Kalash Criminel, du rap panafricain ?

par | Oct 2, 2020 | Contre-culture | 0 commentaires

FRANCE, Paris : Kalash Criminel, poses during a session photo in Paris on November 22, 2018 . AFP PHOTO / JOEL SAGET

Cela fait maintenant quelques mois que « l’ensauvagement » de la société est dans la bouche de tous ceux que personne n’a envie d’entendre, et à qui aucune personne sensée ne demandera leur avis. Pourtant nous continuons de les entendre parler entre eux sur leurs chaînes privées qu’ils osent appeler « débat public ». Puisque tout le monde a le droit à sa part du gâteau, nous allons parler ici du plus « sauvage » des rappeurs du rap français, Kalash Criminel. Plus précisément notre analyse portera sur son album sorti en 2018, « La fosse aux lions ».

Le jeune rappeur est né au Zaïre et arrive en France lorsque ses parents fuient la première guerre du Congo. Il grandit à Sevran, dans le 93, et se fait connaître en 2016 avec le morceau « Arrêt du cœur » en collaboration avec le plus célèbre MC de son quartier, Kaaris. Nous déconseillons fortement d’écouter ce morceau avec votre maman ou toutes personnes ne portant pas le rap très haut dans son classement musical : pourtant le couplet de l’artiste laissait déjà présager d’une volonté de passer un message politique à travers sa musique.

« Obama une carotte, il nous a juste fait roupiller
Pendant ce temps là, en Afrique, en train de tout piller
Je fais du bien et du mal, mais le bien ils ont oublié » (arrêt du cœur)

En ce qui nous concerne, nous allons dans l’analyse de son album ne retenir que le bien, et malgré ce que laissent présager la cagoule, les instrumentales trap agressives, et les « ta ta ta » criés dans le micro, il y a bel et bien matière. Tout d’abord nous devons nous attarder sur la marque de fabrique de l’artiste, le mot « sauvage » ou « sauvagerie » martelé à longueur de chansons qui vient ponctuer la fin de ses phrases. Cette appropriation du mot « sauvage », utilisé par les colons pour désigner l’homme noir, ou encore décliné aujourd’hui par ceux qui ne camouflent même plus leur racisme lorsqu’on parle d’une hausse de la criminalité, souligne l’intelligence du rappeur. Ainsi cette appropriation du terme n’est pas sans rappeler un certain courant littéraire anti colonial créé par Léopold Senghor et Aimé Césaire, du nom de « négritude », avec pour but de revendiquer et affirmer une culture et une identité commune afin de ressembler le peuple noir en s’appropriant la meurtrissure laissée par l’histoire. A cela viennent s’ajouter de nombreuses références au courant panafricain qui ponctuent l’album, mais nous y reviendrons tout à l’heure, chaque chose en son temps.

L’origine du titre de l’album provient directement de la bible et de l’histoire de Daniel. Daniel, qui signifie « jugement divin » est exilé adolescent à Babylone, il devient fonctionnaire pour le roi Nabuchodonosor mais lorsque les Mèdes récupèrent la ville il est trahi et le nouveau roi est contraint de le jeter dans la fosse aux lions. Par miracle, Daniel évite le supplice et à la fin de sa vie obtiendra le retour d’exil. À la vue de ce que nous savons déjà sur la vie de Kalash Criminel, nous comprenons la sensibilité qu’entretien le rappeur avec le titre, qui prend en partie son sens. Par ailleurs, les thèmes abordés dans l’album nous font entendre que la fosse aux lions à un sens plus global ; que ce soit la trahison, l’exploitation, les discriminations, la rivalité, ils sembleraient que nous soyons beaucoup de sa classe sociale à être dans cette fosse, luttant, priant ou en faisant les deux.

« Apparemment, j’suis une tête brûlée, on va se mettre d’accord
Aucun patron d’maison d’disque va m’donner des ordres » (tête brulée)

L’album est produit en indépendant sur son propre label discographique, le rappeur a un regard très justement critique vis à vis des maisons de disques et de l’industrie en général. Pris en tenaille entre les requins derrière leurs bureaux et le public derrière leur compte twitter, consommant le produit fini sans prendre conscience du travail fourni, prêt à le jeter immédiatement à la poubelle après 30 secondes d’écoute, l’artiste est lui aussi du côté des exploités.  Ainsi il confie volontiers en interview que la fosse aux lions est aussi cette industrie musicale, dont il parle sans mâcher ses mots (1).

« L’Afrique n’avancera pas tant qu’il n’y aura pas de monnaie commune
Au Nord-Kivu, j’ai pas vu l’OTAN, j’ai pas vu l’O.N.U » (La sacem de Florent Pagny)

Cet extrait est tiré du premier morceau de l’album dont les premiers mots sont « Les migrants qui meurent d’la noyade, c’est pas la mer à boire », ce qui nous laisse présager de la teneur du message qui va être délivré, simple, basique.

Pour Kalash Criminel, il faudrait une monnaie commune pour aider au développement économique de l’Afrique, cela se comprend dans une vision panafricaine, car une monnaie est un symbole fort qui renforce l’identité commune et la coopération. Cependant, nous pensons qu’une monnaie commune doit intervenir dans un cadre socialiste, afin de favoriser les échanges et la solidarité internationale. En effet le risque d’une monnaie commune dans le capitalisme est que celle ci se transforme en monnaie unique à la manière de l’euro, qui effaça toutes les monnaies nationales et la souveraineté monétaire avec. Il nous apparaît que la monnaie unique a été une grave erreur et nous n’aurons de cesse d’en réclamer sa sortie. Si une monnaie commune pourrait être en accord avec la volonté populaire, nous pensons que la monnaie unique, elle, sera en totale contradiction avec les intérêts du peuple africain. Tout d’abord la monnaie unique ne garantit pas la coopération, voyons plutôt de quelle manière se sont entraidés les pays de l’euro durant la crise sanitaire de la Covid-19 (2). De plus la monnaie sera indexée sur une autre à la manière de l’euro sur le mark, c’est à dire que pour certains pays africains cette monnaie sera trop forte tandis que pour d’autres elle sera trop faible, ce qui tendra à accentuer certaines inégalités. Ceci étant, il est vrai que l’Afrique n’avancera pas sans souveraineté monétaire, c’est à dire sans s’émanciper des monnaies néocoloniales comme le Franc CFA (lui-même indexé sur l’euro) présent encore dans 14 pays d’Afrique. Cette souveraineté économique retrouvée, les pays africains pourrons se tourner alors vers le progrès et la solidarité internationale du mouvement socialiste.

Ensuite, Kalash Criminel, parle du Nord-Kivu, en RDC où une guerre civile a lieu en lien avec les exploitations de ressources minières, notamment celle du coltan.

« Je suis fier de moi, je regarde mon fils et je suis content
Pendant ce temps mon pays se fait tuer pour du coltan
L’argent c’est bien mais la santé c’est plus important »  (Coltan)

Le conflit qui oppose l’armée à des groupes rebelles, est l’un des plus sanglants depuis la seconde guerre mondiale avec 6 millions de morts. Alors que sur place le trafic de coltan cause la mort de milliers de civils, de grands groupes économiques tirent profit de ce massacre puisque le coltan fait partie des métaux rares utilisé à la construction de nombreux composants électroniques, particulièrement les téléphones mobiles. Le rappeur déplore de ne pas avoir vu sur place ni l’OTAN, ni l’ONU, deux organisations occidentales. Est-ce que cette dernière n’intervient pas par conflit d’intérêt ? difficile de savoir. En ce qui concerne l’OTAN, l’organisation impérialiste n’a eu de cesse de répandre la guerre depuis sa création et mieux vaut qu’elle reste loin du Kivu. Nous continuons pour notre part, au PRCF, à militer pour la paix et donc la sortie de la France de l’OTAN. 

« Je suis pas un rappeur engagé
Mais je dénonce et j’insiste
J’ai la peau blanche mais j’suis renoi
Comment veux-tu que je sois raciste ? » (On fait la fête)

Pour bien comprendre cette citation, il faut savoir que le rappeur est porteur d’albinisme. C’est un thème qui revient régulièrement dans ses textes, à la fois lorsque qu’il parle de son enfance où il a pu être moqué et à la fois lorsqu’il évoque le calvaire que subissent les albinos dans certains pays d’Afrique. En effet, des « crimes rituels » sont encore commis sur ces personnes dans certaines régions, par croyance, et certains les considèrent comme maudits ou prêtent des vertus magiques à leur sang et leurs organes. Alors que l’albinisme n’est ni une maladie, ni une anomalie, mais simplement un déficit génétique de production de mélanine. Nous avions un large choix de citations de texte où Kalash Criminel évoque le sujet, mais celle-ci a retenu notre attention car c’est sans doute la plus belle mais aussi la plus intéressante. C’est un réel message d’universalisme que délivre l’artiste, d’autant que le refrain de la chanson suivante énumère : « renoi savage, rebeu savage, babtou savage », revendiquant une identité commune dans la diversité. Par ailleurs il est amusant de constater comme ces quelques rimes sur une situation concrète mettent en déroute le concept de « blanchité » (3) importé des États-Unis par les anti-racistes racialistes de Konbini et AJ+, mais aussi les journalistes du service public de France Culture. Il semblerait qu’une fois de plus, comme nous l’avions vu avec le métissage de Laylow (4), les théories post-modernes ne doivent se cantonner à leurs universités bourgeoises sans quoi elles se fracturent lorsqu’on les confronte à la réalité.

« Ils ont pillé mon pays, détruit mon continent
Lumumba, Boumédiène, Sankara
Les hommes forts chez nous dont l’Occident à dit « bon débarras » » (Avant que je parte)

Patrice Lumumba en République du Congo, Houari Boumédiène en Algérie et Thomas Sankara au Burkina Faso, font partie d’une longue liste (5) de personnalité politique révolutionnaire africaine qui ont fait de l’anti-impérialisme et de la lutte pour l’indépendance et la souveraineté de leur pays leur cheval de bataille. Le premier et le dernier, se sont fait assassiner. Assassinat dans lesquels, aujourd’hui, sont mis en cause la Belgique pour le premier et la France pour le second. En effet, l’artiste fait bien de souligner que l’occident n’a pas pour intérêt de voir une prise de conscience dans leurs empires néocoloniaux et continuent d’ingérer, si ce n’est d’édicter, la politique là-bas en se cachant derrière la défense de « la stabilité », le « maintien de l’État de droit » ou encore l’ingérence humanitaire. On peut même s’étonner que le rappeur parle ici au passé, car les monopoles capitalistes occidentaux de Total à Bolloré continuent bel et bien à piller l’Afrique. Cependant il est également à noter que les peuples de l’Afrique francophone et du pourtour méditerranéen rejettent ces monopoles de plus en plus (6).  C’est notamment le cas au Liban, au Mali, en Côte d’Ivoire, sans oublier l’insurrection pacifique de la jeunesse algérienne.

« C’est pas la France qui est mauvaise, c’est plutôt le système qui nous encule
À chaque élection, on se fait couiller, et les hommes d’État nous manipulent » (Sombre)

Dans ce style qui peut pourtant sembler plutôt prosaïque, ce que dit Kalash Criminel ici est très juste et nécessite d’être approfondi. En premier lieu, nous n’aurons de cesse de marteler qu’en effet la classe prolétaire à beaucoup plus à perdre qu’à gagner dans ce mode de production capitaliste qui s’apparente à un « système » sans réellement en être un. Mais surtout, il est particulièrement vrai de souligner que la France n’est pas « mauvaise » et c’est quelque chose qui ressort parfois chez certains jeunes africains, ou même français, qui proclament les slogans « mort à la France ! », « nik la France » ou encore « à bas les français ». Il est important de ne pas confondre la France officielle et l’impérialisme avec « La France », celle des travailleurs, que chantait à jamais Jean Ferrat. En effet, nous sommes tous embarqués dans une même lutte avec un ennemi commun. Celle du progrès de l’histoire contre les monopoles capitalistes. Et par là, l’impérialisme, tout autant que les nationalismes xénophobes qui se développent « contre » lui, sont donc également les ennemis des peuples exploités par l’impérialisme et les ennemis du peuple français lui-même.

En somme, Kalash Criminel est un rappeur qui, malgré les apparences, à beaucoup de choses à dire et ne gâche jamais une occasion de le faire. Il met un point d’honneur à ouvrir les yeux d’un jeune public rap qui parfois se sent loin des questions sociales, par dégoût, désintérêt ou manque d’informations. Bien qu’il souligne lui-même, à raison, ne pas être engagé, il dénonce justement ce qui devrait être de notoriété publique en ne délaissant jamais la forme de son message, ce qui lui permet de toucher un large public à travers sa musique. Cela doit nous rappeler notre rôle essentiel de militant pour aiguiser les consciences, et de massifier le mouvement pour l’émancipation humaine dans la forme la plus accessible possible. C’est à dire que pour mener cette lutte à bien, il faudra qu’au-delà du public de Kalash Criminel, la jeunesse sur le plan national comme international prenne conscience que c’est tous ensemble et en même temps qu’il nous faudra se battre.

Baba-JRCF

  1. https://www.youtube.com/watch?v=yYNwwKb4Pec
  2. https://www.initiative-communiste.fr/articles/europe-capital/le-covid-19-fait-voler-en-eclat-le-mythe-de-lunion-europeenne-qui-protege-au-contraire-lue-tue/
  3. https://www.marianne.net/societe/blanchite-privileges-allies-pourquoi-les-jeunes-adherent-ils-tant-l-antiracisme-racialiste
  4. http://jrcf.over-blog.org/2020/05/pourquoi-ecouter-trinity.html
  5. https://www.afriact.com/la-revolution-est-elle-assez-entree-dans-lhistoire-de-lhomme-africain/
  6. https://www.initiative-communiste.fr/articles/international/crise-contre-offensives-et-enlisements-de-limperialisme-francais-une-reflexion-de-georges-gastaud/

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