Cinema d’horreur et communisme

par | Sep 14, 2021 | Contre-culture | 0 commentaires

Je tiens à préciser tout de suite au lecteur que ce texte exprime purement l’avis de l’auteur. J’ai rédigé ces lignes en simple passionné de cinéma et par ailleurs militant communiste. L’un des genres cinématographiques que j’ai le plus regardé est le genre horrifique, que nous trouvons à foison aujourd’hui et de plus ou moins bonne qualité. En regardant l’histoire, on constate que le cinéma d’inspiration communiste voire simplement progressiste (dans le sens militant) a assez peu utilisé l’horreur comme expression. Je me suis interrogé par rapport à ce rejet apparent. Il s’agira ici de tenter d’apporter des explications, qui seront bien entendu argumentées, mais plutôt à titre d’entrée en matière. En effet ce texte ne constitue pas une étude poussée à caractère scientifique.

Au départ, la littérature horrifique s’est construite en opposition aux Lumières et aux évolutions progressistes de son temps, dans le cadre du mouvement romantique et gothique[1]. Souvent par des personnes bien nées, par exemple dans l’aristocratie anglaise, qui avaient du temps pour la contemplation et la réflexion. Ce mouvement recourait aux explications surnaturelles et prêchait un présupposé irrationnel. Bien sûr ce n’est pas totalement le cas quand on voit aujourd’hui des artistes comme Clive Barker ou Stephen King.

Les premiers films d’horreur à connaître un grand succès viennent de l’Allemagne d’après Première guerre mondiale. Ces œuvres servaient selon certains auteurs à représenter l’horreur de la guerre, l’échec de la révolution allemande, le nationalisme refoulé et l’antisémitisme ambiant, contenus dans des films comme Nosferatu de Murnau (1922) ou Le Cabinet du docteur Caligari. La crise de 1929 donna lieu aux USA à des films beaucoup plus sombres de la Universal (Dracula et Frankenstein) reflétant la dépression économique de l’époque. A partir de 1935 et du retour en force de la classe ouvrière on assiste à des suites pour faire gagner de l’argent et à des contenus plus parodiques[2]. D’autres événements comme la bombe atomique (Godzilla) et le maccarthysme (Body snatchers) vont influencer le cinéma horrifique de leur période. Le retour du religieux dans les années 60 poussent à la diffusion de nombreux films montrant un religieux face à une entité démoniaque, l’exemple le plus célèbre étant L’exorciste de Friedkin. Zombie de Romero quant à lui part sur une critique du consumérisme après la crise pétrolière de 1973. Les années 80 voient le retour du néoconservatisme aux Etats-Unis, parallèlement au développement du genre du slasher (un genre très influencé par le giallo[3] italien) où un tueur solitaire massacre une bande d’adolescents voire surtout d’adolescentes aux mœurs libres.

Dans les années 90, au moment où le bloc soviétique s’effondre, il y a une sorte de tassement dans les films d’horreurs, la production étant de moins bonne qualité et se contentant souvent de suites et des remakes à bas prix. Sauf quelques exceptions comme le magnifique Candyman (1992) de Bernard Rose, le film qui réinvente le genre des slasher Scream (1996) de Wes Craven et l’excellente critique sociale de l’isolement de la jeunesse japonaise dans Kaïro de Kiyoshi Kurosawa (2001).

Les années 2000 sont caractérisées par un essoufflement global, comme en témoigne la surreprésentation du « torture porn »[4] dans les œuvres horrifiques. Il s’agit d’un sous-genre de l’horreur où la violence est décomplexée, comprenant toutes sortes de tortures et de scènes dégradantes, menant souvent à une fin brutale. Les histoires sont assez simples et la violence graphique très présente, ce qui permet à la fois de reproduire son schéma scénaristique facilement[5] et d’attirer un public qui cherche des images de plus en plus extrêmes. A partir des années 2010, le cinéma horrifique repart un peu plus à la hausse avec quelques bonnes trouvailles de ces dernières années comme Hérédité d’Ari Aster (2018) et Get out de Jordan Peele (2017).

Toutefois, un certain nombre des œuvres horrifiques de ces dernières années (et même hors du champ horrifique) ont selon moi une tendance qui me dérange fondamentalement : la priorité est donnée à l’esthétique sur le contenu. Ce n’est pas fondamentalement quelque chose de nouveau, on pourrait faire aisément cette remarque aux maîtres de l’horreur italienne, mais à la différence des œuvres d’il y a 60 ou 50 ans, celles-ci sont acclamées par la critique justement pour leur esthétisme vide et aussi par un public qui en redemande.  Hors du domaine de l’épouvante, un réalisateur comme le danois Nicolas Winding Refn avec ses films Drive (2011), Only god forgives (2013) et The neon demon (2016) peut en être le plus parfait exemple, ces trois films ayant connu un succès critique et dans le cas du premier un succès public. L’esthétique et les références cinématographiques y sont poussées à fond mais sans le fond. L’idée de Refn, présente chez d’autres, est d’offrir une expérience filmique aux spectateurs sans autre but que faire quelque chose d’artistique[6], donc sans réflexion sur l’humanité ou contestation de l’ordre établi.  Comme si l’idée était davantage de nous faire découvrir le monde par les sensations que par la raison. On peut citer dans la même logique le succès du cinéma de Julia Ducournau[7] et la redécouverte par un jeune public de réalisateurs comme Dario Argento au détriment de certains cinéastes politiques italiens. Peut-être est-ce une extrapolation infondée, mais au même moment on constate la montée de mouvements irrationalistes religieux ou sectaires qui tentent d’appréhender le monde par la sensation et un retour à la nature au détriment de la raison humaine.  

Pour revenir au socialisme, des pays comme l’URSS avaient un cinéma d’épouvante quasiment inexistant[8], qui n’était pas encouragé à la différence de la science-fiction. Ce qui ne signifie pas qu’il n’y ait pas eu des « miettes de genre »[9] dans le cinéma soviétique, mais qu’à de rare exceptions cela entrait dans un récit qui faisait partie d’un autre « genre », par exemple le film d’aventure. Cela ne signifie pas non plus que le Parti communiste en URSS se soit désintéressé de cette question. Au contraire, le genre était dénoncé dans les journaux comme immoral et symbolique de la décrépitude du capitalisme en Occident. En quelque sorte les critiques soviétiques considéraient l’horreur comme décadente. Toutefois, il y a une autre raison qu’ils invoquaient qui nous semble assez pertinente pour expliquer ce dédain.

La raison se trouve sans doute dans l’essence même du genre horrifique, qui joue sur ce que l’on ne comprend pas, sur l’irrationnel, sur un élément non maîtrisé par le spectateur et les personnages, que ce soit à travers le tout-puissant Dracula ou l’étrangement résistant Michael Myers. Il s’agit en quelque sorte d’abdiquer face à des forces occultes bien plus puissantes que nous. La résolution du mystère ou le fait d’arriver à vaincre la créature pouvant gâcher pour certains spectateurs l’aspect terrifiant du film. Alors que le mouvement progressiste rationaliste des Lumières a tenté de donner à la majorité le moyen de maîtriser son environnement, d’être libre et de réfléchir par soi-même grâce à la raison, en s’attaquant aux vieux mythes et à l’origine de certaines autorités, tout cela dans le but de libérer l’homme de sa servitude. L’horreur a aussi une tendance involontaire à valoriser de vieilles vertus, à l’instar du devoir de chasteté dans les slashers. La science-fiction me semble avoir été privilégiée (et c’est un avis personnel) sur l’horreur car celle-ci est plus à même de montrer les hommes maîtrisant leur avenir et leur vie par la science, comprenant le monde qui les entoure, même extraterrestre, sans se laisser dominer par lui.

Cependant en y regardant de près les frontières entre horreur et questions sociales ne semblent pas si imperméables. Des cinéastes comme le canadien David Cronenberg et le japonais Kiyoshi Kurosawa utilisent tous les deux le fantastique pour passer un message plus général, ce qui fait que leurs films sont classés par des critiques dans le cinéma d’auteur et possèdent plusieurs couches de lectures. On peut penser aussi à un cinéaste non-politique comme Dario Argento qui a cultivé son amitié avec des cinéastes italiens à l’instar de Visconti et Bertolucci[10], ce dernier ayant même conseillé le maestro pour son premier film. Nous pensons bien sûr à l’américain John Carpenter qui, s’il n’est pas versé dans la politique, peut parfaitement dénoncer en interview les crimes de son pays et faire un film dont le contenu est très politique (Invasion Los Angeles).

Enfin et malgré ce que j’ai énoncé plus haut, je ne pense pas qu’il faille jeter le genre horrifique. La possibilité d’utiliser celui-ci de manière progressiste a déjà été utilisée même si cet article l’a peut-être insuffisamment montré[11]. Je crois qu’il manque de réalisateurs et d’histoires permettant de raconter un récit d’épouvante où les êtres humains ne sont pas forcément réduits sans fin à être victimes de telle ou telle entité démoniaque invincible, mais où ils soient capables de vaincre grâce à l’intelligence et à la raison, voire de remiser au placard toutes les vieilles légendes du passé.

Je pense même possible de tenter de l’épouvante matérialiste (ce qui d’ailleurs ne serait pas forcément nouveau non plus). Il s’agirait déjà de partir du principe que si le réalisateur joue sur les sensations de ses spectateurs pour les effrayer, il ne doit pas lui faire abandonner son esprit critique et sa raison afin qu’il soit en quelque sorte acteur et pas seulement passif devant le film. Qu’après les sensations viennent la réflexion. Peut-être en passant par un retour à une distanciation brechtienne au lieu d’une identification totale aux personnages. En adoptant un point de vue distant vis-à-vis des personnages, celui qui regarde a plus le temps de réfléchir. Si créature il y a dans l’œuvre, elle ne doit pas non plus être invincible pour l’être humain afin de lui faire comprendre que face à chaque difficulté il est tout de même possible de lutter. Par exemple dans la saga Alien le Xénomorphe est un prédateur difficile à battre mais pas invincible, ce qui permet avec de la stratégie et de l’intelligence d’en venir à bout. Il s’agit bien entendu de quelques idées développées par un amateur du genre. Ces quelques réflexions n’épuisent pas du tout le sujet mais, je l’espère, posent quelques bases pour un débat.

Ambroise-JRCF


[1] Le rough guide des films d’horreur d’Alan Jones.

[2] « Les films d’horreur – Le déclin du capitalisme à travers le cinéma », Mark Rahman, Révolution TMI, 31/10/2019.

[3] Le giallo est un genre cinématographique italien centré sur une intrigue policière, composé de scènes de meurtres violents et d’érotisme. Les maîtres de ce genre sont Mario Bava et Dario Argento.

[4] La saga Saw et Hostel en sont deux représentants.

[5] Au demeurant, c’était aussi le cas du sous-genre du slasher.

[6] Cette note à purement but d’anecdote : en discutant justement de Drive, un camarade me faisait remarquer que la phrase de la chanson titre du film était justement ce qui caractérise ce refus de connaitre que je tente d’expliquer (et qui est par ailleurs un leitmotiv qu’on entend très souvent dans le cinéma hollywoodien récent) : « There’s something inside you/ it’s hard to explain »/ « Il y a quelque chose en toi/ c’est difficile à expliquer » (Nightcall, Kavinsky).

[7] Réalisatrice de Grave et de Titane. Ce dernier à remporté la palme d’or à Cannes en 2021.

[8] Nous pouvons citer Viy (1967), mais celui-ci est tout de même plus kitsch qu’effrayant.

[9] « Un genre en miettes ? Retour sur l’absence du film d’horreur dans la Russie soviétique », Andreï Kozovoï, sur le site 1895, revue de l’association française de recherche sur l’histoire du cinéma.

[10] Avec qui il a co-scénarisé Il était une fois dans l’ouest de Sergio Leone.

[11] Voir le travail sur la chaîne Vidéodrome (à tendance anarchiste) ou la vidéo « L’elevated horror ça n’existe pas ! » de la chaîne L’instant Thé du 4 février 2021.

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