L’allocution télévisée d’Emmanuel Macron, diffusée il y a une semaine, avait fait couler beaucoup d’encre sur les réseaux sociaux et chez les éditorialistes. Alors que le président français assume depuis le début de son quinquennat des positions ultra-libérales, cassant méthodiquement les conquis sociaux et enjoignant les citoyens à se « payer un costard en travaillant », il tenait lundi dernier des propos étrangement interventionnistes, voire emprunts d’un léger tournant « social ». Interrompue, la contre-réforme des retraites si impopulaire que Macron s’engageait pourtant à poursuivre jusqu’au bout. Les ouvriers, auparavant stigmatisés comme « analphabètes » (sic), devaient se sentir assurés de la solidarité du gouvernement qui enjoignait le patronat à privilégier la santé de leurs employés qui bénéficieraient du chômage partiel si leur activité ne s’avérait pas de première nécessité. Quant aux travailleurs du secteur de la santé, ils ont été particulièrement distingués par Emmanuel Macron alors que son quinquennat a été marqué par une aggravation de leurs conditions de travail et par une baisse des dotations au secteur de la santé publique. Nous étions en guerre, nous serinait Macron. A cette guerre contre la maladie répondait la nécessité d’une économie de guerre, d’une union sacrée autour d’un gouvernement de crise. Reparti comme en 14, le peuple français, rasséné par une prise en charge arrivée certes tardivement, pouvait regagner ses pénates la fleur au fusil avant de recevoir, dans les jours suivants, un bien cruel démenti.
Car la gestion de la crise du Coronavirus fait, guerre autoproclamée oblige, davantage penser à la première guerre mondiale qu’à l’épidémie de grippe espagnole qui la suivit. Comme en 1914, les prétendues inimitiés politiques de partis formellement rivaux mais représentant objectivement les intérêts d’une même classe se sont respectueusement tues pour laisser place à une concorde nationale, celle de l’union sacrée. Comme en 1914, le Capital a bien dû se résoudre à accepter un interventionnisme gouvernemental plus important et renouer avec une planification honnie il y a quelques semaines. Comme en 1914, la vie de milliers de travailleurs est actuellement en danger du fait de l’irresponsabilité même de ceux qui prétendent aujourd’hui la défendre : le poilu ne se battait pas pour récupérer l’Alsace et la Moselle comme on le lui faisait croire, mais pour les intérêts coloniaux et européens des capitalistes français, pour le repartage du monde impérialiste auquel se livraient les grandes puissances ; l’infirmière, l’ouvrier et le chauffeur-livreur risquent aujourd’hui leur vie parce que celui qui se prétend leur champion, M. Macron, n’a pas jugé bon de prendre les mesures qui s’imposaient en temps voulu, par peur de mécontenter le patronat, et a plus fondamentalement continué la casse du Code du travail, de l’hôpital et des services publics entamé par ses prédécesseurs . Et comme en 1914, cette prétendue « union sacrée » masque en réalité l’aggravation de la lutte des classes, historiquement toujours plus prégnante en temps de crise. Songeons d’abord à l’exemple le plus visible : les cols blancs bénéficient pour leur immense majorité du télétravail, tandis que les ouvriers, techniciens et employés sont, eux, envoyés au casse-pipe au risque d’être infectés par le Coronavirus. C’est même le cas pour la police, pourtant auxiliaire zélée du pouvoir macronien, envoyée contrôler les passants sans masques ou gants. Nous voilà revenus aux temps de Barbusse, où les paysans et ouvriers devaient mourir dans les tranchées sous les ordres de généraux bien à l’abri dans leurs états-majors, ordonnant des offensives meurtrières dont ils sont eux-mêmes bien protégés.
Dans les deux cas, on profite aussi de l’union sacrée pour favoriser, sous couvert de solidarité nationale, les manœuvres d’un patronat bien conscient de ses intérêts de classe. Ainsi, tandis que le président et le premier ministre durcissent chaque jour les règles du confinement et accusent d’inconscience les Français qui s’obstinent à sortir de chez eux, les ministres du travail et de l’économie enjoignent chaque jour les entreprises à ne recourir au chômage partiel qu’en dernier recours et les travailleurs à se rendre sur leur lieu de travail. La nouvelle loi relative à l’état d’urgence sanitaire, promulguée au Journal officiel ce mardi 24 mars, qui prévoit une limitation drastique des libertés publiques pour 2 mois, devait aussi initialement entériner la possibilité pour les entreprises de forcer les salariés à prendre une semaine de congés et à placer leurs journées de RTT pendant le confinement. Suite à l’opposition syndicale massive, cette mesure a finalement été conditionnée à la signature d’un accord de branche ou d’entreprise, contrairement à la possibilité pour les entreprises de secteurs clés (médical, agroalimentaire… et autres devant être précisées par décret du gouvernement !) à s’affranchir momentanément du Code du travail, notamment du repos dominical et des 35 heures, bien conservée dans la loi. Ainsi, il faut que les travailleurs de notre pays ne se laissent pas duper par la prétendue union sacrée du capital, et comprennent que tant qu’ils ne sont pas en mesure de manifester, le patronat n’aura de cesse que de tenter de profiter de la situation pour revenir sur leurs droits.
Les JRCF et le PRCF appellent, quant à eux, à respecter les mesures de confinement dans l’intérêt de nos concitoyens. Celles-ci n’auront du sens que dans la mesure où elles ne connaîtront qu’un nombre restreint d’exceptions. Il est inadmissible que des ouvriers de secteurs non-essentiels comme ceux de la maroquinerie ou de la confiserie risquent leur vie sans que l’intérêt national ne le commande expressément. Il est intolérable que les ouvriers du bâtiment et des travaux publics soient à nouveau sommés de se rendre sur les chantiers alors que la nature même de leur métier, déjà relativement dangereux en temps normal, les empêche de respecter les règles du confinement (plus particulièrement la distance d’un mètre, véritable gageure sur bien des chantiers). Il appelle aussi à désigner la prétendue union sacrée par son nom : union sacrée du Capital, trêve unilatérale du prolétariat au bénéfice exclusif de la bourgeoisie. Même face à la maladie, il ne saurait y avoir de communauté d’intérêt entre les travailleurs et ceux qui les exploitent (désormais à bonne distance) : ce sont les infirmières et les manutentionnaires qui mourront les premiers du Coronavirus, pas les directrices des ressources humaines et les managers qui les poussent à retourner travailler.
Shannon-JRCF
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