Le financement participatif, un modèle communiste ?

par | Août 10, 2024 | Théorie, histoire et débats | 0 commentaires

Lorsqu’on parle de financement participatif actuellement, on pense facilement aux médias alternatifs et aux chaînes YouTube, qui en ont besoin pour subsister. Face aux financements colossaux des médias mainstream par l’oligarchie financière française (cf. carte de propriété des principaux médias français par Le Monde Diplomatique (1)), le financement par YouTube n’est pas suffisant. Pour se faire leur place, les médias alternatifs doivent trouver une autre source de revenu. Le principe est simple: si vous appréciez le contenu produit, vous pouvez participer en versant un montant libre, fréquemment (sous forme d’un abonnement), ou ponctuellement. Bien sûr, le financement participatif existait  déjà auparavant, et existe par ailleurs pour d’autres domaines que les médias (Wikipédia par exemple) ou sous la forme plus classique d’une cagnotte.

Cependant, le modèle de financement participatif médiatique est intéressant parce qu’il permet d’avoir une analyse marxiste très actuelle et toujours aussi pertinente de l’importance de la propriété des moyens de production. Par la propriété des moyens de production de l’information, les capitalistes non seulement récupèrent la plus-value produite par le travail des journalistes, mais ont également un droit de regard et de décision sur l’information produite. Par là-même, ils jouent sur un rapport de force largement en leur faveur, pour mener un combat politique médiatique veillant à maintenir l’hégémonie du capitalisme dans tous les domaines de la société. Il n’est, bien sûr, pas dans l’intérêt de la bourgeoisie de financer la production médiatique alternative, puisqu’elle participe (au moins une partie d’entre elles), à démocratiser cette analyse du fonctionnement du capitalisme. Elle leur est dangereuse parce qu’elle politise la population.

De fait, les initiatives citoyennes d’information ne peuvent pas compter sur le financement privé capitaliste, ni celui de l’État français au service du capital. L’alternative trouvée dans le financement participatif leur permet d’échapper au moins en partie à la mainmise des milliardaires sur le marché de l’information. Elles le revendiquent même en clamant une « indépendance », sous-entendu une liberté totale d’expression sans lobbying de l’oligarchie. Une nuance est à apporter à cette indépendance réclamée puisque l’influence de la bourgeoisie ne s’exerce pas que par le financement direct. Un média doit avoir des apports financiers réguliers (par la bourgeoisie et l’État pour les médias mainstream, par les financements participatifs pour les médias alternatifs) et donc une certaine visibilité. Or, les médias alternatifs n’ont pas accès à la diffusion télévisée, et sur YouTube comme sur d’autres plateformes de partage et diffusion, leur visibilité est limitée par des algorithmes dont une partie du fonctionnement est encore obscure. Qui plus est, leur tentative d’échapper à la mainmise des milliardaires sur le marché de l’information ne peut pas être pleine et entière. La mise en concurrence des médias sur ce marché implique de jouer avec ses règles. Pour réussir il faut une certaine qualité de communication, de production audiovisuelle, avec les travers bien connus du marketing. C’est donc un jeu truqué d’avance si l’on compare les moyens qui sont disponibles pour les médias mainstream et alternatifs. En pratique, la subsistance des médias alternatifs dépend d’une niche souvent issue des couches moyennes.

L’enjeu qui est donc sous-jacent à cette problématique est la souveraineté médiatique, c’est-à-dire le pouvoir sur la production médiatique. Face au monopole bourgeois des moyens de production et de diffusion de l’information, se heurte une volonté populaire de produire de l’information différemment. Nous voulons produire de l’information qui parle de notre réalité de producteurs, en France et partout dans le monde. Voilà ce qui surgit ; une volonté de reprendre le pouvoir sur nos médias, de rendre la parole à ceux à qui en sont privés, de remettre sous les projecteurs ceux qui sont invisibilisés. C’est ce que le financement participatif nous permet. Via cette participation, nous pouvons exercer notre liberté de choisir ce qui est produit médiatiquement. Nous donnons une partie de notre argent pour soutenir une production médiatique au service d’utilité sociale et non pas au service de la mise en valeur de capital.

C’est ici que se situe la partie communiste du financement participatif ; le peuple utilise une partie de son salaire pour permettre la production. Impossible de ne pas faire le parallèle avec la sécurité sociale de 1946, dont le financement repose également sur le salaire des travailleurs, mais via des cotisations sociales. La création des cotisations sociales permet, à salaire net égal, d’élever la partie de la valeur ajoutée qui va au salaire, et donc de diminuer celle qui va au profit. Non seulement cela va à l’encontre du principe même du capitalisme, qui vise à faire fructifier du capital (à savoir maximiser le taux de profit), mais ça constitue un véritable conquis communiste. Les cotisations, issues du salaire, sont centralisées dans des caisses de cotisations gérées par les cotisants (donc les travailleurs) eux-mêmes. En 1946, 75% des sièges des conseils d’administration (caisses primaires locales, caisses régionales, caisse nationale) sont réservés aux cotisants (2). Il s’agit d’un acte subversif communiste de socialisation des moyens de production de la santé. Qu’est-ce qui motive les travailleurs à utiliser une partie de leur salaire pour la production ? C’est justement, comme le montre l’organisation du régime général de 1946, de vouloir orienter la production vers des fins d’utilité sociale. Que l’on pense à un jeune de 19 ans qui va donner un peu d’argent tous les mois à Blast, ou à un quinquagénaire des années 50 qui va utiliser une partie de son salaire pour la sécurité sociale, il en ressort la même volonté. Un profond besoin de conquérir la souveraineté sur le travail, de reprendre le pouvoir sur la production se matérialise par les cotisations sociales. Et le financement participatif répond également à ce besoin.

Cela étant dit, il faut pousser le financement participatif plus loin. Il repose sur une initiative individuelle et non collective, la participation au financement d’un média ne donne pas le pouvoir sur l’outil de production car l’argent collecté est géré librement par le média, pas forcément par tous les salariés. De fait, le financement participatif n’empêche pas automatiquement la valorisation de capital. D’autant plus que, comme évoqué plus haut, sa soumission au marché de l’information le rend inopérant par rapport aux médias mainstream parce qu’il n’est pas suffisant pour une rupture avec le mode de production capitaliste de l’information. L’enjeu qui est donc au cœur de cette comparaison c’est le besoin criant de reprise en main de l’outil de travail par les travailleurs. Pour une production d’utilité sociale, il faut aller plus loin que la sécurité sociale de 1946 et éliminer la part de la plus-value qui va au profit, pour ne créer que du salaire socialisé et une socialisation des moyens de production.

Nombreuses initiatives citoyennes voulant s’extraire de l’hégémonie capitaliste émergent dans tous les domaines, et sont parfois essentielles. Pour ne prendre qu’un exemple, le LAO Pow’her, une association qui accueille les jeunes filles de 15 à 25 ans victimes de violences sexistes et sexuelles (dont les violences conjugales) en Seine- Saint-Denis, d’ordinaire principalement financé sur fonds publics, a lancé une campagne de financement participatif avec l’objectif de recueillir 55 000 euros. Créé en septembre 2019, le lieu, géré par l’association « FIT une femme un toit », a depuis permis l’accueil de 537 jeunes femmes (3). L’heure vient d’une rupture révolutionnaire avec le capitalisme pour un socialisme-communisme de nouvelle génération. Il faut que s’unissent tous ceux qui, travailleurs en lutte, communistes véritables, syndicalistes de classe, patriotes républicains et antifascistes, citoyens épris de souveraineté populaire et de coopération internationale, écologistes véritables, aspirent à une contre-offensive révolutionnaire en France.

1. Le Monde diplomatique [Internet]. 2023 [cité 25 juill 2024]. Médias français, qui possède quoi ? Disponible

sur: https://www.monde-diplomatique.fr/cartes/PPA

2. Da Silva N. La bataille de la Sécu. La fabrique. Paris: La fabrique; 2022. 294 p.

3. Zerouala F. Mediapart. 2024 [cité 12 juill 2024]. Un centre d’accueil pour ados victimes de violences au bord

de la fermeture. Disponible sur: https://www.mediapart.fr/journal/france/110324/un-centre-d-accueil�pour-ados-victimes-de-violences-au-bord-de-la-fermeture

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