Les défenseurs de l’Union européenne la présentent souvent comme le grand rempart de la démocratie contre la « dictature ». Ainsi, ils font beaucoup de bruit sur le respect des droits de l’homme, notamment en visant certains pays comme la Russie ou le Venezuela. Et dans les traités instituant l’UE, il existe un article 7 (celui du Traité sur l’Union européenne) chargé de permettre la suspension d’un État membre de l’UE contrevenant aux respects des dites « valeurs de l’Union européenne » (article 2 du TUE).
Le fameux article 7 dit que, sur proposition motivée d’un tiers des États membres, du Parlement européen ou de la Commission, le Conseil (où se retrouvent les ministres de l’ensemble des États membres), statuant à la majorité des 4/5 de ses membres après approbation du Parlement, peut constater qu’il existe un risque clair des violations du fameux article 2 par l’un des États de l’Union. Article 2 dont les valeurs affichées sont entre autres la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l’égalité, l’État de droit, le respect des droits de l’homme, etc. Cependant, avant de faire cette constatation, le Conseil (qui est un organe non élu) adresse des recommandations à l’État pour qu’il se conforme aux dites valeurs, puis il vérifie en fonction d’un certain temps si l’État s’est conformé ou non.
De ce fait, ne pouvant rester sans rien faire, le Conseil européen (organe qui représente les chefs d’État de l’UE) statuant à l’unanimité sur proposition d’1/3 des États membres ou de la Commission, après approbation du Parlement, peut constater que l’État membre en question continue à violer les valeurs contenues à l’article 2 (violation dite grave et persistante), mais seulement après avoir invité l’intéressé à présenter ses observations en la matière.
Ensuite, lorsque la constatation est faite, le Conseil peut décider de statuer à la majorité qualifiée la suspension de certains des droits découlant de l’application des traités, dont le droit du représentant de cet État au Conseil. Cependant, les obligations de l’État par rapport aux traités restent contraignantes pour lui.
Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut décider par suite de modifier les mesures qu’il a prises pour répondre à des changements de situation qui conduisent à imposer ces mesures. Ensuite, un dernier paragraphe renvoie à l’article 354 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne pour les modalités de vote.
Nous pouvons donc constater que l’on ne peut pas suspendre un État membre de ses droits aussi facilement. On dirait même avec le juriste Pierre Verluise que les États membres se sont certes donné un moyen de sanctionner les « errements », mais la procédure étant complexe et nécessitant une forte volonté politique, on peut en déduire que l’on cherche à réduire les possibilités de suspension d’un État*. Toutefois, cet article 7 a déjà été enclenché par le passé.
L’article a été utilisé la première fois le 17 mai 2017 contre la Hongrie. Le 26 juillet 2017, la Commission menace la Pologne aussi de l’utiliser et le 20 décembre de la même année, elle l’enclenche. Le 12 septembre 2018, le Parlement européen se prononce en faveur de l’utilisation de cet article contre la Hongrie. Le Conseil se prononcera à l’unanimité pour cette sanction.
Or, où en est-on maintenant ? La Hongrie n’a pas subi une grande perte économique par suite de cette procédure, ni la Pologne, même si pendant des semaines certains médias nous rabâchaient les oreilles avec la confrontation UE-Pologne. Maintenant, tout semble (presque) apaisé, ou tout au moins on peut le penser. Cette situation est à comparer avec celle de la Grèce en 2015. Souvenez-vous, le parti Syriza venait d’arriver au gouvernement. Pendant quelques mois, ce parti porta les espoirs d’une partie de la population d’une vie meilleure et d’une nouvelle politique en Grèce, avant de trahir, comme on le sait. Cependant, ce qui marque surtout, c’est la ferveur avec laquelle les institutions de l’UE ont défendu les positions économiques ultra-conservatrices et régressives de l’Union face à un peuple qui défendait tant bien que mal sa souveraineté et son droit à vivre. Un vrai déchaînement de fureur qui s’est accompagné d’une vaste propagande contre la Grèce, son peuple étant littéralement accusé de tous les maux. Pour la Hongrie et la Pologne ? Certes, les mots pouvaient sembler mordants, mais quiconque d’un peu honnête remarquera qu’il n’y avait rien de comparable à ce qu’a vécu la Grèce. Comme ci dans l’ordre des priorités de l’Union, la démocratie et les droits de l’homme n’étaient rien en comparaison des dogmes économiques.
Et puis, de quelles valeurs parlons-nous ?
C’est bel et bien l’État de droit de faire passer une loi plafonnant les indemnités prud’hommales ou de permettre de faire passer par accord d’entreprise des actes moins favorables aux salariés que la loi ou les conventions de branche. C’est visiblement aussi l’État de droit quand ladite Hongrie augmente le plafonnement annuel d’heures supplémentaires à 400 heures, payables après 3 ans, avec pertes de droits en cas de démission.
C’est visiblement la démocratie et le respect de l’égalité quand l’UE ne voit pas dans les pays baltes l’exclusion des russophones de la participation à la citoyenneté ou les manifestations annuelles à Riga en l’honneur des combattants nazis.
Même aveuglement sur la Pologne, car hormis sur la réforme de la justice soumettant les juges à l’exécutif où, si on peut utiliser l’expression, c’était un peu gros, l’UE feint d’ignorer que des opposants politiques comme Mateusz Piskorski sont enfermés sans procès, tandis que nos camarades communistes polonais subissaient une persécution judiciaire rarement vue contre l’extrême-droite.
En conclusion, l’article 7 ne vaut rien pour protéger les « valeurs de l’Union européenne » car en premier lieu, il ne permet qu’une suspension des droits, et deuxièmement, les modalités pour arriver à l’activation de cette entreprise où il faut une forte majorité font qu’elle arrive très rarement. C’est un problème que l’on rencontre moins quand il s’agit de lutter contre un pays désobéissant aux règles budgétaires. Ensuite, cette prétention à défendre les droits, déjà mal engagée, se montre faussée quand on voit l’aveuglément volontaire des institutions de l’UE sur tout un pan de politique régressive et antisociale, dont elle est souvent l’instigatrice en matière économique. Tout au plus, l’UE ne prend pas en compte des droits comme celui d’avoir un travail, d’avoir accès à l’eau ou de ne pas mourir de faim. Parce qu’en fin de compte, le seul ennemi de l’UE, c’est le socialisme.
* « UE : suspendre un État membre ? », Pierre Verluise, 8 avril 2012, Diploweb.com
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