15 ans de trop dans l’Union Européenne : le droit européen

par | Mai 19, 2020 | Théorie, histoire et débats | 0 commentaires

III. Le droit européen

Au même titre que les institutions, le droit européen est abscons, mais pourtant important à comprendre vu son impact au sein des politiques françaises.

Tout d’abord, partons de sa politique économique. On distingue au sein de l’UE les zones de libre-échange et les unions douanières. Les zones de libre-échanges existent quand les Etats abolissent les barrières douanières entre eux. L’union douanière, c’est quand les Etats abolissent les barrières douanières entre eux ET qu’ils ont un tarif commun pour tous les objets qui rentrent. L’union douanière est liée au contexte de l’après-guerre et surtout à deux accords : accord du GATT en 1947 et de l’OMC en 1994. Deux institutions fondées sur la croyance que la politique interventionniste a mené à la chute de la démocratie et à l’arrivée de Hitler au pouvoir. Leur « solution » pour faire barrage au fascisme : c’est la baisse de tous les tarifs douaniers[1].

Pour revenir au droit, il y a au moins deux grands principes à connaitre. Le premier, c’est l’applicabilité directe du droit européen dans chaque Etat. C’est ce qui vient d’un arrêt Van Gend and Loos de 1963 par la Cour de justice de la Communauté Européenne. Le second, le principe de primauté, vient compléter ce droit en énonçant que le droit de l’UE prime sur le droit national, comme c’est indiqué dans l’arrêt Costa c/ Enel de 1964 par la CJCE. Comprenez bien ce que cela signifie : des lois, des décisions de justice, même prises hors consultation des représentants du peuple français, lui sont applicables sans qu’il n’y ait pu avoir de débat !

Autre grand principe, la libre circulation des marchandises qui s’impose entre Etats membres. Cette liberté de circulation ne peut être limitée dans l’UE par aucune législation nationale, ce qu’on voit notamment dans l’arrêt Dassonville de 1974. Dans l’arrêt Commission c/ Italie de 1961, est interdite toute charge pécuniaire qui frappe les marchandises nationales ou étrangères. Les trois critères cumulatifs pour avoir un tarif équivalent à un droit de douane : 1) une charge pécuniaire, 2) unilatéralement imposée par un Etat, 3) remplissant un critère d’extranéité (franchissement d’une frontière). Ce principe interdit aussi les restrictions quantitatives à l’importation, aussi bien entre les Etats membres que pour l’exportation. Les mesures équivalentes à une restriction quantitative à l’importation sont énoncées dans le même arrêt Dassonville. La CJCE a un tempéré cette jurisprudence dans l’arrêt Kransk. Les juges ont distingué les entreprises de ventes et les entreprises de revente.

Vient ensuite la libre circulation des personnes et des services, régie par les articles 45, 49 et 57 du TFUE. L’article 45 dit que « Tout citoyen de l’Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres. » Ce droit de circuler peut même être accordé aux membres des pays tiers résidant légalement sur le territoire. L’article 49, quant à lui, énonce que sont interdites les restrictions aux déplacements des citoyens d’un Etat membre. « Cette interdiction s’étend également aux restrictions à la création d’agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d’un Etats membre établis sur le territoire d’un Etat membre. » Cette liberté d’établissement va bien sûr avec la possibilité d’exercer un travail conformément à certaines dispositions. L’article 57 définit les services comme étant « les prestations fournies normalement contre rémunération », ce qui comprend des activités de caractère industriel, commercial, artisanal ou encore les professions libérales.

La notion de « travailleur » n’est pas vraiment définie. Ce sont les juges européens qui ont donné une définition, cela n’a donc pas donné lieu à débat. Ils l’ont défini dans l’arrêt Laurie-Bloom de 1986 : le travailleur est d’un Etat membre de l’UE, il peut se déplacer d’un Etat à un autre Etat, et il bouge pour une raison économique. Ce dernier critère renvoie à trois autres critères : l’activité économique doit être principale (au moins 10h par semaine), rémunéré et doit se faire dans le cadre d’une subordination.

Un principe très important dans la vie française, c’est la liberté d’établissement que l’on retrouve à l’article 49 du TFUE. C’est le fameux principe qui permet de déménager une entreprise plus facilement et qui favorise les délocalisations qu’ont à subir les ouvriers français[2]. Une « liberté » dont on voit l’efficacité à l’heure de la désindustrialisation et où le pays manque des moyens de fabriquer le matériel nécessaire pour contrer la crise sanitaire.

Enfin, il ne serait pas possible de parler du droit européen sans parler aussi de l’article connu largement des défenseurs du Frexit : l’article 50 du TUE. Si vous suivez ce blog et les publications du PRCF, vous savez sans doute que nous sommes assez critiques de l’utilisation de cet article comme moyen de sortir de l’UE. Afin de mieux vous éclairer, nous vous mettons en copie un extrait de l’article de la camarade Shannon[3] à ce propos :

« Il s’agit d’utiliser la voie prévue par les traités constitutifs de l’Union Européenne, en utilisant le désormais fameux article 50 du Traité sur l’Union Européenne (ci-après TUE). Entré en vigueur avec le traité de Lisbonne et applicable depuis 2009, ce dernier dispose en son paragraphe premier que « tout Etat membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de quitter l’Union ». La procédure légale de sortie se déroule comme suit : l’Etat notifie sa décision de quitter l’UE au Conseil européen, qui détermine les grandes orientations de l’accord de sortie et mandate, conformément à l’article 128 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE), un négociateur en chef chargé de représenter les positions de l’UE. Les Etats membres du Conseil européen et l’Etat sortant doivent établir les modalités de la sortie et les liens futurs de l’Etat avec l’Union. Le compromis trouvé est adopté par le Conseil après approbation du Parlement européen puis validé par le parlement de l’Etat sortant. La sortie de l’Etat de l’UE est effective soit à la date de la conclusion de l’accord de sortie, soit à l’issue d’un délai de deux ans à compter de la notification au Conseil européen. Ce délai peut néanmoins être prorogé par accord entre l’Etat sortant et le Conseil européen à l’unanimité (c’est notamment le cas pour le Royaume-Uni, qui ne parvenant pas à obtenir des termes de sortie satisfaisant son parlement, a repoussé sa sortie de mars à octobre 2019).

« La lecture de l’article 50 fait émerger diverses difficultés. D’abord, l’Etat sortant est exclu des délibérations qui le concernent, n’ayant pour interlocuteur que le représentant mandaté par le Conseil européen. Ce dernier, formé par les chefs des Etats membres de l’UE, tous plus libéraux les uns que les autres et travaillés par un souverainiste émergeant partout en Europe, n’ont aucun intérêt à ce que cette sortie de l’Union européenne se déroule sereinement pour l’Etat sortant. Bien au contraire, afin de décourager leurs oppositions nationales, il est dans leur intérêt de décrédibiliser au maximum leur « partenaire de négociation », de faire en sorte que ce dernier paie un lourd tribut financier pour son indépendance retrouvée (500 millions d’euro à verser au budget de l’UE pour le Royaume-Uni d’ici 2020) ; en un mot, que la sortie se passe le plus mal possible. Le Conseil, de par sa capacité à déterminer seul les termes des négociations, a toute latitude pour établir un accord au poids économique lourd, pénalisant pour l’Etat sortant. Le gouvernement de ce dernier, forcé de respecter les normes européennes durant les négociations et donc en incapacité d’appliquer tout programme qui ne serait pas en continuité avec la politique contre laquelle ses électeurs auront voté, n’a pas la main dans les négociations du fait de cette asymétrie de l’information. Il est donc logique que l’accord final soit extrêmement dur et économiquement pénalisant. Le gouvernement de l’Etat sortant, déjà fortement décrié par ses électeurs à cause de son incapacité à appliquer son programme, devra donc ratifier un accord qui le défavorise totalement. Sortir par l’article 50, c’est donc aller droit au désastre en s’inscrivant dans un rapport de force forcément défavorable conduisant inévitablement à l’endettement et au discrédit politique. (…)

« La seule solution politiquement satisfaisante, celle que propose le PRCF, consiste donc en une sortie unilatérale de l’UE, sans que le Conseil européen et la Commission de Bruxelles n’aient leur mot à dire, et en l’application immédiate de son programme socialiste. Peu importe les traités forgés pour emprisonner les peuples, pour les arrimer de force au cargo en furie qui vogue vers l’iceberg de la casse sociale. Si une modification des modes de propriété, si une conquête du pouvoir par la classe ouvrière et l’abolition de l’exploitation capitaliste qu’elle implique venaient à être réalisées, le manque de formalisme de la France dans sa sortie de l’Union européenne serait le cadet des soucis des instances dirigeantes auxquelles nous soumettent les traités. « On n’avancera pas d’un pas si on craint d’aller au socialisme », disait Lénine. « On ne se libère pas de la tutelle de ses maîtres en attendant qu’ils nous affranchissent », pourrait-on ajouter. Le Frexit sera progressiste et sans accord ou il ne sera pas. »

(La suite bientôt).

Ambroise-JRCF.


[1] Bien sûr, il serait loisible de rire jaune à cette évocation qui n’est juste qu’un argument de vente, la preuve en étant que des partisans de ce genre d’idée, comme Milton Friedman, ont collaboré avec le dictateur fasciste Pinochet pour l’élaboration de ses mesures économiques pro-patronat.

[2] Nous vous renvoyons à l’article « La désindustrialisation en France : une affaire politique » sur les conséquences de ce principe (29/01/2019).

[3] « L’impasse du légalisme : limites de la fameuse sortie de l’UE par l’article 50 », JRCF, 01/05/2019.

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