À l’heure de l’indépendance

par | Oct 27, 2020 | International | 0 commentaires

En tant que Français, nous avons le devoir de connaître notre Histoire, et en tant que communistes, de l’analyser pour préparer l’avenir. En particulier, le récit de l’émancipation des peuples qui constituaient jadis notre empire colonial et les organisations qui ont aidé ou combattu sa réalisation, sont encore trop méconnus aujourd’hui. Qui étaient ces révolutionnaires ? Quelles sont les racines de la Françafrique impérialiste qui a poursuivi l’oeuvre coloniale même après les indépendances ?

Au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, les puissances coloniales européennes sont très affaiblies. Le nazisme a été vaincu. Le grand vainqueur de ce conflit, l’Union Soviétique, est depuis toujours l’ennemi de l’impérialisme et du colonialisme. En France, les communistes se sont imposés comme la première force politique du pays. Ces faits sont tous propices au développement des mouvements révolutionnaires en Afrique.

Sous la pression coloniale, le continent commence à moderniser rapidement son économie. L’agriculture représentait jusqu’en 1950 l’essentiel de la production ; celle-ci va augmenter considérablement pour les besoins divers des colons : bois, coton, cacao, café… Les années 50 verront en parallèle le developpement des premières industries extractives, notamment en Afrique Occidentale.

Ces évolutions auront plusieurs conséquences significatives. La localisation des nouveaux emplois autour des grands ports de commerce entraîneront des déplacements massifs de populations rurales vers les villes ainsi créées. On voit ainsi la formation d’une petite bourgeoisie urbaine, d’un prolétariat ouvrier ainsi que d’une grande bourgeoisie locale. Cette dernière, bien qu’elle ait une situation très avantageuse en comparaison des précédentes, voit son pouvoir toujours fortement bridé par l’occupant français. C’est ainsi qu’une partie de l’élite devient favorable à l’indépendance et prendra la tête de mouvements révolutionnaires. Amilcar Cabral, célèbre révolutionnaire bissaoguinéen, parlera à ce propos d’auto-liquidation en tant que classe.

Face à la montée inexorable des mouvements d’émancipation, la bourgeoisie française doit réagir pour ne pas perdre complètement ses possessions africaines. Ainsi, dès octobre 1945, les colonies sont représentées par cinq députés au sein de l’assemblée chargées de rédiger la constitution de la nouvelle Union Française. On trouvera parmi eux notamment Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire) et Lamine Guèye (Soudan français, actuel Mali) qui rapporteront l’interdiction du travail forcé et l’octroi de la citoyenneté française pour tous les anciens sujets coloniaux. Pourtant, l’application de ces lois sera très marginale jusqu’aux indépendances et la forte opposition de la droite à ces réformes les empêchera d’aller plus loin.

Comme dans les colonies britanniques voisines, cela va de pair avec la création de partis politiques. Cependant, dans le cas de l’Union française, les partis créés dans les territoires d’outre-mer de l’Union Française sont systématiquement affiliés à des partis traditionnels, à savoir les socialistes et le PCF. Un moment important de la lutte pour l’indépendance est la constitution du Rassemblement Démocratique Africain, parti fédéraliste ayant des sections dans dix Etats. Son congrès fondateur en octobre 1946 est l’occasion d’une grande campagne de propagande de la part de l’Etat français et de pression sur les représentants africain pour le discréditer. Félix Houphouët-Boigny, qui en sera le président, rencontre de nombreuses difficultés pour se rendre au congrès, qu’il rejoindra finalement grâce à un avion réquisitionné en urgence par le ministre communiste Charles Tillon. Aux élections législatives, le RDA envoie sept élus qui seront tous affiliés au groupe communiste.

Après l’éviction des communistes du gouvernement un an plus tard, l’impérialisme français entreprend rapidement la restauration de son pouvoir colonial. Les mouvements indépendantistes sont très violemment réprimés, notamment à Madagascar et au Cameroun. Houphouët-Boigny est considéré comme un élément corruptible, face à des syndicalistes révolutionnaires panafricains convaincus tels qu’Ahmed Sékou Touré (Guinée) ou Modibo Keïta (Soudan français). L’Etat colonial renforce donc tout particulièrement les pressions en Côte d’Ivoire : amputation du territoire de la Haute-Volta, actes de terrorisme attribués au RDA pour arrêter ses dirigans. Ils obtiendront gain de cause. Vers la fin de l’année 1950, les députés ivoiriens quittent le groupe communiste et soutiendront ensuite le gouvernement français, en votant notamment les crédits de guerre pour l’Indochine. Cela générera de fortes tensions au sein du RDA, plusieurs sections refusant ce changement de cap.

La résistance et la volonté d’indépendance ne sont pas affaiblies pour autant. Les syndicats africains, presque tous affiliés à la CGT sont maintenant épaulés par des partis forts : Parti démocratique de Guinée, Union soudanaise… Les mouvements de grève massifs de 1952, 1953 et 1955 forceront la métropole à accorder une semi-autonomie de droit aux Etats de l’Union. Au Cameroun, dès 1948, les syndicats appellent à l’unification et indépendance immédiate. En janvier 1947 a lieu le congrès fondateur de l’Union Générale des Travailleurs D’Afrique Noire. Sous la présidence de la Guinée, elle ne durera que trois ans mais regroupera pendant cette période quasiment tous les syndicats d’Afrique francophone.

L’avènement de la Vème République en 1958 achève de bouleverser l’ordre de l’ancien empire colonial. L’Union Française se change en Communauté Française via un référendum, en perdant la Guinée qui préfère la pauvreté dans la liberté que la richesse dans l’esclavage. Les autres indépendances seront acquises deux ans plus tard, mais avec des dirigeants majoritairement favorables à la bourgeoisie colonialiste française. Un reste de fédéralisme persistera dans la Fédération du Mali qui ne durera qu’un an, la politique pro-française du Sénégalais Léopold Sédar Senghor s’avérant inconciliable avec l’aspiration à une véritable indépendance défendue par Modibo Keïta.

Si la bourgeoisie française sort finalement grande gagnante de ces années de lutte, l’esprit révolutionnaire et anti-impérialiste ne disparaîtra pas de sitôt, et continuera d’habiter les peuples guinéen, malien et tant d’autres auxquels à qui nous rendions déjà hommage ici. Connaître l’Histoire, c’est éviter de la revivre, et c’est d’ailleurs en profitant de l’oubli que l’impérialisme a repris ses droits hégémoniques sur le continent jusqu’à aujourd’hui.

Valentin- JRCF

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