C’est quoi ?
Le Proletkult a été créé en septembre 1917, donc avant la révolution d’Octobre. Il s’agissait d’une structure autonome et parallèle au Parti bolchévique, tout en étant encadrée par des militants communistes. A son apogée en 1920, il revendiquait 400 000 membres, répartis en 300 sections locales. Le Proletkult éditait une quarantaine de journaux et de revues. Il possédait aussi différents studios dont le dernier sera supprimé en 1932. Cette organisation se trouvait dans divers secteurs de la vie soviétique, dont les laboratoires, les bibliothèques et même dans l’Armée rouge. Il était globalement composé d’individus de la toute petite bourgeoisie et d’employés, d’ouvriers et paysans sachant écrire et lire à une époque où l’analphabétisme était important. Ils se réunissaient pour écrire des pièces, réaliser des toiles, écrire des textes dont des poèmes, organiser des festivals révolutionnaires, des concerts populaires, etc.
Qui en sont les acteurs ?
On y trouve des personnalités comme Alexandre Bogdanov, le philosophe et scientifique qui a connu longtemps des affrontements avec Lénine (le livre de Lénine en 1908, Matérialisme et empiriocriticisme, était tourné contre lui) ; Anatoli Lounatcharski, Commissaire à l’Instruction ; Vsevolod Meyerhold, un grand metteur en scène soviétique qui a tenté un peu avant Brecht de sortir les spectateurs – notamment les ouvriers – de leur léthargie ; Vladimir Maïakovski le grand poète ; ou encore Alexei Gastev, poète et écrivain de science-fiction.
Quels sont les objectifs ?
Il s’agissait de créer une culture du prolétariat propre, libérée de l’influence bourgeoise. Bogdanov voyait dans le prolétaire l’espoir d’une réunification de l’homme dans une société morcelée.
Il mettait moins en avant les vedettes pour préférer l’introduction de nouveaux éléments esthétiques et de nouvelles formes collectives de vie. L’art devait partir des travailleurs eux-mêmes. Sous prétexte notamment de l’expérience de Bogdanov avec les ouvriers avant la révolution, ce qui lui faisait dire que les capacités de compréhension des prolétaires dépendaient de leurs conditions de travail et de vie. L’art prolétarien ne devait toutefois pas seulement se charger de montrer la vie des ouvriers et leur lutte, mais surtout de montrer ce qui échappe de prime abord à leur conscience. Le but étant, in fine, que sa propre culture indépendante garantisse au prolétariat son autonomie politique et économique entière vis-à-vis de la bourgeoisie.
Le mouvement du Proletkult, malgré ses présupposés, puisait son influence dans tous les courants, modernes comme classiques, sans jamais parvenir à réaliser un style propre.
Institutionnalisation
De nombreux dirigeants bolchéviques commencèrent à faire des critiques au Proletkult concernant ses objectifs. En premier lieu Lénine lui-même, qui bien qu’il ait un goût classique en ce qui concerne l’art (le réalisme) et n’avait pas l’intention de promulguer une doctrine en art, a dû mettre les pieds dans le plat afin de corriger les erreurs qu’il trouvait dans le Proletkult, ce qui amènera à sa disparition.
En premier lieu, Lénine était obnubilé par l’état d’arriération du peuple russe, suite à des siècles de tsarisme. Lorsqu’il parle culture, c’est l’accessibilité aux tâches politiques concrètes des gens du peuple. Il voulait récupérer une certaine culture bourgeoise universelle, en tout cas seulement dans ce qu’elle avait de bon, afin d’arriver à cet objectif d’élévation du prolétariat. Cela passait par un élément important : l’alphabétisation. Lénine pensait que le projet de faire du prolétariat le créateur d’une nouvelle culture ad hoc, comme si en tout temps et en tout lieu le prolétariat disposait d’une vision du monde supérieure et libre – alors que tout dépend des réalités historiques et du degré de maturité de la classe ouvrière – était idéaliste. Le camarade Oulianov considérait que le Proletkult niait certains acquis de l’humanité, ce qui faisait retarder le rattrapage culturel. Mais aussi que par son essence, vu qu’il s’agissait de l’art des ouvriers, il excluait de facto les paysans de sa conception ainsi qu’une partie de l’intelligentsia.
Finalement, les vues de Lénine gagnent et le Proletkult est intégré de force au Commissariat du Peuple aux lumières (l’équivalent du ministère de l’éducation) en 1920.
Annexe :
De la culture prolétarienne
V. LENINE
8 octobre 1920
Il apparaît, à la lecture des Izvestia du 8 octobre, que le camarade Lounatcharski a dit au congrès du « Proletkoult » exactement le contraire de ce dont nous étions convenus hier avec lui.
Il est indispensable de préparer de toute urgence un projet de résolution (du congrès du « Proletkoult »), de le faire approuver par le Comité central et de le faire voter à cette session même du « Proletkoult ». Il faut le soumettre aujourd’hui même au nom du Comité central, au Collège du Commissariat du peuple à l’Instruction publique et au Congrès du « Proletkoult », car c’est aujourd’hui que ce congrès s’achève.
PROJET DE RÉSOLUTION :
1. Dans la République soviétique des ouvriers et des paysans, tout l’enseignement, tant dans le domaine de l’éducation politique en général que, plus spécialement, dans celui de l’art, doit être pénétré de l’esprit de la lutte de classe du prolétariat pour la réalisation victorieuse des objectifs de sa dictature, c’est-à-dire pour le renversement de la bourgeoisie, pour l’abolition des classes, pour la suppression de toute exploitation de l’homme par l’homme.
2. C’est pourquoi le prolétariat, représenté tant par son avant-garde, le Parti communiste, que par l’ensemble des diverses organisations prolétariennes en général, doit prendre la part la plus active et la plus importante dans tout le domaine de l’instruction publique.
3. L’expérience de l’histoire moderne et, en particulier, celle de plus d’un demi-siècle de lutte révolutionnaire du prolétariat de tous les pays du monde, depuis la parution du Manifeste Communiste, prouve indiscutablement que la conception marxiste du monde est la seule expression juste des intérêts, des vues et de la culture du prolétariat révolutionnaire.
4. Le marxisme a acquis une importance historique en tant qu’idéologie du prolétariat révolutionnaire du fait que, loin de rejeter les plus grandes conquêtes de l’époque bourgeoise, il a — bien au contraire — assimilé et repensé tout ce qu’il y avait de précieux dans la pensée et la culture humaines plus de deux fois millénaires. Seul le travail effectué sur cette base et dans ce sens, animé par l’expérience de la dictature du prolétariat, qui est l’étape ultime de sa lutte contre toute exploitation, peut être considéré comme le développement d’une culture vraiment prolétarienne.
5. S’en tenant rigoureusement à cette position de principe, le Congrès du « Proletkoult » de Russie rejette résolument, comme fausse sur le plan théorique et nuisible sur le plan pratique, toute tentative d’inventer une culture particulière, de s’enfermer dans ses organisations spécialisées, de délimiter les champs d’action du Commissariat du Peuple à l’Instruction publique et du « Proletkoult » ou d’établir « l’autonomie » du « Proletkoult » au sein des institutions du Commissariat du Peuple à l’Instruction publique, etc. Bien au contraire, le Congrès fait un devoir absolu à toutes les organisations du « Proletkoult » de se considérer entièrement comme des organismes auxiliaires du réseau d’institutions du Commissariat du Peuple à l’Instruction publique et d’accomplir, sous la direction générale du pouvoir des Soviets (et plus spécialement du Commissariat du Peuple à l’Instruction publique) et du Parti communiste de Russie, leurs tâches, en tant que partie des tâches inhérentes à la dictature du prolétariat.
Le camarade Lounatcharski dit que sa pensée a été déformée. Cette résolution en est d’autant plus nécessaire.
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