La jeunesse doit prendre exemple sur Mai 68 (1), par Georges Gastaud

par | Mai 4, 2018 | Théorie, histoire et débats | 0 commentaires

    

La jeunesse doit prendre exemple sur Mai 68 (1), par Georges Gastaud

Lien vers l’article original. 

A propos du 50ème anniversaire de Mai-Juin 68, par Georges Gastaud, secrétaire national du PRCF

Alors qu’ils ont superbement ignoré le 170ème anniversaire de la Révolution populaire-républicaine de février 1848, dont la date coïncidait presque avec le 170ème anniversaire du Manifeste du Parti communiste, les médias du capital et de la fausse gauche « mettent le paquet » sur le cinquantenaire de Mai 68. Le hic, c’est qu’ils en exaltent les côtés faibles, voire négatifs, et qu’ils en dénigrent les points forts, qui comportent encore de grands enseignements pour nos combats anticapitalistes actuels.

I – Les « événements » de Mai-juin 1968 comportaient en effet des côtés faibles

Les « événements » de Mai-juin 1968 comportaient en effet des côtés faibles, clairement anticommunistes, anti-prolétariens et anti-cégétistes, largement liés à la composition de classe principalement bourgeoise et petite-bourgeoise du mouvement étudiant d’alors. Le ressassement exalté de ces côtés « modernes », et en réalitérégressifs du Mai étudiant, continue d’enchanter l’actuelle « bourgeoisie bohème » si bien installée dans les médias et à l’Université ; principalement assis sur les couches moyennes supérieures salariées et non salariées des métropoles et des « villes-centres », largement liés à l’économie impérialiste parasitaire (pub, finance, com, tourisme friqué…) qui s’est en partie substituée à l’économie productive à base ouvrière, artisanale et paysanne, ces éléments pseudo-progressistes continuent d’aduler la figure prétendument « libéral-libertaire » de l’anticommuniste « de gôche » « Dany » Cohn-Bendit. Démasqués depuis longtemps par le sociologue marxiste Michel Clouscard, les bobos se reconnaissent pleinement dans le social-libéralisme des Anne Hidalgo, Rebsamen, Collomb, voire dans le prétendu « nouveau monde » du super-maastrichtien, atlantiste et néo-thatchérien Emmanuel Macron.

En effet, malgré l’omniprésence des drapeaux rouges dans les cortèges étudiants de 68, – ce qu’explique largement la force du PCF et de la CGT en France, mais aussi celle du mouvement communiste et anti-impérialiste international des années soixante (force du camp socialiste mondial, offensive du peuple vietnamien, victoire de la Révolution cubaine, puis des forces anticoloniales en Algérie…), – une bonne partie du mouvement étudiant d’alors était inconsciemment, – voire subjectivement pour certains de ses chefs ! –, très opposée au communisme réel en France et dans le monde, notamment à l’URSS. Et ce n’étais pas moins vrai quand, bonne conscience « révolutionnaire » en prime, toute une partie de cette mouvance jouait à prendre le PCF « de gauche » en exaltant la « Grande Révolution Culturelle Prolétarienne » chinoise. Il est significatif que le chef de file soixante-huitard de la contestation universitaire, Alain Geismar, qui se réclama un temps de la « Gauche prolétarienne », soit devenu par la suite un des maîtres d’œuvre de la casse néolibérale de l’Education nationale en tant que chef de file de l’Inspection générale, et que tout dernièrement, cet ex-« révolutionnaire » qui n’avait pas de mots assez durs en 68 pour fustiger la « frilosité » communiste, ait soutenu Macron, l’homme-lige de l’oligarchie atlantique, lors de l’élection présidentielle. Ne parlons pas de Serge July, l’ex-dirigeant mao qui a longtemps dirigé Libé, l’ex-journal gauchiste devenu l’organe du social-libéralisme ; ni d’André Glucksmann, lui aussi figure historique de la GP, qui mourut dans la peau d’un belliciste enragé justifiant la croisade nucléaire exterministe que Folamour Reagan préparait très ouvertement contre l’URSS, ou de Stéphane Courtois, maoïste devenu l’orchestrateur continental de la criminalisation du communisme ; sans oublier Denis Kessler, lui aussi leader gauchiste en 68, qui appelait Sarkozy en 2007, dans un édito cynique de Challenge, à « démanteler le programme du CNR » sans crainte de repeindre le pétainisme aux couleurs des « Etats-Unis d’Europe »…

Il ne s’agit pas seulement pour nous de fustiger ici les « trahisons » de ceux qui, selon la forte expression de Guy Hocquenghem, « sont passés du col mao au Rotary », car cela signifierait seulement que ces tristes sires, qui ont trompé et exploité à des fins personnelles des milliers de jeunes « maos », ouvriers et étudiants, ont simplement tourné le dos à leur idéal juvénile pour faire carrière dans la société capitaliste. Au contraire, quand on étudie le devenir politique de ces douteux personnages, on constate la parfaite continuité anticommuniste d’une trajectoire par laquelle, au fil des rapports de forces, des campagnes antisoviétiques, de l’affaiblissement du PCF, des reniements de ses dirigeants, de la montée en puissance de la social-démocratie mitterrandienne, les figures de l’anticommunisme de « gauche » qui dirigeaient une partie du mouvement étudiant n’ont fondamentalement jamais changé de camp social : changeant sans cesse de postures au fur et à mesure que « le vent d’ouest l’emportait sur le vent d’est », – que la contre-offensive capitaliste consécutive à la défaite des USA au Vietnam rendait l’initiative politique au camp capitaliste – ils ont toujours combattu avant tout les communistes, la CGT, l’URSS, et aussi, secondairement, l’idée de nations indépendantes, attaquant moins De Gaulle sur ce qu’il avait de pire – son hostilité à la démocratie et aux revendications ouvrières – que sur son refus patriotique d’aligner la France sur l’impérialisme US. A la fin des années 70, l’alliance ouverte de Chou En Laï, le successeur de Mao, avec le criminel de guerre étatsunien Nixon, puis la supplantation électorale du PCF par Mitterrand en 81 auront permis à nombre d’ex-dirigeants gauchistes de rallier officiellement la social-démocratie, puis l’atlantisme et la « construction » européenne, voire, pour certains d’entre eux comme les « léninistes » Lecourt ou Kessler, d’accéder aux plus hautes sphères du CNPF, l’ancêtre de l’actuel MEDEF. Comme sur une bande de Moebius  où, sans solution de continuité, on passe en continu du dedans au dehors du ruban et vice-versa, n’ayant pour seule boussole que l’anticommunisme (et, secondairement, l’antigaullisme…), disposant de l’appui constant d’une bonne partie de la presse bourgeoise d’alors, Nouvel Obs en tête, ces lugubres héros seront passés sans débotter de l’antisoviétisme « de gôche » de leur belle jeunesse « révolutionnaire » à l’antisoviétisme et à la russophobie ouvertement atlantiques, européistes et bellicistes de notre belle époque contre-révolutionnaire : il s’est donc moins agi pour eux d’une « trahison » que d’un accomplissement plénier de leur choix de classe initial, que d’une « continuation de leur guerre anticommuniste, antisoviétique et anti-cégétiste par d’autres moyens », dont on peut se demander s’il a toujours été si inconscient que cela, sinon pour Alain Finkielkraut, du moins pour les plus intelligents d’entre eux : ces derniers savaient fort bien pourquoi, à l’époque, l’impérialisme américain choisissait de prendre à revers l’URSS en se rapprochant de la Chine post-maoïste, pourquoi le parti américain du député Lecanuet votait la censure contre De Gaulle au plein mois de mai et pourquoi en France, la grande bourgeoisie et son aile social-démocrate (Defferre, Mendès-France, Mitterrand…) s’efforçait de construire alors une forme d’ « alliance de revers » anticommuniste pour bloquer politiquement et défaire « culturellement » le bloc PCF-CGT en feignant de le « déborder par la gauche » : souvenons-nous qu’à l’issue des législative de 1967, le PCF était redevenu, avec 22,7% des voix, le premier parti de France, qu’il dépassait largement la « Fédération de la gauche socialiste et démocrate » (FGDS) de Mitterrand, et que De Gaulle n’avait plus que deux voix de majorité à l’Assemblée nationale… Ne parlons pas de la CFDT, plus gauchiste que tout le monde durant la décennie 68-78 : succédant à Eugène Descamps à la tête de cet ex-syndicat confessionnel, Edmond Maire n’eut d’ailleurs guère à attendre pour prendre la tête de la croisade anticommuniste et anti-cégétiste à la file de Walesa, le « syndicaliste » favori du Pape et de la C.I.A., au début des années 80. Troquant elle aussi rapidement l’anticommunisme « de gôche » contre l’anticommunisme de droite, européiste et atlantique, la CFDT n’eut bientôt plus qu’à terminer sa trajectoire contre-révolutionnaire dans la peau d’un syndicat jaune accompagnant, voire précédant toutes les contre-réformes exigées par Bruxelles, par la BCE, par le MEDEF et par le gouvernement Macron…

Des thématiques sociétales justes en elles-mêmes, mais dévoyées et « boboïsées ».

Quant aux problématiques libertaires, sexuelles, sociétales, féministes dont la doxa journalistique actuelle crédite ordinairement la direction petite-bourgeoise du mouvement étudiant, outre qu’elles n’étaient pas toujours si clairement que cela au centre de ce mouvement (notamment pas tant que cela le féminisme, et pas du tout l’écologie), il faut surtout noter qu’elles n’étaient que trop souvent opposées aux revendications « alimentaires » et « quantitatives » (sic) du mouvement ouvrier, sottement accusé de rallier la « société de consommation » parce que les millions d’OS et d’ouvriers d’usine adhérents à la CGT voulaient obtenir la retraite à 60 ans, la cinquième semaine de congés payés, des salaires permettant enfin de vivre dignement, l’accès ô combien naturel des femmes ouvrières aux biens électroménagers dont la bourgeoisie grande et moyenne disposait depuis longtemps mais que les ouvriers n’avaient que le droit de produire à la chaîne en touchant des salaires misérables ? Alors que le combat « sociétal » pour émanciper les femmes des chaînes patriarcales ne prend tout son sens qu’en s’associant au combat anticapitaliste pour une société sans classes, alors que symétriquement le combat anticapitaliste ne peut conduire à la société communiste sans classes qu’en brisant toutes les aliénations, y compris sexuelles, et toutes les déprédations capitalistes, y compris et surtout le saccage de l’environnement au nom du profit maximal, l’opposition pseudo-révolutionnaire entre « quantitatif » et « qualitatif », la condamnation abstraite, non pas du mode de production capitaliste exploiteur, mais de « la société de consommation » (sans se demander qui consomme trop et qui ne consomme pas assez, ni se demander si, comme l’a montré Marx, le mode de consommation est une dimension du mode de production…) frisait alors le mépris de classe le plus glacial.

Or, les fondateurs du marxisme n’ont jamais opposé les légitimes revendications quotidiennes du prolétariat à l’engagement révolutionnaire pour changer la société ; Lénine remarquait seulement que « les réformes sont la retombée du combat révolutionnaire » et les communistes d’alors, ceux des usines comme les étudiants d’origine populaire, alors très minoritaires, qui militaient à l’Union des Etudiants Communistes puis à l’UNEF-Renouveau, avaient raison de réclamer de l’argent pour les travailleurs, une allocation d’études pour les étudiants pauvres, et de scander dans les manifs des années 70 « Des crédits pour l’école, pas pour les monopoles !». En effet, ce n’est pas le fait de lutter pour des avancées sociales dans le cadre de la société capitaliste (pensons aux immenses avancées mises en œuvre par les ministres communistes de 1945, ou aux conquêtes sociales de 1905 ou de 1936), quand le rapport des forces interdit d’obtenir plus, qui définit le « réformisme », c’est seulement l’idée erronée que les réformes se suffisent à elles-mêmes, qu’on peut les obtenir en marchandant avec le patronat et qu’il serait possible de les « engranger » sans contester le cadre capitaliste lui-même, comme le prétendent les syndicats de collaboration des classes qui n’ont jamais obtenus par eux-mêmes que des contre-réformes et du donnant-perdant. Aujourd’hui encore, c’est en feignant de libérer les femmes ou de défendre l’environnement (« Make the Planet great again ! »), que Macron et ses porteurs d’eau idéologiques, les Marlène Schiappa et autre Nicolas Hulot, couvrent d’un masque « progressiste » le démontage des acquis sociaux, de la souveraineté des peuples, des droits des femmes (premières ciblées par la casse des statuts, de la sécu, des retraites, du Code du travail, des conventions collectives, de l’Inspection du travail, des services publics…) et de l’environnement (qu’achèveraient de dégrader les traités néolibéraux « transatlantiques » tels que le « CETA ».

De l’idéologie libertaire au libéralisme, voire au « libertarisme ».

Elle aussi encensée par l’actuelle presse néolibérale, une autre faiblesse déjà notée des chefs petit-bourgeois du gauchisme étudiant tenait à leur hostilité de principe à l’encontre de la nation française, sottement amalgamée au néocolonialisme de ses chefs bourgeois, à leur refus « libertaire » de toute discipline librement consentie (on pense au stupide « il est interdit d’interdire »), à leur rejet des partis – surtout du PCF, cette cristallisation historique de la subjectivité historique construite du prolétariat de France ! –, à leur horreur (toute provisoire quand on voit leur ralliement ultérieur à Mitterrand !) du combat électoral (« élections piège à cons !»), comme si le prolétariat ne devait pas, sauf cas particulier, combiner l’ensemble des moyens de lutte susceptibles de lui conférer le rôle directeur dans le changement de société ; comme si l’ennemi principal du progrès humain n’était pas le grand capital impérialiste, dont les appareils répressifs d’Etat ne sont que des instruments, et non ces présupposés de toute vie démocratique que sont la souveraineté nationale (« l’émancipation nationale est le socle de l’émancipation sociale »,

1er mai

1er mai

disait Jaurès), la conquête de droits formellement égaux permettant d’élargir les luttes ; comme si le grand démocrate révolutionnaire qu’était Rousseau n’avait pas démontré dans le Contrat social que la liberté n’est pas l’individualisme sauvage, ce socle de la loi du plus riche, alors que « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté » ! Tout cela fut posé, au moins autant contre l’ordre patriarcal incarné par De Gaulle – et en ce sens le mai des étudiants et des jeunes ouvriers fut très positif pour « décoincer » la société – que contre la conception prolétarienne et républicaine de l’ordre. Au final, ce « libertarisme » se retourne comme un gant et fait boomerang contre ses auteurs ; car dénué de substance prolétarienne et anticapitaliste, tourné contre le patriotisme républicain et récupéré par le supranationalisme euro-atlantique, brisant l’alliance historique des femmes et du prolétariat que symbolisent jusqu’à nos jours les noms de Louise Michel, de Clara Zetkin ou de la trop méconnue Martha Desrumeaux, cet esprit libertaire dévoyé s’est recyclé en néolibéralisme franchement capitaliste, en défense acharnée de l’ordre impérialiste mondial (le prétendu « droit d’ingérence humanitaire » des grandes puissances capitalistes dans les affaires des pays du Sud et de l’Est), en droit à l’irresponsabilité à l’égard des engagements parentaux de tant de couples. Il est trop aisé de voir qui y a gagné, l’impérialisme, le grand capital, les couches moyennes supérieures du secteur parasitaire et financier (com, pub, finances, etc.), tout ce dont Macron est le nom après Sarkozy et Hollande, et qui y a massivement perdu : ouvriers et paysans massivement déclassés, ainsi que leur progéniture, par la casse néolibérale du produire en France, agents du service public maltraités par les « critères de Maastricht » et les euro-privatisations, millions d’enfants privés de repères culturels et familiaux clairs, Education nationale brièvement émancipée de la très autoritaire école de Jules Ferry pour tomber aussitôt hélas sous le double lien pervers du « il est interdit d’interdire » et d’un pédagogisme qui est aux antipodes des exigences d’une authentique pédagogie progressiste ; avec à l’arrivée des classes populaires déboussolées (les unes tentées par le racisme, les autres par le communautarisme religieux), une grande bourgeoisie déguisant sa férocité foncière en « bienveillance » dégoulinante, sans parler des couches moyennes ballottées entre l’auto-phobie nationale des bobos et l’agressive xénophobie du FN et des beaufs…

Tous ces aspects faibles, voire inquiétants de Mai 68, le PCF de Waldeck Rochet et de Jacques Duclos sut, grosso modo, les déceler à l’époque. Ils étaient liés, derrière le peinturlurage « mao », anar, trotskiste, « situationniste » des manifs, à la composition très bourgeoise et petite-bourgeoise de l’Université d’alors : seuls 20% d’une classe d’âge accédait alors, non pas même à l’enseignement supérieur, mais… à la Seconde ! Et bien entendu, ces orientations objectivement contre-révolutionnaires, qui se mêlaient inextricablement à des aspirations subjectivement révolutionnaires, furent méthodiquement cultivées, d’abord par la social-démocratie mitterrandienne, qui ne prit le pouvoir en 1981 que pour enterrer le PCF et l’essentiel des revendications ouvrières, mais par la dérive social-démocrate du PCF l’ainsi-dite « mutation » qui, soumis à d’incessantes campagnes antisoviétiques, à la casse bourgeoise organisée du produire en France industriel et agricole (donc au déclassement massif de ses deux classes d’appui, le prolétariat industriel et la petite paysannerie), à la surreprésentation des couches moyennes salariées dans ses propres rangs et, last and least, à la restauration mondiale de l’exploitation capitaliste, aura fini lui-même par s’ « euro-communiser » avant de se dé-marxiser, de se déprolétariser, de se « boboïser » et pour finir, de se décommuniser presque entièrement.

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