2) Les fondements théoriques du centralisme démocratique
a) La nécessaire démocratie dans l’organisation
La réalisation de la démocratie la plus étendue possible constitue notre projet de société et nous ne saurions la promouvoir sans nous l’appliquer à nous-mêmes. Il existe toutefois d’autres facteurs qui font de la démocratie une nécessité pour les partis marxistes.
Le marxisme, c’est-à-dire le matérialisme dialectique et historique, ayant une qualité scientifique de part son essence matérialiste, l’absence de débat signifierait la mort du parti.
De nombreux théoriciens marxistes et dirigeants du mouvement ouvrier ont développé cette théorie, à commencer par cette célèbre citation de Lassalle, reprise en sous-titre des diverses éditions soviétiques du « Que faire ? » de Lénine :
« La lutte intérieure donne au parti la force et la vitalité : la preuve la plus grande de la faiblesse du parti, c’est son amorphisme et l’absence de frontières nettement délimitées ; le parti se renforce en s’épurant. »[1]
Ou :
« L’opposition et la lutte entre conceptions différentes apparaissent constamment au sein du Parti ; c’est le reflet, dans le Parti, des contradictions de classes et des contradictions entre le nouveau et l’ancien existant dans la société. S’il n’y avait pas dans le Parti de contradictions, et de luttes idéologiques pour les résoudre, la vie du Parti prendrait fin. »[2]
Nous pouvons corréler cette dernière citation avec la phase d’Engels :
« La république démocratique [bourgeoise] ne supprime pas l’antagonisme entre les deux classes, elle ne fait au contraire que fournir le terrain sur lequel cet antagonisme se règle par la lutte. »[3]
La lutte interne au parti fut longuement menée par Lénine au sein du POSDR puis de sa fraction bolchevique. Cette lutte peut être illustrée par deux de ses ouvrages phares, Que faire ? Les questions brulantes de notre mouvement et Matérialisme et empiriocriticisme, chacun se situant dans des contextes différents et traitant de domaines distincts.
Dans Que Faire ?, il s’agit pour Lénine d’affirmer la conception marxiste du parti, en le débarrassant -entre autres- des conceptions bourgeoises de la lutte des classes des dits « marxistes légaux », mais aussi de mettre en place une organisation plus forte, plus « professionnelle ». Les thèses développées ouvrage constitueront la base de la scission au IIème congrès du POSDR.
Quelques années plus tard, c’est au sein même du parti bolchevik que Lénine exprimera ses désaccords. En effet, certains de ses membres organisés autour d’Alexandre Bogdanov, alors en conflit avec Lénine pour le leadership du parti, commençaient à répandre des conceptions idéalistes en philosophie à l’intérieur de celui-ci. Il fut ridiculisé par le Matérialisme militant de Georgui Plekhanov, menchevik et Matérialisme et empiriocriticisme de Lénine. Ce dernier remportera la victoire théorique puis politique sur Bogdanov, en réaffirmant les principes matérialistes en philosophie comme seuls fondements théoriques possibles du marxisme. Il constitue aujourd’hui l’un des ouvrages les plus avancés défendant le matérialisme dialectique et historique.
Par la suite c’est avec La maladie infantile du communisme : le Gauchisme que Lénine poursuivra la lutte idéologique au sein de la troisième internationale.
Vient ensuite un autre motif démontrant la nécessité de la démocratie au sein des organisations communistes : le bon fonctionnement des celles-ci est soumis à une discipline de fer de ses adhérents, ne pouvant être obtenue que par un libre consentement de ceux-ci et donc à la confiance qu’ils leur portent, comme le souligne la treizième condition d’adhésion à l’Internationale Communiste :
« 13° Les partis adhérents à l’Internationale Communiste doivent être organisés selon le principe du centralisme démocratique. Dans la période actuelle de guerre civile exacerbée, un parti communiste ne saurait faire son devoir que s’il est organisé de la manière la plus centralisée, s’il y règne une discipline de fer confinant à la discipline militaire, et si son organisme central est puissant, nanti de pouvoir étendus et jouissant d’une autorité morale et de la confiance unanime de ses membres »
La démocratie interne constitue de plus un excellent outil pour procéder à la critique et à l’autocritique. Ce mode de fonctionnement est le seul à permettre la cohésion et le bon fonctionnement de l’organisation sur le court et long terme.
La démocratie dans l’organisation est toujours soumise à l’unité des communistes au sein de leur organisation, tout en étant la condition principale.
b) La nécessaire centralisation
Nous l’avons vu plus haut, Lénine a dénoncé dans Que faire ? une forme d’amateurisme des militants communistes de son époque. Il appelle donc à la création de structures hiérarchisées et centralisées dans le parti, comme conditions de l’efficacité de celui-ci. Se pose alors le problème de la bureaucratisation du parti, heureusement contrebalancée par sa structure profondément démocratique. La relation dialectique qu’entretiennent ces deux aspects au sein du parti est étudiée par Joseph Staline dans l’extrait qui suit.
« [Dans le parti léniniste, le style de travail comporte deux particularités:] 1°L’élan révolutionnaire russe et 2° le sens pratique américain. Le style du léninisme, c’est l’union de ces deux particularités, aussi bien dans le travail du Parti que dans celui de l’Etat. […] L’élan révolutionnaire russe est un antidote contre l’inertie, la routine, le conservatisme, la stagnation dans les idées, la soumission servile aux traditions ancestrales. L’élan révolutionnaire russe est la force vivifiante qui éveille la pensée, pousse en avant, brise le passé, donne la perspective. Sans cet élan, aucun mouvement progressif n’est possible. Mais, dans la pratique, il a toutes les chances de dégénérer en manilovisme[4] « révolutionnaire », vide de sens, s’il n’est uni au sens pratique américain. » […] « Le sens pratique américain, c’est, au contraire, un antidote contre le manilovisme « révolutionnaire » et les élucubrations fantaisistes. Le sens pratique américain est la force indomptable qui ne connaît ni ne reconnaît de barrières, qui aplanit les obstacles de tout genre et de tout ordre par son practicisme tenace ; qui ne peut manquer de mener jusqu’au bout la tâche une fois commencée, fût-elle minime, force sans laquelle on ne saurait concevoir un sérieux travail d’édification. Mais le sens pratique américain a toutes les chances de dégénérer en un affairisme étroit et sans principes, s’il ne s’allie à l’élan révolutionnaire russe. »[5]
En un mot, Staline dénonce ici le gauchisme et la bureaucratie comme dérives possibles si on n’associe pas le mouvement révolutionnaire à la discipline et inversement.
L’efficacité, bien que point fondamental justifiant la centralisation de toute organisation communiste, n’est pas son seul atout. L’unité de la ligne politique et idéologique des organisations communiste est une autre condition de leur succès, comme l’écrit Lénine.
« Le prolétariat, n’a pas d’autre arme dans sa lutte pour le pouvoir que l’organisation, Divisé par la concurrence anarchique qui règne dans le monde bourgeois, accablé sous un labeur servile pour le capital, rejeté constamment « dans les bas fonds » de la misère noire, d’une sauvage inculture et de la dégénérescence, le prolétariat peut devenir – et deviendra inévitablement – une force invincible pour cette seule raison que son union idéologique basée sur les principe du marxisme est cimentée par l’unité matérielle de l’organisation qui groupe les millions de travailleurs en une armée de la classe ouvrière »[6]
Cela signifie donc l’interdiction au sein du parti de la présence de tendances organisées, grande tradition des partis de la IIème Internationale, encore présente aujourd’hui dans des partis comme le Parti Socialiste ou le Nouveau Parti Anticapitaliste. Le développement de ces tendances touche par ailleurs le Parti Communiste Français qui voit, à chacun de ses congrès depuis la période dite de « mutation », la présentation de diverses « Bases Communes » présentées par son Conseil National (équivalent du Comité Central) mais aussi par les divers groupes d’opposition présents au sein du PCF. Un texte dit oppositionnel a d’ailleurs rencontré la majorité des suffrages de la base au cours de la préparation du congrès d’Ivry, le dernier en date. De pareils conflits ont déjà eu lieu au PCF, notamment à la fin des années 1960 autour du philosophe alors marxiste Roger Garaudy, réclamant un « droit d’expression de la minorité ». Devant cette pression pour l’autorisation de la mise en place de tendances au sein du PCF, la direction d’alors, encore empreinte des principes du marxisme-léninisme, a voté l’exclusion de R. Garaudy, suite à de nombreux débats internes[7].
L’unité du parti est par ailleurs une nécessité liée au rôle que lui attribue Lénine, c’est-à-dire de former un détachement d’avant-garde, apte à diriger la lutte de la classe ouvrière.
« Du point de vue de Martov, les limites du Parti restent absolument indéterminées, car « chaque gréviste » peut « se déclarer membre du parti ». Quelle est l’utilité de cet amorphisme ? La large diffusion d’une appellation ? Elle a ceci de nuisible qu’elle comporte l’idée désorganisatrice de la confusion de la classe avec le Parti. »[8]
« Mais le Parti n’est pas seulement la somme de ses organisations. Il est en même temps le système unique de ces organisations, leur union formelle en un tout unique comportant des organismes supérieurs et inférieurs de direction, la soumission de la minorité à la majorité, avec des décisions pratiques obligatoires pour tous les membres du Parti. Sans ces conditions le Parti ne peut former un tout unique et organisé, capable de réaliser la direction méthodique et organisée de la lutte de la classe ouvrière. »[9]
[1] F.LASSALE dans une lettre à K.MARX datée du 24 juin 1852
[2] « De la contradiction », Œuvres choisies T.1 ou « Citations du président Mao Tsé-Toung », MAO T., p.288, Editions en langues étrangères de Pékin
[3] « L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat », F.ENGELS, p.78, Ed. Costes
[4] Manilov, héros des « Ames mortes » de N. GOGOL, personnifie l’esprit chimérique, les rêveries insensées et sentimentales
[5] « Des principes du léninisme », J.STALINE, pp.119-121, Bureau d’Editions
[6] « Un pas en avant, deux pas en arrière », Œuvres T.7, V.LENINE p.434, Editions Sociales/Editions du Progrès
[7] Publiés dans « La Nouvelle Critique », revue théorique du PCF de l’époque
[8] « Un pas en avant, deux pas en arrière », Œuvres T.7, V.LENINE, Editions Sociales/Editions du Progrès
[9] « Des principes du léninisme », J.STALINE, p.108, Bureau d’Editions
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