From ground zero : l’humanité malgré tout

par | Août 1, 2025 | Contre-culture | 0 commentaires

Presque deux ans de génocide en cours à Gaza. On a tous en tête les images des bombardements, des corps sans vie sous les décombres, des gens mutilés et de ces soldats israéliens se photographiant avec les vêtements féminins de leurs victimes. Avec toute cette horreur, on aurait presque tendance à ne voir qu’une accumulation effrénée de victimes et pas la subjectivité derrière chacune de ces vies prises par l’occupant sioniste. C’est cette tendance que combat From ground zero, long-métrage d’anthologie composé de 22 courts-métrages de réalisateurs différents, sous la houlette du réalisateur palestinien Rashid Masharawi.

Chacun des films dure entre 3 et 5 minutes et est tourné à Gaza même. Les Gazaouis y parlent de leur combat pour survivre, des traumatismes, de la résilience face à la mort et de leurs espoirs. Le point fort de From ground zero, c’est qu’il y a une vraie expérience esthétique, alors que d’autres documentaires palestiniens récents ont tendance à simplement faire de la documentation filmée, à l’instar de No other land, dont nous avions déjà parlé ici (1). C’est-à-dire que, bien qu’intégralement tourné lors du génocide en cours, le film n’est pas seulement un documentaire. Il ne s’interdit pas la fiction et même l’expérimental. On peut passer d’un témoignage filmé d’un rescapé de bombardement à une séquence d’animation, voire un spectacle de marionnettes. Dans Fragments, un court-métrage sans parole, il s’agit d’assembler seulement les images du passé entre elles. Cet aspect esthétique s’explique par les critères mis par Rashid Masharawi pour l’intégration des films, c’est-à-dire : 1) que cela soit cinématographiquement parlant de qualité, 2) que ce soit une histoire personnelle et pas encore connue.

Le court-métrage Echo m’a à titre personnel marqué pour une chose toute bête : la brutalité du contraste. Sur 3 minutes, nous avons pour image fixe celle d’un homme regardant la mer le matin, paisible, dans une lumière de vacances qui se veut rassurante. A contrario, la bande sonore nous fait entendre la conversation d’un père de famille avec sa femme. L’appel fait ressortir la panique alors que des bombardements ont visiblement lieu. Ce qui crée un choc entre l’apparente tranquillité de l’image et l’urgence provoquée par ce qu’on entend.

D’autres courts se concentrent sur la façon de garder espoir lorsqu’on a tout perdu, comme celui de ce réalisateur gazaoui, obligé d’abandonner son rêve pour survivre au jour le jour, ou de cette plasticienne dont l’atelier a été ravagé.

Des fois, la violence est telle qu’il est difficile de garder l’espoir, comme cette cinéaste qui interrompt son histoire pour nous parler face caméra, sa famille venant de mourir dans un bombardement. On ressent une profonde tristesse derrière chacun de ces films, mais aussi une profonde humanité.

Détail technique, il faut noter l’atténuation des bruits des drones. Nuit et jour, ces engins volent dans la bande de Gaza, créant un vacarme monumental (2) impossible à ne pas entendre et qui, fort logiquement, en l’absence de studio de cinéma à Gaza, est audible dans la plupart des segments de From ground zero. Afin d’atténuer le bruit, les réalisateurs ont dû enregistrer le son dans un placard entouré par des coussins. L’anecdote pourrait faire sourire si elle ne faisait pas ressortir le dénuement des Gazaouis.

S’il y a des points faibles à From ground zero, ce serait tout d’abord au niveau de sa forme (et c’est inévitable), celle d’un film d’anthologie. Cela signifie forcément des films de qualités différentes ajoutés les uns aux autres, quand bien même le producteur se charge de la cohérence du tout. Le second point faible vient de l’absence de perspective de lutte. Ici, aucun soutien quelconque à un projet de résistance palestinienne (probablement pour passer en festival) à l’occupation, même sous forme pacifique. On est bien loin des premiers films palestiniens de Mustafa Abu Ali (3) (4), soutien du FPLP, qui appelait concrètement à l’organisation du peuple palestinien et à sa lutte, tout en hésitant pas à montrer les massacres commis par les sionistes. Force est de constater que cet esprit de combat, en tout cas sa retranscription cinématographique, s’est émoussé et n’apparaît guère plus. La faute sans doute au manque de perspective politique réelle offerte aux Palestiniens pour obtenir l’indépendance, à la déliquescence du mouvement communiste au sein même de la population (et encore plus au niveau mondial) et l’absence concrète de solidarité internationale dans la région proche. Il n’empêche que le peuple palestinien continue à exister et n’est pas prêt à se faire effacer de l’Histoire.

Ambroise-JRCF

(1) https://jrcf.fr/2025/01/15/no-other-land-filmer-la-colonisation/

(2) En ce sens, cela me fait penser involontairement au bourdonnement incessant d’Auschwitz dans La zone d’intérêt de Jonathan Glazer, qui vient toujours nous rappeler l’horreur de ce qui se passe malgré l’apparente banalité des scènes. On me pardonnera le parallèle avec la Shoah, le réalisateur faisant le même parallèle avec ce qui se passe à Gaza.

(3) Voir le fascicule Cinéma de Palestine de l’association Club Lumière.

(4) https://jrcf.fr/2023/11/19/autour-du-cinema-palestinien/

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