Annonce d’élections en Palestine en 2021 : vrai renouveau ou coup d’épée dans l’eau ?

par | Fév 27, 2021 | International | 0 commentaires

L’actualité récente au Moyen-Orient a été marquée par l’annonce au mois de janvier de la tenue d’élections en Palestine dans le courant de l’année 2021[1]. Celles-ci, les premières depuis 2005 et la mort de Yasser Arafat, se dérouleront en deux temps : en mai se dérouleront les élections parlementaires, et en juillet les présidentielles.

Il peut sembler étonnant au lecteur que l’Autorité Palestinienne ait attendu plus de 15 ans avant d’organiser des élections. Cette durée s’explique par plusieurs raisons différentes.

La première, c’est que l’Autorité Palestinienne possède de moins en moins de pouvoir politique, et n’a strictement aucune « autorité » sur son propre territoire, la faute à l’impérialisme israélien, et la colonisation désormais systématique de la Cisjordanie. Pire encore, alors que le Hamas est majoritaire au Conseil Législatif Palestinien (l’assemblée législative), son pouvoir effectif se concentre surtout dans la bande de Gaza, alors que le Fatah contrôle le gros de la Cisjordanie. La souveraineté politique de l’Autorité palestinienne est donc largement fantoche, car seuls compte les rapports de forces effectives (politiques et militaires) des partis sur le terrain : on comprend donc que renouveler un pouvoir fantoche avait peu de chances d’enthousiasmer les masses populaires palestiniennes, ce qui a ralenti le renouveau des mandats politiques.

La deuxième raison d’un tel délai, c’est la rivalité fratricide entre le Hamas et le Fatah, qui a entériné un statu quo interminable. Pour rappel, le Fatah est le parti historique de Yasser Arafat, laïc, de tendance social-démocrate, et plutôt modéré face à Israël depuis l’abandon officiel de la lutte armée en 1993. Le Hamas quant à lui est la branche palestinienne des Frères musulmans : farouchement islamiste, et partisan d’une ligne dure face à Israël. Ce double positionnement a souvent placé le Hamas dans une position assez contradictoire au Moyen-orient : d’un côté, étant membre international des Frères musulmans, il appartient à une organisation qui s’est plusieurs fois accommodée et accoquinée avec l’impérialisme américain dans la région ; d’un autre côté, son positionnement national en Palestine en fait un des fers de lance de la lutte populaire contre l’impérialisme israélien. Ce positionnement intenable a d’ailleurs éclaté au grand jour au début de la guerre syrienne en 2011 : les Frères musulmans étaient parmi les djihadistes les plus belliqueux contre la Syrie baathiste, alors que le Hamas avait été soutenu par la Syrie depuis toujours, y compris matériellement, au nom de la lutte contre Israël. Suite à cela, le Hamas a donc perdu le soutien de la Syrie baathiste.

Ainsi, à première vue, l’affrontement Fatah-Hamas semble simple : islamistes sunnites contre laïcs socialisants. Le problème fondamental, c’est que le Fatah, n’est plus celui des grandes années de Yasser Arafat : l’opportunisme et la corruption sont devenues ses deux mamelles, ce qui a laissé un boulevard au Hamas, partisan d’une lutte féroce contre Israël, et contre la corruption du Fatah. C’est donc le discrédit du Fatah qui a renforcé le Hamas. Hamas qui, quant à lui, pratique aussi un clientélisme éhonté. En dehors du conflit, parfois meurtrier, qui a opposé ces deux partis, on a donc ici la vraie raison de l’ajournement sans fin des élections : tant le Hamas que le Fatah avaient intérêt à maintenir un statu quo qui s’éternise, se tenant mutuellement par leur corruption respective. C’est donc aussi une forme d’entente de brigands qui les a conduits à ajourner sans fin ces élections.

Mais alors pourquoi les organiser maintenant ? Il est évident que la récente arrivée au pouvoir de Joe Biden à la présidence américaine a relancé du côté du Fatah et du Hamas un désir de plaire à cette nouvelle administration, dans l’espoir – complètement vain – de pouvoir faire avancer la cause palestinienne. Une telle situation explique les réactions variées à cette annonce d’élections : bonne nouvelle pour les uns, car elles relanceraient un processus démocratique de réunification de la lutte pour la cause palestinienne[2] ; mascarade verrouillée d’avance pour les autres à seule fin de procéder à une « opération séduction » envers la nouvelle administration US[3].

Les communistes palestiniens du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP, deuxième parti palestinien non-religieux après le Fatah), possédant actuellement 3 députés au Conseil Législatif Palestinien, ont déjà annoncé en janvier leur volonté de ne pas participer aux élections législatives – les conditions pour des élections libres et transparentes n’étant pas réunies[4]. Premièrement, les contradictions qui avaient présidé à l’affrontement militaire ouvert entre le Fatah et le Hamas n’ont pas été résolues : des élections à ce stade dans l’Autorité Palestinienne n’auraient donc que peu de sens, car il n’y a même plus de consensus sur la question de la lutte de libération nationale, et la forme que pourrait prendre un futur Etat palestinien. Deuxièmement, le président élu en juillet devrait, selon un amendement, être le président du futur État palestinien, et pas de la seule Autorité Palestinienne. Or, ne pourront voter que les Palestiniens résidant dans les territoires occupés (Gaza, Jérusalem et Cisjordanie), et pas les Palestiniens où qu’ils se trouvent (notamment les réfugiés). Il y a donc un grave problème de représentativité, car la base électorale n’est pas la même que celle qui doit être représentée. Ce scepticisme semble, à en croire un récent sondage, largement partagé par les Palestiniens eux-mêmes[5] : 52 % d’entre eux pensent que dans les circonstances actuelles, les élections ne pourront pas être libres et équitables. De plus, 76 % pensent que le Fatah rejettera une victoire du Hamas, et 58 % que le Hamas rejettera aussi une victoire du Fatah. Autrement dit, une large majorité de Palestiniens pensent que ces élections ne seraient pas acceptées par la partie perdante, ce qui est de très mauvaise augure pour la suite.

Ce refus n’est toutefois pas absolu, et dépendra de la dynamique populaire qui sera enclenchée, comme les communistes du FPLP l’ont annoncé en février[6]. Selon Omar Shahadeh, un des dirigeants du FPLP : « les élections ne sont qu’un premier pas et ne reflètent pas la principale préoccupation du peuple palestinien » – principale préoccupation qui est la dissolution par Israël des accords d’Oslo de 1993. Or, la fin de ces accords historiques doit entraîner de la part des dirigeants palestiniens une réévaluation de la situation, et une réponse politique forte – réponse qui pour l’instant inexistante, le Fatah s’entêtant dans une solution à « deux Etats » qui n’a plus beaucoup de sens depuis la colonisation désormais presque totale de la Cisjordanie. Le principal risque de ces élections selon Shahadeh est de renouveler les symboles périmés d’Oslo, et de donner de faux espoirs en nourrissant les illusions sur la solution à deux Etats – au lieu de lutter correctement contre la corruption et l’opportunisme. Pire encore, puisque la tenue de ces élections est essentiellement un geste fait envers l’administration Biden, le risque est grand que les élites palestiniennes se contentent de la part de Biden de « promesses et d’argent », c’est-à-dire de « solutions économiques à court terme », et pas d’une solution nationale réelle. Dans ces conditions, ces élections semblent plus que mal engagées.

Cependant, il existe une inconnue de taille dans cette équation qui semble pourtant jouée d’avance : la question de la candidature de Marwan Barghouti[7]. Peu connu en occident, ce militant du Fatah incarcéré depuis 2002 en Israël pour activités politiques lors de la deuxième Intifada, est incroyablement populaire en Palestine. Âgé de 61 ans, ce militant qui a connu sa première incarcération à 15 ans pour activisme, est un ancien proche de Yasser Arafat. Ses aller-retours entre la prison, l’assemblée législative et le militantisme de terrain lui ont fait acquérir une solide légitimité populaire. D’autant qu’il est aujourd’hui en rupture avec le Fatah officiel, critiquant impitoyablement sa corruption et son opportunisme. Partisan d’une ligne dure face à Israël, il refuse toute solution à deux Etats, ce qui lui vaut un grand respect des militants du Hamas. Le résultat ? Selon les sondages, en cas de candidature à la présidentielle en juillet, depuis sa prison israélienne, il caracolerait en tête avec un score insolent de 61 % des voix, et pourrait rafler la première place des élections législatives avec une liste alternative au Fatah. Les principaux obstacles à sa candidature sont bien entendu son incarcération en Israël, et l’opposition conjointe du Hamas et du Fatah contre un candidat qui menace de troubler leur jeu de dupes (islamistes patriotes versus laïcs opportunistes), et très populaire et respecté par leur base militante et électorale.

Ces résultats sont tout à fait logiques pour ceux qui savent que les Palestiniens, contrairement à leurs dirigeants opportunistes et corrompus, ne nourrissent plus aucune illusion sur la solution à deux Etats. Celle-ci, déjà plus que difficile à tenir en 1993 du fait de la séparation territoriale entre la bande de Gaza et la Cisjordanie, et devenue irréalisable depuis la seconde Intifada, et la colonisation de toute la Cisjordanie par les colons israéliens (cf. carte 1). Si ces élections pouvaient clarifier politiquement les conséquences d’un tel changement, alors elles seraient le meilleur tremplin pour reconstituer les forces populaires palestiniennes sur un projet clair – front populaire dans lequel les communistes palestiniens occuperont tout naturellement une place importante, comme dans toutes les luttes palestiniennes depuis 1948. Sinon, les Palestiniens devront se contenter au mieux des miettes que Trump voulait bien leur laisser (cf. carte 2).

Victor-JRCF.

Carte 1
Carte 2

[1]https://www.telesurenglish.net/news/Palestine-Prepares-for-Its-First-Elections-in-15-Years-20210111-0005.html?fbclid=IwAR2Wpul4pEZ662i35B1mJYFxnVeX9mk6wFdl1kGe_gOnOzc5QQ3wUVUFGEo

[2]https://www.lorientlejour.com/article/1233848/le-hamas-et-le-fateh-sentendent-pour-des-elections-palestiniennes-dici-six-mois.html

[3]https://www.letemps.ch/monde/elections-palestiniennes-verrouillees

[4]https://www.alquds.co.uk/%D8%A7%D9%84%D8%AC%D8%A8%D9%87%D8%A9-%D8%A7%D9%84%D8%B4%D8%B9%D8%A8%D9%8A%D8%A9-%D8%AA%D8%B9%D9%84%D9%86-%D8%B9%D8%AF%D9%85-%D9%85%D8%B4%D8%A7%D8%B1%D9%83%D8%AA%D9%87%D8%A7-%D9%81%D9%8A-%D8%A7/

[5]https://www.aljazeera.com/news/2021/1/17/uncertainty-as-palestines-abbas-announces-elections

[6]https://pflp.ps/post/19857/%D8%A7%D9%84%D8%B4%D8%B9%D8%A8%D9%8A%D8%A9-%D8%A7%D9%84%D8%A7%D9%86%D8%AA%D8%AE%D8%A7%D8%A8%D8%A7%D8%AA-%D9%8A%D8%AC%D8%A8-%D8%A3%D9%86-%D8%AA%D9%83%D9%88%D9%86-%D9%85%D9%82%D8%AF%D9%85%D8%A9-%D9%84%D8%A5%D8%B5%D9%84%D8%A7%D8%AD-%D8%B4%D8%A7%D9%85%D9%84-%D9%88%D8%AC%D8%B0%D8%B1%D9%8A-%D9%88-%D8%AE%D8%B7%D9%88%D8%A9-%D9%84%D9%88%D8%B6

[7]https://www.lorientlejour.com/article/1250072/lombre-de-marwan-barghouti-plane-sur-la-presidence-palestinienne.html

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