Encore un mail de la fac sur le dernier conseil d’administration, tu ne sais pas qui est représentant des étudiants ni comment le contacter, les présidents d’université changent et la fac se restructure tout le temps, mais ça ne change rien pour toi. Les seuls changements que tu vois sont des travaux de désamiantage alors que tu ne savais même pas qu’il y a de l’amiante dans ta fac, des cours de plus en plus chargés, la scolarité qui met des semaines à répondre, les plannings de cours qui arrivent au dernier moment. Bref, pas vraiment une bonne ambiance d’études, surtout avec la précarité étudiante qui te pèse.
La vérité, c’est qu’en plus d’une gestion administrative calamiteuse, les universités n’ont même pas les moyens d’offrir un service de qualité. Quatre universités sur cinq risquent de terminer l’année en déficit, selon le Syndicat national de l’enseignement supérieur Snesup-FSU (1). 60 universités pourraient être dans le rouge fin 2024, soit deux fois plus que l’année dernière. Les universités en question n’ont pas augmenté leurs dépenses soudainement pour agrandir leurs locaux, rénover leurs cafétérias, changer les tablettes et tape-culs des amphithéâtres pour des bureaux et des fauteuils. C’est le budget qui leur est alloué qui a diminué. Après les 900 millions d’euros d’économie demandés en début d’année dernière, l’effort réclamé en 2025 sera de 500 millions supplémentaires, qui pourrait même s’aggraver au cours des travaux parlementaires. De quoi creuser davantage les 8 milliards manquants pour accueillir tous les nouveaux étudiants, permettre leur poursuite d’études et développer une recherche de qualité, indépendante de tout lobby.
Quelles vont être les conséquences concrètes pour les travailleurs de l’université ? Travailleurs administratifs, enseignants, agents d’entretien, de sécurité, étudiants, tous paieront le prix de cette austérité ; coupes sur le chauffage, sur les photocopies, sur le matériel informatique et la mise à l’arrêt des projets de rénovation des bâtiments classés comme passoires thermiques. Bien sûr, la raison d’être des universités n’est pas épargnée, la qualité des enseignements en prend un coup avec des TD surchargés dépassant les 35, 40 voire 60 étudiants (2).
Encore faut-il réussir à s’inscrire à l’université, vu les frais d’inscription qui peuvent aller au-delà de 10 000 euros l’année. Dans les écoles de commerce et de management, qui font maintenant partie pour certaines d’« EPE » (établissements publics expérimentaux), nouveau cadre créé en 2018 qui permet de rassembler sous la même casquette des universités et des grandes écoles privées, les frais d’inscription ont par exemple augmenté de 75 % en moyenne entre 2009 et 2019 (3). Et pour arriver jusque-là, il faut aussi avoir passé les démarchages d’écoles privées qui te promettent parfois une place garantie en dehors de Parcoursup, à condition de signer un chèque d’acompte.
Les enseignants ne sont pas épargnés, et leur situation est de plus en plus précarisée. Tu vois peut-être beaucoup de renouvellement dans les « intervenants » et parfois, tu te demandes s’ils ont été formés pour faire cours. La partie cachée de l’iceberg, ce sont des quantités d’enseignants qui ont de moins en moins de possibilités d’être titulaires de leurs postes. L’âge moyen de titularisation des détenteurs d’un doctorat, toutes disciplines confondues, tourne, selon les dernières données, autour de 35 ans. En sciences humaines et sociales, il n’est pas rare d’attendre presque dix ans après une thèse déjà longue (4). À la place, ce sont des postes de contractuels qui les attendent, comme 30 à 40 % des employés de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est le plus fort taux de la fonction publique selon Kévin Le Tetour, secrétaire fédéral du syndicat Sud. Qu’est-ce que ça change pour un prof titulaire ou contractuel ? Les rémunérations ne sont pas les mêmes, donc les qualifications ne sont pas correctement reconnues, l’ancienneté n’est pas prise en compte pour les contractuels, les temps partiels sont souvent imposés, les postes de contractuels sont à durée déterminée, donc les travailleurs sont très facilement une main d’œuvre ajustable.
Soyons positifs, il y a encore pire comme statut, notamment pour les vacataires. Ça concerne quand même entre 100 000 et 130 000 personnes, qui font, en plus d’une activité principale extérieure à l’université, quelques heures de travail à la fac. L’heure d’enseignement est comptabilisée comme nécessitant en moyenne quatre heures de préparation. Mais à 40 euros bruts de l’heure pour les vacataires, le SMIC est à peine atteint. En plus d’être faibles, ces salaires sont très souvent versés des mois après, parce que les ressources humaines, elles-mêmes en grande partie contractualisées et sous-dotés, peinent à absorber la masse et la complexité des dossiers à traiter (4).
Si tu n’as pas l’envie et/ou les moyens de faire de longues études, tu es peut-être en alternance et tu ne te sens pas concerné par ces quelques lignes. Mais sache que c’est le même mal qui touche ta filière. L’alternance par l’apprentissage permet, pour les écoles, de lever l’obstacle du financement des frais de scolarité par les familles, qui sont pris en charge par des subventions de l’État tout en permettant aux entreprises d’avoir accès à une main-d’œuvre pas chère, puisque bien sûr, tu es mal payé pour ce que tu fais. En plus, depuis 2018, l’État assouplit et libéralise les conditions de création de centres de formation des apprentis (3). En gros, l’État paie grassement les entreprises pour t’embaucher dans un travail peu qualifié et donc peu rémunéré. Jusqu’en 2018, on était à 95 % sur du diplôme (émis par un établissement public) et à 5 % sur du titre (délivré par un centre de formation privé). En 2022, on est passé à un tiers de titres professionnels. Or le diplôme permet de poursuivre des études si tu le veux, ou de te professionnaliser et de vendre sa force de travail sur le marché, alors que le titre te dirige vers certaines entreprises pour que tu y vendes ta force de travail.
L’État, à la main de la grande-bourgeoisie complètement soumise aux diktats capitalistes et supranationaux de l’Union européenne, a clairement pour but d’aider les entreprises privées à nous vider les poches par tous les moyens possibles. Sous prétexte de « partenariat public-privé », les « EPE » (établissements publics expérimentaux), ont été créés, et d’autres projets fleurissent régulièrement. Pour la rentrée 2023, l’université de Créteil avait envisagé de nouer un partenariat avec Galileo (groupe mondial d’enseignement supérieur privé). L’idée était, aux étudiants ayant échoué à leur première année de licence de droit, de leur offrir une formation d’assistants juridiques par une boîte privée, sorte de multinationale de l’enseignement supérieur. Et en droit, c’est potentiellement industriel, vu le nombre d’étudiants inscrits chaque année dans cette discipline et les conditions dans lesquelles ils sont accueillis, faute de moyens suffisants (3). Ce n’est pas le changement de gouvernement qui nous permettra de lutter contre cette gangrène. Patrick Hetzel, nommé tout récemment à la tête du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, est en partie à l’origine du mal. En 2006, il rédige un rapport sur l’université et l’emploi pour le Premier ministre Dominique de Villepin, dans lequel il martèle la nécessité de « rapprocher impérativement l’université du monde du travail ».
Le privé prend même le contrôle des facs, notamment par l’augmentation du nombre de sièges d’agents extérieurs au conseil d’administration de la fac dont tu n’as pas le temps de lire les comptes-rendus. Il est encore là ! Le même Patrick Hetzel était impliqué en 2007 dans une loi « relative aux libertés et responsabilités des universités » (dite LRU) avec François Fillon pour rapprocher le monde universitaire des entreprises. La loi LRU remodèle la composition des conseils d’administration, en diminuant le nombre de membres et en renforçant la présence des personnalités extérieures à l’université. Il faut bien que le patronat ait son mot à dire sur les apprentissages à inculquer aux jeunes pour qu’ils soient plus malléables et dociles. La prise du pouvoir est également financière avec l’ouverture à la possibilité de solliciter des fonds privés, via des fondations universitaires, laissant parfois des fonds d’investissement prendre le contrôle d’établissements publics (5).
Pendant ce temps, l’enseignement privé, lui, est grassement payé. L’Institut catholique d’études supérieures (Ices), créé par l’évêque de Luçon (Vendée) en 1990, sous l’impulsion de Philippe de Villiers (président du conseil départemental de Vendée à ce moment-là), agrandit ses locaux avec un coût total de 23 millions d’euros, en partie pris en charge par les conseils départemental et régional, qui mettent à disposition un ancien bâtiment public. De l’argent pour le privé, donc, mais pas n’importe lequel. L’institut « s’est démarqué par son positionnement politique réactionnaire assumé », selon François Poupet, secrétaire de la CGT des établissements supérieurs et de recherche de Nantes (Loire-Atlantique). Un crachat à la gueule des travailleurs du public qui se trouvent juste à côté d’eux ; lutte ouvrière notait en 2020 que l’université de Nantes était en grande difficulté avec des locaux trop étroits, des équipes en sous effectifs (6). Insultante, mais sans surprise, la grande bourgeoisie entretient, par des moyens financiers, l’infrastructure lucrative de production de connaissance, et permet aux discours fascistes de renforcer leur hégémonie au sein de la superstructure capitaliste.
Ils graissent la patte aux réactionnaires d’extrême-droite, et ça leur est bien utile en retour. Droitiser la fenêtre d’Overton dans la sphère politico-médiatique, et en particulier sur les médias mainstream, permet à la grande bourgeoisie de pulvériser toute menace de progressisme sans que trop de protestations soient faites. C’est comme ça qu’en mai, lors des occupations de fac en soutien à la Palestine, la police a été mobilisée pour évacuer les universités. Leurs prétextes pour faire appel à la police sont on ne peut plus hypocrites. Il est soi-disant nécessaire de lever les blocages, selon l’administrateur Jean Barrères, provisoirement à la tête de Sciences Po Paris, parce que l’université n’est pas une entreprise, mais un lieu d’études. Disent-ils après avoir rendu le secteur lucratif. Mais l’antimilitarisme et l’anticolonialisme ont toujours été au cœur des mouvements étudiants, partout dans le monde. Pendant la Guerre froide, le pacifisme et l’opposition à l’arme nucléaire, d’abord, les luttes de libération nationale, ensuite, ont suscité une intense mobilisation internationale (7).
Une fois de plus, le PRCF et la JRCF sont alignés sur les réclamations progressistes des syndicats. Comme le dit le Snesup-FSU, le projet de loi de finances 2025 ne peut évacuer ces questions qui concernent une grande partie de la jeunesse et l’avenir de notre pays. Plus que jamais, l’enseignement supérieur et la recherche doivent être considérés comme un investissement et non comme une variable d’ajustement d’un budget de l’État déficitaire. Malgré tout, il nous faut aller plus loin pour comprendre les véritables sources de l’austérité qui s’opère dans tous les secteurs de la vie nationale, pas uniquement celui qu’on vient de traiter. Il suffit d’écouter la grande bourgeoisie, qui s’en vante sur tous les plateaux, comme Patrick Hetzel, qui, lors de sa passation de pouvoir, lundi 23 septembre, a déclaré que « lorsqu’on est alsacien, on peut être de droite et avoir l’Europe chevillée au corps ». Que nous dit-il sinon qu’ils ont réduit la France à être le toutou de l’UE et des États-Unis ? Ce n’est pas une question d’individus, Patrick Hetzel comme les autres avant lui, a opéré ces choix pour répondre à la pression de la BCE.
Nous réclamons une sortie de l’UE par la porte de gauche, à savoir pour ce qui concerne l’enseignement supérieur et la recherche :
Une revalorisation des salaires de tous les travailleurs du secteur et la pérennisation de leurs statuts et contrats, ce que combat l’UE ;
L’estimation des besoins des universités ainsi qu’un investissement conséquent ;
La fin de leur mise en concurrence et leur démocratisation, dans l’objectif de les émanciper des intérêts capitalistes de l’UE et dans le cadre de la supériorité des lois nationales sur les « directives européennes ».
En bref, un désamiantage massif de leurs murs, parasités par la grande-bourgeoisie « française ».
Révoltons-nous contre la dictature budgétaire imposée par l’UE et les États-Unis, et continuons de lutter contre la politique impérialiste de l’OTAN, pour la paix, dans nos universités et ailleurs. Battons-nous contre la grande bourgeoisie française et internationale, quel que soit son mode d’organisation, et ses politiques fascistes et impérialistes partout dans le monde !
1. L’édito : L’austérité n’est pas une fatalité | Snesup-fsu [Internet]. [cité 12 oct 2024]. Disponible sur: https://www.snesup.fr/actualites/edito/secretaires-genenaux/ledito-loctobre-2024-lausterite-nest-pas-une-fatalite
2. Moderne LM. Couvre-feu en Martinique [Internet]. Le Monde Moderne. 2024 [cité 13 oct 2024]. Disponible sur: https://alexispoulin.substack.com/p/couvre-feu-en-martinique
3. Goanec M. Mediapart. 2023 [cité 13 oct 2024]. Privatisation de l’enseignement supérieur : des « pantouflages » emblématiques. Disponible sur: https://www.mediapart.fr/journal/france/220723/privatisation-de-l-enseignement-superieur-des-pantouflages-emblematiques
4. Goanec M. Mediapart. 2023 [cité 13 oct 2024]. Rentrée universitaire : la précarité des jeunes chercheurs passe au niveau supérieur. Disponible sur: https://www.mediapart.fr/journal/france/080923/rentree-universitaire-la-precarite-des-jeunes-chercheurs-passe-au-niveau-superieur
5. Strasbourg) RG (Rue89. Mediapart. 2024 [cité 13 oct 2024]. L’enseignement supérieur écope d’un ministre conservateur, tenant d’une vision libérale de l’université. Disponible sur: https://www.mediapart.fr/journal/politique/240924/l-enseignement-superieur-ecope-d-un-ministre-conservateur-tenant-d-une-vision-liberale-de-l-universite
6. Magrez M. Mediapart. 2024 [cité 14 oct 2024]. La fac privée fondée par de Villiers continue d’être dopée à l’argent public. Disponible sur: https://www.mediapart.fr/journal/france/080924/la-fac-privee-fondee-par-de-villiers-continue-d-etre-dopee-l-argent-public
7. Goanec M. Mediapart. 2024 [cité 14 oct 2024]. La police est désormais déployée sans tabou dans les universités. Disponible sur: https://www.mediapart.fr/journal/france/070524/la-police-est-desormais-deployee-sans-tabou-dans-les-universites
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