Le mois d’octobre est marqué, dans l’univers du hip-hop, par la sortie de l’album collaboratif « 13 organisé » mettant le rap marseillais à l’honneur, autant avec de jeunes artistes qu’avec les plus illustres MC de la ville du sud. Loin de nous l’idée de parler de ce projet qui va très certainement avoir son lot d’articles dans le sens du vent, mais il nous semble que le moment est bien choisi pour faire un gros plan sur l’un de ses collaborateurs, Soso Maness. Le nom du rappeur vous a peut-être échappé, mais difficile d’être passé à côté ces derniers mois : durant le confinement il avait fait beaucoup de bruit avec la sortie de son morceau « So Maness » ou encore avec son couplet « zumba kafew » dans le tube « Bande Organisée » de l’album précité.
Soso Maness est donc un rappeur marseillais âgé de 32 ans. Bien qu’il ait commencé très jeune la discipline, de mauvais choix de vie l’ont amené à n’avoir que deux albums studio à son actif. C’est le second qui nous intéressera ici. Sorti en Juin 2020, « Mistral » n’est encore certifié d’aucune récompense. Si les thèmes abordés dans l’album ne sont pas particulièrement originaux, les genres musicaux expérimenté par l’artiste sont bien plus intéressants, de la house au rock, l’artiste n’en finit pas de surprendre tout au long des morceaux et de s’éloigner de son univers d’origine. Son univers d’origine justement, au-delà du rap, est le thème le plus récurrent de l’artiste, la drogue et son trafic, les armes et la police, autant de mot qui, aujourd’hui, rimes tristement avec banlieue, très loin de la vie, très proche de la mort.
En préambule il est important de faire un rappel de notion marxiste sur ce qu’est le lumpenprolétariat. Marx considérait, et il n’était pas le seul, qu’il existe un sous-prolétariat qui aurait peu d’intérêt à participer à la révolution, et au contraire une disposition à « se vendre à la réaction ». En effet ce sous-prolétariat constitué de petits malfrats a un intérêt dans la préservation de la structure de classe puisque leur survie quotidienne dépend de la bourgeoisie. En sommes le lumpenprolétariat est une sous-classe prolétaire, sans aucune conscience de son oppression ni de son exploitation, et qui se comporte comme la classe bourgeoise et dans son intérêt. Il nous semblait primordial de faire ce rappel afin d’écarter le rappeur de cette définition, au contraire, Soso Maness semble conscient de cette distinction (1). A travers sa musique, l’artiste s’inspire de sa vie pour chanter une réalité sans jamais l’encenser mais seulement la décrire froidement, sur des notes d’espoir.
« La mort n’attend pas qu’tu sois un homme bien, sois un homme bien et attends la mort
J’ai gaspillé le temps au creux de ses mains mais avec le destin, personne joue la montre » (Mistral)
Ces phrases sont les premières de l’album, elles posent le décor et ouvrent le message qui sera délivré tout au long du projet. En continuité avec le nom de son premier album « rescapé », Soso Maness témoigne ici avoir échappé à la mort, ou au moins de passer à côté de sa vie en faisant le mal, c’est à dire en vendant de la drogue. Dans la première phase, il joue habilement sur la formule pour faire la morale à ceux qui sont, comme lui l’a été, égaré dans leurs vies. On peut dès lors constater qu’il n’est définitivement pas question pour lui de faire l’apologie de la drogue comme le font certains rappeurs biberonnés par les maisons de disque qui n’ont pas encore fini leur crise d’adolescence.
« Quand j’rappe, poto, tu sens la vérité et l’authenticité de mes fables
J’vais pas pleurer sur notre précarité mais montrer au monde, qu’on est capables
Décidé à inciter l’unité comme mes trois grands frères du Intouchable » (Mistral)
« Intouchable » est un groupe de rap dont les membres ont été fondateurs du collectif « Mafia K’1 Fry ». Leur musique était revendicative et beaucoup plus politique que ce qui se fait aujourd’hui. Créé dans les années 90, la « mafia africaine » a marqué toute une génération de rappeur, et le rap avec, grâce à des artistes comme Kerry James, Manu Key ou Rohff. Ici, Soso Maness rend hommage à ses « trois grands frères » décédés dans des règlements de compte, tout en rappelant une époque où le rap jouait un rôle émancipateur et appelait à l’unité de classe. Fidèle à ses prédécesseurs, il ne compte pas faire pleurer les murs avec sa précarité, ce qu’aujourd’hui bien des gauchistes ont oublié en tombant dans le misérabilisme, en exigeant de chaque opprimé qu’il se retranche dans son oppression, et en confondant prolétariat et sous-prolétariat. Ainsi, il déclare vouloir inciter à l’unité et « montrer au monde qu’on est capable », et c’est bien ce qui fait peur à la bourgeoisie des experts et des technocrates, de voir qu’on est capable.
« Le quartier nous uni, le terrain nous divise
Fais ta peine, arrête d’faire d’la peine, kho, tu connais la devise » (Balance)
Les quartiers populaires, comme les campagnes, sont des zones délaissées au profit des grandes villes en termes d’infrastructures publiques (2) et d’emploi. Ainsi la solidarité y est plus forte, elle ne se manifeste pas de la même manière dans les quartiers qu’à la campagne, mais existe bel et bien (3) parallèlement aux villes où tout est fait pour maintenir la distance sociale et que les gens ne se rencontrent pas. Malheureusement cela serait trop beau que la solidarité puisse s’exercer pleinement dans les zones où les classes populaires y sont en plus grand nombre. C’est pour cela que Soso Maness dit que « le terrain », c’est à dire le territoire dédié à la vente de drogue, nous divise. La concurrence y est extrêmement rude et tous les coups sont permis pour récupérer un peu plus de bénéfices que les autres. Malheureusement ce capitalisme sauvage vient gangrener ces espaces de solidarité ainsi que la vie de leurs citoyens, à la ville comme à la campagne qui n’est pas non plus épargné par les réseaux de drogues et de prostitution.
« J’suis pourri comme un membre de la BAC Nord qui déboule dans ton tieks et tire au flash-ball
Devant ta mère, normal, ils t’insultent tes morts, calibre à la taille, ils font les cowboys
Et l’OPJ te fait la fouille au corps, en retard ou pas pour le taf, la FAC ou l’école » (Interlude)
Le morceau « Interlude », qui comme son nom l’indique est plus une interlude musicale qu’un morceau, est dirigé contre la police, et particulièrement la Brigade Anti-Criminalité des quartiers nord de Marseille. Il est intéressant de souligner que les trois musiques qui précèdent l’interlude ont pour thème le trafic de drogue. Pourtant, Soso Maness fait le choix de parler de la police dans ses rapports avec la population et non avec les trafiquants. Il souligne les humiliations que subissent sans cesse à tort les habitants des quartiers, dans leur quotidien, alors même que les activités criminelles ne concernent qu’une minorité. Par ailleurs, les insupportables « contrôles au faciès » qui n’ont eu de cesse d’être démontré dernièrement, ne font que caractériser l’incapacité (ou le refus ?) des autorités à lutter réellement contre le trafic(4).
Malheureusement, effet de style oblige, le message général est encore et toujours dirigé vers les fonctionnaires de police. Pourtant, sans nier les violences qui se multiplient, le racisme et la diffusion des idées nauséabondes d’extrême droite au sein des syndicats de police, il est impossible de les dénoncer réellement sans inculper leur hiérarchie et l’instrumentalisation politique qui est faite de la police. Il sera également impossible de faire le ménage des éléments fascisants dans la police sans faire le ménage à sa tête, au niveau national et supranational dont les euro-gouvernements sont déjà à un stade de fascisation avancé (5).
« Éclairé par la lune, j’ai peur
J’ai quitté ma famille, mes rêves en tête
La cruauté de l’homme à l’égard de mon être
J’ai affronté le silence et les tempêtes » (Bilal)
Dans le morceau « Bilal », le rappeur se lance dans un exercice de style qui s’est marginalisé dans le rap actuel – où pourtant chacun joue un personnage – celui de raconter une histoire. Alors que l’authenticité de Soso Maness fait la force de son discours, ce morceau inspiré d’une vie qui n’est pas la sienne, viens relever l’album d’un peu de fraîcheur dans les thèmes, souligne le respect qu’il voue à une discipline de plus en plus vulgarisée par les grandes maisons de disques et l’empathie dont il sait faire preuve. Ainsi « Bilal » raconte le parcours d’un jeune africain de 22 ans qui quitte son pays pour un avenir meilleur. L’histoire se concentre sur son voyage et décris les conditions inhumaines que subissent les immigrés notamment en Libye où le trafic d’être humain est un business fructueux pour les mafias. L’artiste a expliqué que, comme lui, des descendants d’immigrés peuvent être racistes envers des personnes qui vivent ce qu’ont traversé leurs propres parents et voulait donc sensibiliser sur la vie de ces personnes (6).
Le message est louable, car l’ennemi du peuple n’est pas le travailleur immigré mais bien le capitalisme, et il nous faut combattre toutes formes de xénophobie et de racisme dans la société. Cependant, il faut également dénoncer l’orchestration de cette immigration par les politiques néo-libérales, supranationalistes et leurs soutiens libéral-libertaires qui font la promotion de la concurrence exacerbée et du sans-frontièrisme. Car c’est bien de cela dont il s’agit, mondialiser la concurrence entre prolétaires sur le « marché du travail » afin d’affaiblir la résistance des travailleurs en les dressant les uns contre les autres grâce à la promotion du communautarisme. C’est pour cela que les JRCF, aux côtés de leurs aînés du PRCF, militent pour une position internationaliste responsable. Dans cet optique nous déclarons qu’il faut abolir les lois anti-immigrés, régulariser les travailleurs immigrés présents sur notre sol qui produisent mais n’ont droit à rien, frapper durement les réseaux d’immigration clandestine et le patronat qui les commandite, favoriser l’accès à la nationalité pour les travailleurs immigrés, permettre partout la scolarisation et l’accès aux soins pour les migrants, combattre l’extrême droite, le racisme et la xénophobie d’État et abroger la circulaire européenne sur le travail détaché en obligeant les patrons à embaucher aux conditions françaises (7).
« J’ai trop vu de larmes, le soir à l’hôpital, trop vu de blases sur les pierres tombales
Cette année, le vent va tourner pour mes frères, c’est pour ça qu’cet album s’appelle « Mistral » » (Mistral)
Comme Soso Maness, nous espérons aussi que le vent va tourner pour la classe prolétarienne, car celle-ci paye depuis trop longtemps les erreurs de la bourgeoisie. Alors que le capitalisme est rentré dans son stade suprême, celui de l’exterminisme, le temps presse pour combattre la réaction. Pour cela il nous faut reconstruire une organisation de masse et de classe, centré sur le monde du travail, capable d’ouvrir la voie du socialisme en France. Malheureusement s’il n’y a pas de prise de conscience générale que c’est tous ensemble et en même temps qu’il faut frapper, alors des artistes comme Soso Maness continueront de hurler dans le vent avant que celui-ci ne tourne.
Baba– JRCF
- http://jrcf.over-blog.org/2020/08/la-haine-jusqu-ici-tout-va-bien.html?fbclid=IwAR39QSOlFIRAbDV1E3X9bFNpeiPBQIidWfuEYyHeeEdgB5o-0D1tJbNQ_5c
- https://www.solidarum.org/besoins-essentiels/solidarite-dans-quartiers-pendant-l-epidemie
- https://www.francetvinfo.fr/societe/clip-de-rap-ou-trafic-de-drogue-trois-questions-sur-les-videos-virales-qui-ont-declenche-operation-de-police-massive-a-grenoble_4091567.html
- https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/police-policiers-et-violences-policieres-lanalyse-du-prcf/
- https://youtu.be/9GFfwVQDYL0?t=1075
- https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/migrations-pour-une-position-internationaliste-responsable/
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