Entretien avec le Conseil National des Jeunes du Palika (CNJP)

par | Avr 17, 2021 | International | 0 commentaires

  1. Pouvez-vous présenter votre organisation ? Quel est le lien avec la formation Palika ?

Le conseil national des jeunes du PALIKA (CNJP) regroupe l’ensemble des jeunes militants du PALIKA (Parti de Libération Kanak), organisation politique dite « indépendantiste » créée en 1976 d’obédience Marxiste-Léniniste. Les jeunes militants du CNJP sont des référents nommés par les structures internes du parti. C’est un espace dédié à la jeunesse afin qu’elle puisse échanger et partager sur des sujets qui la préoccupent. Mais c’est avant tout un espace où le jeune peut aguerrir sa formation militante au travers d’une éducation politique. L’éducation politique dispensée par des cadres et responsables du PALIKA repose sur les fondamentaux idéologiques, et précisément les outils et méthodes de l’analyse marxiste de la société. Elle repose également sur le fonctionnement du parti et ses organes de décisions.

Le CNJP tient deux assemblées générales dans l’année, et dans le cadre de la campagne pour la consultation, il contribue à faire la promotion du projet de pleine souveraineté et d’indépendance de KANAKY-Nouvelle-Calédonie.

  1. Quelle est la situation générale de la jeunesse en Nouvelle-Calédonie ?

La jeunesse Calédonienne (15-30 ans), c’est environ 63 000 personnes (sur 380 000 habitants) dont 23 000 personnes actives et un taux de chômage de 28%.

C’est également 32 500 personnes dites inactives dont la majorité (21 000 personnes) poursuivent leur parcours scolaire.

Depuis les années 80, l’accès à la formation pour les kanak et pour toutes les communautés de KNC étaient au centre de la revendication. Face aux inégalités toujours présentes ici mais aussi au regard de la politique de peuplement menée par l’administration coloniale, il fallait que la population locale puisse accéder à des postes à responsabilité et ne plus se cantonner à des emplois peu qualifiés. Les accords de Matignon-Oudinot (88) et de Nouméa signés en 1998 ont donc ouvert une période permettant à la jeunesse notamment, de s’inscrire dans une phase d’acquisition de compétences (diversification des diplômes d’enseignement général, technique, professionnel, construction de nouveaux établissement, attribution de bourses d’études en formation initiale et continue en KNC mais également en France, au Canada, en Nouvelle-Zélande, etc.) Ainsi, l’accès à l’éducation et à la formation a été porté en termes de politique publique par les institutions de KNC (le gouvernement, les provinces, les communes).

Aujourd’hui, le taux de réussite au baccalauréat général et technologique est satisfaisant (entre 70% et 80%). Et nombreux sont ceux qui poursuivent leurs études principalement en France métropolitaine mais aussi dans la région pacifique, au Canada, etc…

Mais il nous faut doubler de vigilance afin de pouvoir nous former dans tous les secteurs et que certains domaines ne soient pas réservés qu’à une seule catégorie de la population. C’est le sens des politiques de rééquilibrage et de discrimination positive. Toutefois, les jeunes Calédoniens diplômés reviennent au pays et sont en concurrence sur le marché du travail avec des métropolitains qui ne trouvent pas d’emploi en France. Malgré la protection de l’emploi local, la stratégie électorale de la droite locale, à la tête d’une majorité de TPE et PME mais aussi des collectivités publiques, consiste à recruter en métropole. Ainsi KNC conserve bien, dans les faits, un statut de petite colonie. Et bien installés, ces nouveaux « citoyens » revendiquent le droit de participer à l’autodétermination de KNC jusqu’ici réservée au peuple Calédonien. Le système colonial est bien présent et menace l’avenir de notre jeunesse.

Bien entendu, le phénomène de la délinquance est présent ici, et affiche des chiffres tristement élevés et contribue à accroître le sentiment d’insécurité dont la réponse politique et institutionnelle est souvent la répression, et la restriction des libertés. Malgré les initiatives prises par les politiques publiques et les associations, la problématique est accentuée par l’addiction à l’alcool et aux drogues, amplifiée par les inégalités sociales fortes. Cette délinquance est l’occasion pour les réactionnaires et conservateurs de la droite locale de stigmatiser la jeunesse et d’en faire un épouvantail pour la pleine souveraineté et l’indépendance de KNC.

  1. Vous avez connu un confinement en Nouvelle-Calédonie jusqu’au 4 avril. En métropole, lors de nos confinements successifs nous avons constaté une hausse de la précarité chez une bonne partie de la population tandis que les files d’attente de la soupe populaire se remplissaient. Est-ce qu’il y a un phénomène similaire en Kanaky- Nouvelle-Calédonie ?

En Kanaky-NC, le confinement a effectivement fait suite à un cas de contamination au virus COVID-19 en provenance de la collectivité de Wallis et Futuna et a été prolongé dû à un cas dit « autochtone » afin d’enrayer la propagation et de permettre à KNC de demeurer une zone « Covid free ». En ce qui concerne la précarité, c’est un phénomène qui touche l’ensemble du Pays mais qui est plus visible dans les zones dites « urbaines », dans les communes de l’agglomération du Sud. Nous avons donc pu observer les initiatives de certaines associations, qui ont permis la prise en charge de sans-abris principalement.

Par contre, la précarité a été mise en évidence lorsque le confinement a provoqué une rupture des liens, surtout des échanges quotidiens, entre les familles. Ici, la famille est une institution importante et joue le rôle de « tampon social » pour se préserver contre la précarité.

Par exemple, pendant le confinement, des familles résidant en milieu urbain ont pu bénéficier des dons en denrées alimentaires venant des familles de l’intérieur (zone rurale de la grande terre) et des îles. C’est un fait révélateur de ce que peut faire cette « institution » dans la société Calédonienne. C’est aussi une expression des valeurs de solidarité, d’empathie et de considération de l’autre, très présentes au sein de la population Calédonienne et depuis très longtemps.

  1. Dans le cadre du mouvement social contre la vente de l’Usine du Sud au consortium Trafigura, certains partis loyalistes ont appelé à refaire de nouveaux accords de Nouméa et pointé un retour possible aux « événements » des années 80. Pouvez-vous nous en dire plus ?

En ce qui nous concerne, le sujet global du dossier de la vente de l’Usine du Sud est la maîtrise de la ressource naturelle, ici le nickel. En effet, il s’agit pour nous de tirer de l’exploitation minière, un bénéfice optimal pour les besoins de la population Calédonienne. Nous considérons ainsi que cela passe par l’appropriation par le Pays (Kanaky-NC) des moyens de production lui permettant ainsi de ne plus seulement exporter la matière première (minerais)

mais de la transformer et de commercialiser le produit fini ou semi-fini (appropriation de la plus-value au bénéfice de KNC). En effet, le processus de décolonisation signé en 1998 (Accords de Nouméa), toujours en vigueur aujourd’hui, nous place dans une position de rupture avec le système colonial. Il nous faut donc nous affranchir de l’assujettissement de notre pays aux multinationales et au système capitaliste. Nous rappelons que cette ressource appartient au peuple calédonien, et qu’il lui revient de la valoriser en nouant librement des accords « gagnant-gagnant » avec des partenaires industriels et commerciaux (Trafigura ou autres), sans seulement se contenter de la vente de minerai brut, des salaires, et des retombées fiscales liées à l‘exploitation du Nickel.

S’agissant de l’accord de Nouméa, contrairement à ce que bon nombre de soi- disant « loyalistes » – ils ne font que remettre en cause le processus de décolonisation qui a été inscrit dans la constitution Française – prétendent (stratégie électorale), il est toujours en cours tant qu’un nouveau statut ne lui succède pas. Qu’est-ce cela veut dire ? Ben pour nous, il va bien falloir discuter avec les partisans du maintien de KNC dans la France, quel que soit le résultat de la consultation, pour sortir de cet accord de Nouméa. Mais de quoi nous, porteurs de la revendication d’indépendance, devrions nous discuter si ce n’est de l’aboutissement du processus de décolonisation, à savoir, l’indépendance. Il n’y a pas et n’y aura pas d’autres sujets.

Pour ce qui est d’un possible retour aux évènements des années 80, il est à rappeler que cette période est née de la négation par la puissance de tutelle, soutenue par la bourgeoisie locale, de l’existence d’un peuple premier en KNC. Et c’est bien parce que les propositions statutaires successives pour KNC de l’Etat français à l’époque, ne prenaient pas en compte les desiderata des indépendantistes mais surtout du peuple KANAK, que cela s’est traduit en une situation de quasi guerre civile.

Et c’est précisément cette reconnaissance qui a été négociée puisque inscrite dans le préambule de l’accord de Nouméa où l’Etat français reconnaît l’existence d’un peuple premier (lorsque la colonisation est arrivée) avec une identité propre en KNC, le peuple Kanak (Il existe donc dans la constitution Française un autre peuple que le peuple français, c’est inédit !). Dans ce même préambule, la puissance de tutelle reconnaît avoir organisé la colonisation ici en KNC. « Les ombres et les lumières » de la colonisation ainsi reconnues, il peut être procédé à la construction d’un Pays. C’est ce qui permet de battre en brèche cette hypothèse de retour aux évènements. On peut donc se poser la question mais pourquoi agiter le spectre de la peur à la veille de la consultation ? A qui veut-on faire peur et pourquoi ? Nous ne sommes pas dupes, les intérêts de classe existent ici en KNC, et une minorité bourgeoise proche du pouvoir politique n’a aucun intérêt à ce que KNC accède à ce statut de pays souverain et veulent donc un nouveau statut pour prolonger leur situation de privilégiés.

  1. Les indépendantistes kanaks ont fait chuter le gouvernement de Kanaky- Nouvelle-Calédonie en février dernier et sont devenus majoritaires, juste après la percée au deuxième référendum sur l’indépendance de 2020. Comment voyez-vous la gouvernance de l’archipel jusqu’au dernier référendum d’autodétermination en 2022 ?

En effet, la chute du 16ème gouvernement (16ème depuis 1998) de la Nouvelle-Calédonie (GNC) provoquée par les Indépendantistes a permis de redistribuer « les cartes ». La nouvelle donne octroie une majorité aux indépendantistes. L’enjeu est de taille pour ce gouvernement dit « indépendantiste » dans le contexte actuel. En effet, c’est l’occasion pour la nouvelle majorité de mettre en œuvre les réformes sociales visant à lutter contre toute forme d’inégalités (c’est un des motifs de la chute du GNC) et de poursuivre les transformations sociales nécessaires à l’émergence d’un destin commun (créer les conditions d’un contrat social pérenne en KNC entre les communautés).

[On peut faire une parenthèse là, en disant que tout ce que la colonisation a fait de mauvais, et bien c’est à nous ensemble, citoyens de KNC de le restaurer, c’est ça l’enjeu. Et l’Etat dans tout ça ? On peut se poser la question de son attitude en tant que Pays des « Droits de l’Homme ». Quid de son rôle ?! On ferme la parenthèse.]

Pour poursuivre, il s’agit pour ce nouveau gouvernement de mettre en œuvre le projet politique que nous portons pour un pays souverain et indépendant. Et c’est là, un autre moyen de convaincre une large partie de la population calédonienne du bien fondé de notre démarche politique pour la pleine souveraineté. Evidemment que ce gouvernement aura la tâche de discuter avec l’Etat français de l’avenir institutionnel de KNC, l’enjeu est donc immense. Mais il s’agit d’un gouvernement dit « collégial » où la discussion, plus que le vote majoritaire, avec les autres composantes politique qui ne partagent pas notre vision, est nécessaire (c’est une dialectique permanente).

A l’instar du processus de décision dans l’organisation sociale Kanak et océanien, les ministres du GNC devront se consulter, discuter entre eux et décider ensemble, sans renier leurs objectifs politiques. Cette gouvernance singulière propre aux peuples d’Océanie qui a prévalu depuis des millénaires, peut nous emmener au moins jusqu’à la prochaine consultation. Nous au PALIKA nous le pensons, bien sûr !

La démocratie peut aussi s’exprimer selon des modalités innovantes de gouvernance, c’est aussi le défi qu’il nous faut relever : Contribuer humblement à l’évolution des sociétés dans le monde en faisant la part belle à ce qui nous distingue, nous calédoniens, de tous les peuples du monde.

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