Don Dada Mixtape vol 1 : le rap est mort, vive le rap

par | Jan 31, 2021 | Contre-culture | 0 commentaires

 Il n’y a pas longtemps, dans une galaxie rapologique peu lointaine, très peu lointaine, le temps du péril a commencé pour la rébellion. Malgré l’avènement d’un second âge d’or du rap (français) en 2017, l’armée impériale des majors a chassé les rebelles de leurs ondes et poursuit les jeunes talents à travers les banlieues franciliennes. Après avoir échappé à la redoutable escadrille cosmique de l’Empire, un groupe de résistants mené par Alpha Wann a établi un nouvel album secret sur le label indépendant Don Dada Records, la Don Dada mixtape vol. 1.

Le 18 décembre 2020, au pied du sapin, sort le premier album réunissant les artistes du label Don Dada Records fondé par Alpha Wann, ainsi que d’autres invités de marque. Cet article aura pour but de donner envie d’écouter ce projet musical d’une qualité qui se fait de plus en plus rare dans un genre déjà en perdition et pourtant si populaire. Ainsi en guise d’introduction nous essayerons de pointer du doigt la manière dont l’industrie musicale a souillé, pour la deuxième fois, un mouvement qui se veut, si ce n’est politique, au minimum contestataire avec des contours de réalisme qui feraient baver la plume de Zola (Emile, pas le rappeur).

Le Rap est mort

Ceux qui sont nés à la fin des années 90 avec l’amour du rap – la fièvre d’un mouvement qui succédait à des décennies de rock et de tous les genres qui en ont découlé, ont pourtant grandi dans les années 2000 avec un slogan généreusement floqué sur des t-shirt : « le rap est mort ». Sans avoir la prétention de pouvoir expliquer dans les détails ce qui a provoqué l’émergence de ce poncif nous pouvons facilement le comprendre. Le rap a émergé en France dans les années 90 avec une profusion d’artistes en tout genre et de pratiques toutes plus ou moins nouvelles allant du beatbox au graffiti. Le phénomène est souvent débattu par les passionnés pour savoir s’il est politique ou seulement artistique. Nous qui pratiquons l’art de la politique trancherons ce débat en disant que le mouvement est populaire. Bien-sûr il serait stupide de tomber dans le mythe du lumpen prolétariat qui aurait vu se transformer de véritables loubars en artistes à la plume aiguisée et les rappeurs les plus connus sont bien souvent passés par quelques années à l’université. Toujours est-il qu’à la fin des années 90 ce mouvement qui grossit dans les banlieues, avec une musique que l’on se passe via des cassettes gravées des émissions radio qui passent aux horaires les moins rentables, brise un plafond de verre et s’impose sur les bandes FM. Il s’impose tout d’abord en étant porté par un public fidèle qui impose ses artistes, à l’image de Booba pourtant déjà en indépendant à l’époque. Mais le succès a un prix et l’offre répond à une demande celle d’être diffusée en club et d’être rentable, avec un public qui s’élargit. Aussi rapidement que le genre était apparu sur les ondes, il vit disparaître ce qui faisait son charme pour les puristes : finis les « freestyles » de 10mn et les descriptions hautes en couleur des murs gris des tours HLM et de nos conditions matérielles d’existence, place aux 3 minutes qui font danser.

Le Rap est mort, vive le rap.

Soyons clair, un genre musical ne meurt pas, en revanche on peut le salir. C’est ce qui s’est passé dans les années 2000 et c’est ce qui se passe aujourd’hui. Allez simplement regarder un clip du jeune rappeur Kanoe : non vous ne vivez pas un retour à la chute de l’URSS dans les années 90 ; cette jeune tête blonde en vêtement de sport Adidas qui fume ses premières mentholes n’est pas un Gopnick mais bien le nouveau buzz internet porté par l’industrie sous le feu des projecteurs. Cas isolé, direz-vous ? JulienBeats, youtubeur âgé de seulement 12 ans invité dans l’émission Planet rap sur Skyrock. Evidemment les amateurs de rap rétorqueront que si l’on aime le genre on n’écoute pas Skyrock, pourtant l’émission reste incontournable pour beaucoup ; et que diraient les amateurs de cinéma si un enfant prépubère était invité sur France-Culture pour débattre du dernier film de Gaspard Noé ? Même si la comparaison est un peu grossière, il n’en reste pas moins que médiatiser un enfant de 12 ans est simplement irresponsable ; mais surtout donner du crédit à la parole d’un enfant qui se prétend critique rap au collège, c’est en donner très peu à un genre qui rappelons-le, est avant tout populaire. Finalement si le rap meurt, ce n’est que médiatiquement, symboliquement, à l’inverse du vieil adage « le roi est mort, vive le Roi ». Ici ce n’est pas le corps matériel du rap qui est mort, mais le corps symbolique. En effet, les rappeurs de qualité tout comme les critiques et les émissions de bon goût continuent d’exister, et avec une place encore plus grande qu’avant, comme le dit si bien le rappeur Flynt : « Les émissions rap français, faut écouter les bonnes sinon j’espère que t’aimes le reggaeton » (1). Pour conclure cet avant-propos, ne soyons pas étonné que ceux qui, à leurs débuts en 2012, avaient rendu au rap ses lettres de noblesse sont ceux qui aujourd’hui en portent encore le flambeau. Nous parlons évidemment des membres du groupe 1995, Alpha Wann en tête et Nekfeu, qui apparaît sur pas moins de 4 titres de la mixtape.

A propos de la mixtape

Dans la grande tradition des compilations rap l’album compte de multiples producteurs ainsi qu’une petite dizaine de MC, permettant d’explorer différents genres d’instrumentales, de flux vocaux, de voix et de thèmes. L’album n’a pas réellement de fil directeur si ce n’est le reflet des goûts de qualité d’Alpha Wann et un héritage de l’école du rap new-yorkais. On retrouve donc les artistes qui gravitent autour du rappeur qu’ils soient ou non signés sur le label Don Dada Records ainsi que des invités plus surprenants mais non moins attendus comme les rappeurs hardcore Kaaris ou Kalash Criminel dont nous avions déjà traité ici de ses textes aux reflets panafricains (2). En somme on se délecte à l’écoute des instrumentales de qualité, des textes travaillés aux rimes aiguisées qui prêtent parfois à sourire tant les images et métaphores sont souvent bien trouvées, de l’intelligence de certains propos et bien sûr du phrasé impeccablement articulé des rappeurs qui décortiquent chaque syllabe comme s’ils rappaient pour leurs génitrices ; ajoutez à ça quelques couplets et refrains chantés pour que l’harmonie soit parfaite. Il semble bien que si les salles de concert sont fermées depuis bientôt un an, le confinement aura pourtant fait couler beaucoup d’encre dans la musique. Il ne servirait à rien d’aller plus loin dans la critique, la qualité du projet parle pour lui et avec une promotion pourtant discrète, l’album a cumulé pas loin de 4 millions d’écoutes en 24h après sa sortie. Comme le rappeur le dit lui-même, il vend non pas car il fait du rap pour vendre, mais car c’est un rappeur « J’suis un soldat, pas un mercenaire et je sais comment la guerre se mène / J’pense à mes derniers jours, pas au nombre de ventes de la première semaine », philly flingo.

Quelques rimes

« J’arrive, brûlant comme le pot d’une Mitsubishi

Ils n’aiment pas les étrangers, sans les étrangers, quoi, ils seraient encore en train de vivre sous Vichy »Alpha WannMitsubichi

Alpha Wann rappelle à fort juste titre qu’il faudrait expliquer aux faux patriotes du Rassemblement National que pendant que l’extrême droite collaborait dans sa grande majorité avec les nazis et dilapidait le pays, les étrangers et particulièrement les Francs-Tireurs et Partisans – Main d’Œuvre Immigré (FTP – MOI) qui étaient les unités de la résistance communiste ont largement participé de l’intérieur à la libération nationale. De l’extérieur, ce sont les troupes coloniales qui ont payé de leur sang la libération, à l’image des tirailleurs sénégalais et algériens, des zouaves et des spahis.

« Du rap hardcore mais j’suis mal à l’aise quand y a des tits-pe qui chantent à tue-tête » Nekfeu, aaa

Nekfeu dit se sentir mal à l’aise d’entendre des enfants connaître par cœur des chansons de rap hardcore, cela revient à ce que nous disions en introduction, les plus jeunes sont les cibles marketing d’un marché rap fructifiant. Le résultat final étant l’abrutissement total des plus jeunes qui assimilent un contenu sans avoir les moyens de le digérer, et un nivellement vers le bas du genre de la part des diffuseurs. 

« J’crois à la paix mais j’crois pas en l’ONU

Certains vont à l’école en pirogue et d’autres vont au casino en Ubercoptère

Moitié plein ou moitié vide, moi, j’vois le verre comme tel

Vous êtes l’Amérique, nous, la Corée du Nord, vous êtes les Bush, nous, c’est les Kim » Alpha Wann, aaa

Ici, le rapport de classe est sans équivoque pour le rappeur : d’un côté ceux qui vont à l’école en pirogue et ceux qui vont au casino en Ubercoptère, le terme Uber soulignant que celui qui se déplace en hélicoptère ne le conduit pas et donc que celui-ci exploite l’autre. Alpha Wann dit croire en la paix mais pas en l’ONU : en effet si depuis sa création après la seconde guerre mondiale aucune démocratie libérale n’est rentrée en guerre avec une autre démocratie libérale, il semble néanmoins que toutes les guerres récentes ont impliqué au moins une démocratie libérale. Ainsi l’ONU, de par son fonctionnement intérieur actuel si peu démocratique, semble plus prompte à défendre les intérêts des puissants qu’à garantir la paix. Cet anti-impérialisme se retrouve dans la dernière phrase qui peut prêter à de multiples interprétations (3). Pour nous communistes il est clair que l’Amérique (comprendre les Etats-Unis) désigne une concurrence qui fait tout pour l’argent, et qui fait mal, tandis que la Corée du Nord désigne ceux qui essayent de toujours faire mieux, malgré la censure (économique pour la Corée du Nord, mais également pour le rappeur qui n’est que très peu diffusé sur les radios). En sommes d’un côté les bourgeois, de l’autre les prolétaires.

« C’est la justice que la street demande, les concerts disent vrai quand les streams te mentent

Les écoles de commerce scrutent le plan sans scrupule, voyant que nos structures montent » Nekfeu et Alpha Wann, Malevil

Alors que l’ensemble du rap, et de toute musique, fonctionne presque uniquement sur la vente de titres, cela ne reflète en rien la qualité de l’artiste, et seules les salles de concerts pleines attestent de la fidélité du public. Ainsi, les écoles de commerce s’intéressent à la manière dont ces rappeurs accèdent au succès alors qu’ils rappent en dehors des codes (bourgeois). En réalité, les écoles de commerce qui sont des usines à produire des technocrates ne produisent rien d’autres que des techniques de ventes pour exploiter la plus-value du travailleur : ici les rappeurs. En d’autres termes, la logique actuelle voudrait que les artistes aient besoin des maisons de disques, or ce sont les maisons de disques qui ont besoin des artistes, de la même manière qu’un patron a besoin de ses employés et non l’inverse. Coluche le soulignait déjà habilement en son temps : « Les technocrates, si on leur donnait le Sahara, dans 5 ans, faudrait qu’ils achètent du sable ailleurs » (4).

« Lui ? Il me donne des ordres, il est plus jeune que moi, j’n’ai pas de drogues, j’n’ai pas d’armes contondantes

Va te faire foutre sale abuseur de loi, de mon vivant, je n’crois pas qu’on s’entende

Les flics d’en haut ont investi dans le hall, les plus gros poissons sont scret-di dans l’eau

Les flics d’en bas, s’équipent en balles, ils veulent juste arrêter les bronzés qui gambadent » Alpha Wann, La lune attire la mer

Extrait du dernier couplet de l’album où Alpha Wann se livre à un pamphlet que le pseudo-syndicat Alliance qualifierait généreusement d’anti-flics. Pourtant la réalité colle tristement aux semelles de ses rimes. Les policiers abusent de plus en plus de la loi, et la toute première des infractions qui se généralise est sûrement le non-respect du port du RIO (Référentiel des Identités et de l’Organisation) qui permet d’identifier un policier et ce notamment lorsque celui-ci enfreint les règles. Le rappeur dénonce l’incohérence d’une institution corrompue : En haut les policiers gradés laisseraient les trafiquants agir en contrepartie d’une rémunération (5), en bas la fascisation de plus en plus alarmante de certains policiers (6) qui s’engagent selon le rappeur pour « juste arrêter les bronzés qui gambadent ». Avant de critiquer la police, Alpha Wann condamne également l’impérialisme français en Afrique et le racisme en col blanc dans le Football (7). Si l’album est conclu par un couplet très politique, et si nous avons ici extrait les rimes qui nous semblaient les plus percutantes d’un point de vue progressiste, il convient de dire qu’il regorge néanmoins de mesures plus poétiques ou parfois plus crues qu’une seule écoute ne permettrait pas de toutes relever. Ainsi pour poursuivre la lecture de cet article il convient d’écouter et réécouter l’album disponible ici, ainsi que le premier album d’Alpha Wann « Une Main Lave l’Autre », bien plus complet et qui constitue déjà une œuvre culte dans le rap français :

Baba-JRCF

  1. https://www.youtube.com/watch?v=IIktt97_EBQ

(2) http://jrcf.over-blog.org/2020/10/kalash-criminel-du-rap-panafricain.html

(3) https://intrld.com/coree-du-nord-rap-francais/

(4) https://www.youtube.com/watch?v=LfcUEQQTiek

(5) https://www.lefigaro.fr/actualite-france/a-paris-deux-policiers-mis-en-examen-pour-trafic-de-drogue-et-corruption-20190615

Ahttps://www.lexpress.fr/actualite/societe/scandale-dans-la-police-du-93-ce-que-l-on-reproche-aux-agents-mis-en-examen_2129888.html

(6) https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/police-policiers-et-violences-policieres-lanalyse-du-prcf/

(7) https://genius.com/Alpha-wann-la-lune-attire-la-mer-lyrics

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