La Commune 1871 : pouvoir populaire et représentation dans les médias

par | Sep 18, 2022 | Contre-culture | 0 commentaires

« Bref, tout ça prouve aux combattants

Qu’Marianne a la peau brune,

Du chien dans l’ventre et qu’il est temps

D’crier : « Vive la Commune ! »

Elle n’est pas morte, Eugène Pottier, 1886.

La Commune de Paris, malgré sa brièveté, est un évènement historique ayant eut un retentissement international. Elle fut la première révolution socialiste dans le monde avec un prolétariat, certes insuffisamment développé, dirigeant la marche en avant de la révolution. Durant du 18 mars 1871 au 28 mai 1871, elle s’acheva par la Semaine sanglante, où la plupart des communards furent massacrés par les versaillais de Thiers, un horrible personnage arriviste et sans-scrupules. Les communards, qui n’avaient voulu que la fraternité, du pain pour tout le monde et la démocratie directe, furent dépeint comme les pires criminels par la presse bourgeoise, qui pensait en avoir terminé pour de bon avec le socialisme. C’est de cette révolution dont s’inspireront les bolchéviques pour leur propre révolution en Russie. D’ailleurs la légende veut que Lénine soit allé danser dans la neige lorsque que la révolution communiste russe avait dépassé d’un jour celui de la Commune de Paris. Nous avons plusieurs textes nous permettant de voir de l’intérieur ce que fut la Commune de Paris, comme L’Histoire de la Commune de 1871 de Lissagaray, La Commune de Louise Michel ou le roman semi-biographique de Jules Vallès intitulé L’insurgé.

En 1999, le réalisateur Peter Watkins, dont nous avions déjà parlé au sujet du moyen-métrage La bombe, commence à préparer à Montreuil un film sur cet évènement. La Commune (Paris, 1871) est tournée dans les anciens studios de Georges Méliès avec des acteurs non professionnels. Il fut aidé par de nombreux historiens ayant apportés leurs conseils pour rappeler certains faits historiques.

Le film est atypique et assez austère : filmé en noir et blanc, sans musique, dans un studio vétuste, pour plus de 5 heures de film. Le long-métrage nous donne à voir et à entendre les diverses interprétations de la Commune. A temps égales nous avons droit à ceux qui considèrent que l’échec de la Commune c’est de ne pas avoir été assez organisé et discipliné, et que la leçon a été tirée par Lénine, tandis que d’autres, les anarchistes, considèrent que l’expérience était déjà une réussite en tant que telle et qu’elle s’est perdue avec la trahison des idéaux de la révolution. Sans oublier le point de vue des bourgeois sur les évènements, nous lançant le couplet du pauvre petit patron qui voudrait pouvoir payer correctement les ouvriers, à condition de ne pas toucher à la propriété privée des moyens de production. Les problèmes de démocratie au sein de la Commune sont soulevés, du fait essentiellement de l’aspect brouillon de la prise du pouvoir, et les divergences qu’elles entrainent, ainsi que des comportements rétrogrades, à l’instar de ces gardes nationaux refusant la participation des femmes à la guerre contre Versailles. On y voit les politiques sociales de la Commune, comme l’école laïque et les aides financières aux plus démunis. Surtout, mais sans prendre parti, en laissant faire les comédiens, Watkins filme ce qui apparaît (apparaît à l’auteur de l’article et au mouvement communiste) comme un gros problème et l’une des raisons de l’échec de la Commune de Paris, c’est-à-dire l’indiscipline et le débat permanent dans toutes les instances de la Commune, ce qui a pour finalité, bien que donnant une certaine forme de démocratie, de paralyser toutes les actions et in fine de permettre aux versaillais de vaincre. La première partie du film nous montre les raisons qui poussent à la révolte, c’est-à-dire la misère de la population et le non-respect des droits.

Le film a un aspect semi-documentaire : les différents personnages sont interrogés et s’expriment face caméra comme dans n’importe quel reportage, ce qui est encore renforcé par l’apparition de panneau textuel venant expliquer tel ou tel évènement historique. Ces mêmes textes viennent briser l’identification du spectateur, afin qu’il réfléchisse sur les évènements et ne reste pas passif devant ce qu’il voit. A la fin, le réalisateur sort de l’explication historique et les textes s’adressent directement à nous, posent des questions contemporaines, parlent de la situation des médias et du financement du film, pousse le spectateur dans ses retranchements. Les comédiens participent dans la dernière partie à cet effort pour briser le quatrième mur dans une espèce d’assemblée ou ceux qui interprètent les ouvriers, les bourgeois et les prêtres discutent sur la situation actuelle (l’époque à laquelle le film est tourné) en expliquant pourquoi ils sont révoltés ou non, ce qu’ils pensent de la Commune, et même ce qu’ils auraient fait durant la semaine sanglante (s’ils se seraient battus ou non).

La commune aborde aussi la question du traitement par les médias des révoltes et des mouvements sociaux. Que ce soit du côté de la télévision versaillaise, avec son lot d’expert qui ne connaissent rien, d’informations biaisés, de remise en question des massacres se perpétrant, mais aussi du côté des communards. Le film met en effet en scène un duo de journaliste de télé communard présentant l’actualité de la Commune de Paris. Les deux compères sont plus préoccupés par montrer ce qu’ils se passent dans la vie de tous les jours et à interroger les gens, prolétaires comme bourgeois, sur ce qu’ils pensent, quitte à affronter l’hostilité de la population. Mais cela ne les empêche pas d’appliquer dans certains cas la censure, en oubliant de citer un article d’opinion (la demande de création d’un comité de salut public). Censure d’autant plus perturbante qu’on se rend compte que, loin des raisons invoquées de l’omission, l’un des journalistes la censuré car simplement en désaccord avec cette idée. Ce qui pose question de l’objectivité des médias même dans le camp prolétarien.

Le film a eu du mal à être produit, comme l’avoue le réalisateur dans le film, et finalement c’est la chaîne Arte qui en sera coproductrice. Pas forcément une bonne expérience, car devant les choix artistiques du réalisateur, la chaîne a tenté divers moyens dont le chantage pour imposer ses vues à Watkins. N’ayant pas pu arriver à ses fins, le film fut diffusé sur la chaîne… entre 23h et 4h du matin, soit à un moment où aucun spectateur n’est susceptible de le voir !

Quel est le spectateur visé ? Le réalisateur s’adresse au peuple, où devrions-nous dire à la catégorie fourre-tout de spectateur, mais pas dans le but de lui vendre un énième film historique, mais une œuvre avec laquelle il discute et perçoit différemment le monde, dans le but in fine de le faire bouger, comme dans les œuvres théâtrales de Bertolt Brecht. C’est pour cela que le processus créatif et l’implication des acteurs est aussi importantes pour Peter Watkins : ils se sentent engager dans une œuvre créative collective ayant pour but d’influer sur le monde. Afin de parfaire cette implication, le réalisateur demandera à ses acteurs de se renseigner eux-mêmes sur la Commune de Paris pour se préparer à leurs rôles. Œuvre hors du commun dans tous les sens du terme, La Commune mérite d’être redécouvert plus de 20 ans après sa sortie, comme un brûlot politique (ce qui respecte bien l’aspect révolutionnaire de la Commune de Paris) et œuvre collective et réellement populaire.

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