeunes au sein du PRCF. Votre visite est d’ailleurs un reflet de ce rapprochement entre le Pôle et la jeunesse de France.

Pour rentrer dans les aspects proprement cubains, je suppose que vous avez déjà été informés de la réforme constitutionnelle actuellement en cours, ainsi que des nouveaux Objectifs de la politique économique et sociale adoptés par les XI et XIIème Congrès du Parti Communiste de Cuba. C’est précisément l’adoption de ces objectifs, et notamment la conceptualisation du modèle de développement cubain qui ont mené au besoin de cette réforme constitutionnelle.

Ces objectifs et cette conceptualisation sont une façon pour nous de ratifier nos objectifs fondamentaux, depuis le triomphe de la Révolution. Voilà le message principal que le PCC est intéressé à passer au monde entier.

Ubieta [Enrique Ubieta, rédacteur de la revue théorique du PCC, Cuba Socialista, qui participait à une conférence à laquelle la délégation venait d’assister, ndlr], l’historien que nous venons d’entendre, disait que pendant toute cette période, notre principal ennemi, à savoir l’impérialisme états-unien, n’a cessé de mener une immense campagne de propagande pour affirmer au monde entier que Cuba socialiste s’éloignait de son projet originel. Il est par ailleurs ironique que les États-Unis s’inquiètent à ce point-là de l’avenir de Cuba socialiste, eux qui ont tellement fait pour tenter de nous faire renoncer à la marche vers le socialisme.

Cette manœuvre en apparence pourtant simple et grossière ne porte pas moins de grandes conséquences, en créant de la désinformation chez les peuples du monde entier, mais aussi au sein même des mouvements ou partis de gauche, progressistes. Au cours des différents échanges que nous avons pu avoir avec de tels partis, forces progressistes, en Europe et ailleurs, nous nous sommes aperçus à quel point on se faisait du souci à propos de la continuité du processus révolutionnaire cubain.

C’est pour cette raison que votre visite à Cuba est si importante pour nous, afin que vous soyez des divulgateurs de ce qui se passe réellement à Cuba, sur ce que le PCC et le peuple cubain se proposent de faire.

Une chose très intéressante qui ressort d’ailleurs de ce processus de discussion, c’est que dans le projet initial, la Commission pour le projet constitutionnel n’avait pas inclu explicitement la construction de la société communiste, la transition entre la phase socialiste, comme phase immature du communisme, et cette phase historique supérieure, finale. Le projet initial restait sur la constitution de la société socialiste, puisque nous tenions compte du fait que la constitution allait avoir une influence relativement courte en termes d’histoire. Il ne s’agissait pas d’un renoncement (puisque nous mentionnions le rôle du PCC comme étant absolument dirigeant dans la construction de la société), mais d’une manière de se concentrer sur la consolidation du socialisme.

C’est seulement pendant la discussion avec le peuple que la population a demandé à inclure la mention du communisme. Ceci symbolise quelque chose de très important pour nous, car c’est, de toute évidence, un reflet du niveau de culture politique du peuple cubain, de la solidité et de la cohérence idéologique dont ce dernier fait preuve. La mention du passage à la société communiste a été incluse dans le texte après la consultation de l’Assemblée nationale populaire lors de la seconde session. La constitution précédente, celle en vigueur actuellement [celle de 1976, ndlr], avait dû subir une série de réformes dans le courant de l’année 1992, en raison du bouleversement de la situation internationale due à la chute du camp socialiste européen. Mais il s’agissait d’une réforme à caractère partiel, et non totale, comme aujourd’hui.

L’élément fondamental introduit en 1992 avait été la permission de l’investissement étranger, ici à Cuba.

Cette réforme a eu un deuxième moment, en 2002. Ces derniers changements visaient à protéger, à assurer la construction du socialisme à Cuba avec la présence de cet investissement étranger.

Aujourd’hui, nous pouvons dire que nous nous situons dans le troisième moment de cette réforme. Il s’agit d’une modification beaucoup plus large, beaucoup plus profonde. Afin d’intégrer les réformes économiques du XI et du XIIème congrès du PCC, mais aussi dans le but de mettre l’accent sur le but ultérieur, la société communiste et sa construction.

Nous créons un nouveau secteur de l’économie, le secteur indépendant de l’État, le secteur privé. C’était un élément qui n’était pas compris dans la Constitution de 1976. Dans les nouveaux Objectifs, nous reconnaissons l’introduction non seulement de cette propriété privée, mais aussi de la propriété coopérative, que l’on valorise, même si les principaux moyens de production vont rester dans les mains de l’État.

Nous comptons aussi des modifications liées à la configuration, à la structure actuelle du gouvernement.

Après la mort de Fidel [Castro, ndlr], nous avons besoin de mettre sur pied une constitution plus adaptée aux temps nouveaux : nous sommes en train de chercher une distribution plus efficace du pouvoir. Éviter la centralisation, la concentration, chercher des points de balance du pouvoir. En analysant les expériences historiques précédentes, nous nous sommes rendu compte qu’il était fréquent que certains processus révolutionnaires se transforment dans le temps. Il existe une claire intention, de la part des autorités historiques de la Révolution de garantir le développement et la continuité du processus socialiste.

C’est pour cela que nous avons décidé d’introduire ces changements dans la conception du gouvernement socialiste cubain. Le parti garde toujours le rôle fondamental, central, dans la direction de la société.

Voici, en bref, les changements fondamentaux qu’apporte ce nouveau Congrès.

Nous devons dire aussi que la situation actuelle de l’Amérique Latine a une influence directe sur l’avenir de Cuba, sur la question de la survie de la révolution cubaine. Cela nous affecte aussi. Il y a une croissance de l’agressivité des oligarchies nationales tout au long de l’Amérique Latine, soutenue par l’impérialisme yankee.

Nous pouvons noter une ascension, un resurgissement du fascisme, qu’on ne peut pas limiter à l’Europe, mais qu’on peut remarquer dans toutes les régions du monde. Il y a des liens indéniables entre l’arrivée de Trump au pouvoir, et celle de Bolsonaro, de toute une série de gouvernements de droite dure et d’extrême droite en Europe. Cela n’est pas lié au hasard. Nous pensons que l’unité des forces de gauche devient un élément important pour la survie des projets progressistes, voire du monde en général. Voici le moment dans lequel nous vivons.

Il y a donc en premier lieu un combat idéologique que nous menons, contrairement à certains secteurs liquidateurs et droitiers de certains partis politiques, voire de la CGT. Les secteurs les plus timorés, qui nourrissent le plus de doute sur la participation à ce mouvement, étant bien souvent les plus réformistes, les plus européistes et même les plus atlantistes.

Ce combat idéologique est de prime importance, et la lutte de ligne au sein du mouvement, entre organisations qui y interviennent de manière plus ou moins cachée, est d’autant plus vitale que ce mouvement se réclamait au départ « populaire, citoyen », refusant toute identification politique.

PCC : Qu’entendez-vous par « mouvement citoyen » ? Cela veut dire que cela part des campagnes ?

JRCF : Non, nous employons le terme de « mouvement citoyen » tel qu’il est utilisé pour décrire les mouvements semblables aux Indignés en Espagne, refusant toute étiquette politique, se réclamant d’une totale indépendance vis-à-vis des partis, des syndicats, des organisations politiques traditionnelles. Nous ajoutons que cette réaction instinctive de défiance vis-à-vis de ces organisations est totalement compréhensible en raison de leur comportement attentiste, de leurs déviations social-démocrates et révisionnistes, notamment de la part des états-majors syndicaux. C’est une sanction sans appel contre le manque d’une organisation de combat de la classe ouvrière en France. En France, il n’y a plus de Parti Communiste.

Par rapport aux campagnes, s’il n’y a pas de lien avec le terme même de « mouvement citoyen », la remarque est intéressante. Le fait que le mouvement des Gilets Jaunes soit apparu d’abord dans les campagnes est une donnée très intéressante. Par rapport aux grands mouvements de luttes que nous avons connus précédemment, qui venaient d’abord de Paris (voire, parfois, se limitaient à la capitale), ici, c’est presque le contraire. La France des invisibles, de la périphérie, occupait les ronds-points, et Paris s’est même trouvé en retard par rapport à cette mobilisation nationale. Maintenant, la capitale est devenue un des cœurs de la lutte, mais nous devons aussi compter d’autres grandes villes en province, telles que Bordeaux ou encore Toulouse, où les affrontements urbains, le niveau d’organisation, sont particulièrement développés, parfois davantage qu’à Paris.

Sur les contradictions, il y a bien sûr un risque, comme nous l’avons vu en Italie, en 2012 et 2013 avec le mouvement des « Fourches » (« Forconi ») d’une déviation droitière, conservatrice, voire d’une fascisation, par l’investissement de la colère populaire par des groupes de droite et d’extrême droite, pour tenter de la faire coïncider avec des positions réactionnaires.

En parallèle, le régime macronien essaye de faire monter des listes Gilets Jaunes pour les Européennes, listes en réalité phagocytées par des représentants ou des anciens membres de LREM, ou encore des anciens du PS, de LR.

À côté de ça, il existe un sentiment profond chez la très grande majorité des Gilets jaunes de refuser ces listes. Notre organisation a montré dans ses analyses que cette base était animée d’un sentiment patriotique et progressiste très important, de questions de progrès social, de revendications anti-oligarchiques, de plafonds de salaires, etc. Outre les concertations sur les réseaux sociaux, on peut voir de plus en plus se multiplier les réunions en assemblées régulières, locales. L’idée d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC) est une des revendications phares des Gilets Jaunes, c’est une idée que le PRCF porte dans son programme, mais que nous voulons diriger contre l’Union européenne et contre les monopoles capitalistes.

Macron, pour répondre à cette colère populaire qui s’exprime, sous couvert de répression, de manière violente, a décidé d’ouvrir un « Grand débat national ». C’est de la parlotte absolue, il prétend souhaiter donner la parole au peuple, afin de soi-disant concéder certaines revendications. Mais en même temps, il affirme que son agenda ne changera pas, en prétextant que son élection présidentielle (autour de 20% des inscrits !) a ratifié définitivement sa « vision politique ».

C’est en ça que la réforme constitutionnelle menée en ce moment à Cuba est extrêmement importante pour nous. S’il y a une réforme constitutionnelle, aujourd’hui en France, organisée par Macron, qui n’est que l’homme de main du capital et des monopoles, ce ne serait que pour reculer, ce ne serait que dans un sens réactionnaire.

Cette mobilisation, au-delà de tous ses enjeux, exprime un renouvellement du sentiment patriotique populaire accompagné d’une volonté de progrès social : cela nous conforte dans notre stratégie actuelle de l’alliance des deux drapeaux, de la nécessaire indépendance nationale pour le projet socialiste. Il ne peut y avoir de projet socialiste sans indépendance nationale et il ne peut y avoir d’indépendance nationale sans socialisme. C’est une réalité que Cuba connait bien.

PCC : N’importe quel processus de ce type va être, et est déjà, suivi de très près par le monde entier, par les peuples laborieux, tout comme les partis communistes, dont le nôtre. Surtout en France, étant donné la tradition de lutte héroïque du peuple français et des possibilités que celles-ci peuvent ouvrir pour le monde, pour le mouvement ouvrier international. Pour terminer cet entretien, je me permets de vous signaler que le prochain numéro de Cuba Socialiste contiendra un article sur le rapport entre José Marti et la Commune de Paris.

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