Contre l’Europe de la culture, l’art de vivre

par | Mar 30, 2024 | Contre-culture | 0 commentaires

Depuis le référendum de 2005, il est clair que la construction européenne voulue par les capitalistes du vieux continent ne sera pas si facile à imposer. La réticence française à l’absorption, que dis-je, à la dilution du pays au sein d’une Europe fédérale est tenace. Ainsi, le traité de Lisbonne, forçant la France à céder sa souveraineté à l’UE, n’était qu’une étape de l’offensive. La France, et son système sociale, énergétique et culturelle – la République, une et indivisible en somme – doivent disparaître, dissouts dans la structure supranationale de l’Union. En cédant une partie de notre souveraineté, Nicolas Sarkozy donna le champ libre à l’Union Européenne pour mener la guerre culturelle et politique directement sur notre territoire. Une fois l’Union acceptée, la résistance nationale disparue, les lois de destructions s’accélèrent ; avec un Macron qui presse le pas, en cassant le système social français, pour mettre au pas l’ensemble de la population, et qui se rêve en chef des armées européennes au service de son suzerain étasunien. Le peuple français, si réticent à la perte de sa souveraineté, devra s’y résigner de gré ou de force. De force avec Macron, de gré avec l’Europe de la Culture. Une fois incluse dans l’Union européenne, la France subit une pression culturelle et politique immense. De grands débats furent organisés à l’occasion du référendum de 2005. Qu’en est-il à présent ? Impossible d’évoquer la moindre remise en cause des traités…

 Pour faire avaler la pilule, se met en place l’idée d’une « culture européenne » ; propagande que nous avons pu voir en action lorsque l’accueil des migrants ukrainiens fuyant la guerre semblait aller de soi, tandis que celui des migrants afghans ou syriens fuyant la guerre ne semblait pas s’imposer de manière aussi évidente. Cette propagande est polymorphe, allant du journalisme à la culture de masse, tous les moyens sont bons. L’Eurovision, par exemple, concours de musiques international, a été créé dans les années 50 pour « rapprocher les pays européens ». Il est désormais un outil de propagande euro-atlantiste. Pour l’Eurovision 2024, l’artiste Joost Klein, un youtubeur néerlandais, a proposé un morceau intitulé Europapa ; un tel choix dans la programmation n’a rien d’innocent en cette année de scrutin européiste, tandis que le conflit en Ukraine gagne en intensité, et tend à s’étendre à d’autres pays. Sorti le 29 février 2024, le clip cumule déjà plus de 13 millions de visionnages sur YouTube et 24 millions d’écoutes sur Spotify. La musique, ainsi que son clip vidéo, s’inscrit dans une volonté globale de construction européiste, et donc de destruction ou de dislocation des différentes nations qui s’y soumettent. L’artiste Joost Klein est à l’origine un youtubeur néerlandais d’humour et de documentaire. Il commença sa carrière musicale au début des années 2010, toujours sur le ton humoristique. L’un des événements les plus marquants de sa vie fut le décès de ses deux parents vers 2012, élément déterminant sur la suite de sa carrière. Laissons d’abord cet élément de côté, mais nous verrons plus tard que celui-ci a son importance.

 Europapa est un morceau d’eurodance néerlandaise. Absolument tous les éléments (contexte, choix du genre musical, parole, clip) font écho à la construction européenne, et aux destructions nationales en cours. Évoquons immédiatement la musique pour souligner sa pauvreté musicale. Nous sommes ici sur une absence totale de recherche esthétique, une musique stéréotypée dans le but de faire légèrement danser avec un refrain simple et entêtant.

 Le clip, tout aussi pauvre, s’ouvre sur un plan nous montrant Joost Klein contempler au loin une grande maison décorée de drapeaux européen, le tout accompagné d’un texte en anglais « Let’s come together ! It’s now or never ! I love you all ! » (« Allons-y, tous ensemble ! C’est maintenant ou jamais ! Je vous aime ! »). Tout est déjà là, le projet est clair, une métaphore grossière avec une maison en construction comme représentation de l’Europe, ajouté à un globish des plus grinçants ; rappelons que l’anglais n’est plus la langue officielle d’aucun des Etats membres de l’UE. Nous voyons un paysage plat, vert, avec une maison remplie d’éléments faisant référence à l’écologie (arbres, buissons, éoliennes). C’est une image onirique, loin de toute réalité. La dilution culturelle par une langue avec l’anglais, et la destruction des nations au sein d’une seule et même structure impériale, voici le doux rêve qui nous est ici suggéré, loin de toute réalité politique ou sociale.

 Europapa, un rapprochement entre l’onomatopée enfantine « papa » avec le terme de « vaderland » (patrie) dont la traduction littéraire serait la terre du père, ainsi la terre des ancêtres « Europa-pa-pa, j’y resterai jusqu’à ma mort » dit-il ; l’Europe devenant la nouvelle patrie, la nation. La musique et le clip se construisent avec une alternance entre effet comique et tragique, mais nous y reviendrons. Second problème, les apparitions du drapeau européiste sont légion, sans l’évocation du moindre drapeau national d’un des pays cités. Le clip nous laisse un sentiment étrange de mépris envers les différentes cultures européennes : pas de drapeau, très peu de références aux différents pays à part trois quatre mots dans la langue, deux trois références culturelles et l’évocation de grandes capitales ; pourtant les paysages sont exclusivement néerlandais ; et d’une platitude esthétique notable. Étrange pour une musique et un clip censés promouvoir l’entente, la richesse culturelle européenne et les bénéfices de l’Europe par la libre circulation des personnes. L’entièreté de la musique et du clip nous présente la destruction des Etats et des communautés nationales au profit d’un individualisme continental ; un nihilisme terrifiant. Pire, les pays (qui ne sont pas montrés dans le clip) ne sont évoqués qu’avec l’apparition de panneaux « Italie » aux couleurs du drapeau européen, l’euro-régionalisation en action. Cette propagande est d’une platitude triste, mais aussi claire que sournoise, faire avaler la pilule de la dissolution des nations, sous prétexte d’une fin des frontières pour une seule communauté européenne. Pourtant, ce n’est pas l’Etat néerlandais qui a désigné Joost Klein pour représenter son pays à l’Eurovision, mais une pétition lancée par une radio pour aider l’artiste à représenter son pays. Il semblerait que la population néerlandaise soit plus que favorable à cette fédération européenne, elle en est convaincue et actrice de sa construction. Nous pouvons faire une rapide analyse historique : les Pays-Bas, petit pays mais puissance économique et coloniale, a toujours dû rivaliser avec les grands pays d’Europe. Après la Seconde Guerre mondiale et la fin de son empire colonial, l’idée d’une Europe fédérale, en opposition à une Europe des nations, semblait à l’avantage des intérêts de l’oligarchie qui règne sur ce petit pays, dont le port de Rotterdam est le plus grand port de transport de marchandises d’Europe.

 Le clip continue avec un manque de respect envers les cultures culinaires française, espagnole et britannique avec l’évocation des « fish n’chips » ; décidément les européistes ont toujours en travers de la gorge cette défaite idéologique. Les paroles s’arrêtent là, et la suite de la musique est une continuité de refrain et de déclinaisons rythmiques du titre Europapa, comme si le bourrage de crâne n’avait pas été déjà suffisant. Ce dernier élément fait écho à la surcharge de drapeaux européistes dans les décors : les symboles sont martelés. A défaut d’avoir de véritable idée politique, il faut faire accepter l’idée coûte que coûte. Drapeaux européens partout, drapeaux nationaux nulle part. Et notre artiste décline le drapeau et ses couleurs en une multitude de costumes tous plus ridicules les uns que les autres pour générer de la sympathie par effet comique. Mais à la fin du morceau arrive un élément dissonant avec tout ce que nous avons analysé jusqu’à présent : la musique change de style et devient du gabber. Un changement radical puisque nous quittons les sonorités pop de l’eurodance pour un style de techno décrit comme « hardcore ». Le gabber est né dans les années 90 avec la caractéristique d’être d’origine… néerlandaise. Le plus étonnant étant que le gabber est justement né en réaction à l’aspect commercial de l’eurodance, qui est devenu hégémonique au Pays-Bas, dans une perspective contre-culturelle. Ainsi, ce genre très populaire est connu des Néerlandais, une vitrine culturelle du pays. Il n’y aurait pas de problème à cela, dans la mesure où l’Eurovision est une compétition internationale, chaque pays faisant valoir ses talents et ses spécificités nationales. Mais voir cet élément apparaître dans une musique qui prône précisément un aplatissement, un appauvrissement culturel par la destruction des nations, et de facto, des conquêtes sociales qui y sont associées, est des plus étranges. Peut-être avons-nous là une preuve de l’intérêt que peut avoir la bourgeoisie néerlandaise à une Europe fédérale.

 Les surprises n’en finissent pas, et le morceau se conclut sur une « séquence émotion ». Notre Joost Klein se trouve dans une maison en feu, celle présentée plus tôt, tandis que nous entendons quelques notes de piano avec un chœur dans le fond. L’ambiance change, quelque chose de grave se trame. Les paroles rendent hommage au père du chanteur, présenté comme un « sans-frontiériste », le tout accompagné du grand truisme : « après tout, nous sommes tous humains ». Cet hommage, certainement sincère et difficilement critiquable, permet tout de même de rajouter un poids au discours tenu tout au long du morceau et du clip.

 Le discours du morceau et du clip est structuré autour de nos émotions les plus primaires, sans aucune subtilité, entre effet comique, sentiment d’appartenance à l’Europe et registre pathétique, au service d’une position politique et idéologique. Certes nous sommes égaux, certes nous pouvons travailler ensemble et échanger, mais cette entente n’a pas qu’une seule voie, contrairement à ce que semble suggérer le clip. L’Union européenne représente la libre circulation des personnes, comme le montre ce morceau, mais surtout des marchandises, un élément majeur. Nous devons échanger, mais pour nous enrichir de la culture de l’autre, de ses singularités, de sa capacité d’organisation, de la richesse de sa langue etc. Mais la proposition de l’Union européenne est une destruction de toute la richesse humaine par aplatissement culturel, une destruction politique et un égalitarisme entre les riches pour exploiter les travailleurs. En exploitant les prolétaires de l’Europe de l’Est, en leur permettant de se déplacer pour travailler partout en Europe, ils mettent en concurrence l’ensemble des travailleurs. L’Union européenne détruit nos conquêtes sociales pour mettre les travailleurs en compétition, et condamner les populations qu’elle utilise à la précarité et à l’instabilité. Nous devons lutter contre la concurrence entre les travailleurs, à l’échelle nationale, européenne et mondiale. Tous ces éléments économiques, point central de cette Europe néolibérale et atlantiste sont entièrement effacés dans ce morceau au nom d’un faux égalitarisme et d’un idéal burlesque de libre circulation des personnes. Cette musique utilise les émotions du spectateur et de l’auditeur peu attentif pour prouver le « bien-fondé » de l’UE, mais surtout pour alerter sur les dangers qui la menacent. Le plan final sur cette maison « européenne » qui brûle peut avoir plusieurs interprétations. Nous le disions, il s’agit d’une année importante pour l’UE avec ses élections. Le calendrier étant bien fait, la compétition de l’Eurovision se déroulera début mai, soit un mois avant les élections du 9 juin. Le morceau a une visée politique concrète. La deuxième interprétation possible serait évidemment les événements qui se déroulent à l’Est avec un enlisement des troupes de l’UE-OTAN en Ukraine. Un sentiment de paranoïa et de danger se diffuse en Europe, une peur irrationnelle de la Russie, générée par nos dirigeants et nos médias, alors que la Russie voulait justement éviter une guerre ouverte avec l’OTAN, qui signifierait le suicide de l’humanité, si l’Ukraine rejoignait l’OTAN. Cette maison « européenne » brûle parce que son avenir se joue en 2024, par les élections et la guerre en Ukraine. L’enjeu étant la réalisation politique de l’idéologie euro-atlantiste dénoncée par le PRCF et la JRCF. Ainsi, nous devons lutter contre la guerre, et contre l’UE qui nous exploite et souhaite détruire nos conquêtes sociales et nos libertés démocratiques, mais aussi faire disparaître toutes les singularités culturelles qui font la richesse des nations du vieux continent.

 N’en déplaise à notre élite euro-atlantiste, qui organise la destruction de notre culture, de notre vitalité politique et de nos espoirs de jours heureux, la guerre n’est pas revenue en Europe le 24 février 2022, mais le 26 juin 1991 avec le début de la dislocation de la Yougoslavie. Une guerre bien plus proche de Paris, et plus atroce encore de par l’horreur des crimes de guerres et des crimes contre l’humanité qui y ont été commis ; le conflit ayant pris une tournure ethnico-religieuse dans une région à l’histoire complexe. C’est peut-être davantage de cela dont il s’agit : nos dirigeants qui parlent le globish, avec en commun la culture de la rentabilité, ne peuvent comprendre le traumatisme et l’horreur d’une guerre en Yougoslavie, mais comprennent aisément les intérêts économiques qu’ils ont dans un conflit présenté de façon manichéenne entre la méchante Russie et la gentille Ukraine.

 En 1993, Jean-Luc Godard, sensible au conflit yougoslave réalise un petit court métrage de 2 minutes nommé Je vous salue Sarajevo en hommage aux victimes du nettoyage ethnique par les troupes Serbes sur les populations musulmanes bosniaques. Le court métrage est une réussite esthétique, par le découpage en petites parties d’une photographie prise à Sarajevo : un militaire serbe frappe avec nonchalance le corps de civiles bosniaques exécutés. La douce musique met en valeur la brutalité de l’image par son aspect calme et tragique, tandis que Godard, avec sa voix caverneuse et tremblotante, rapproche l’art et la vie. Un choc émotionnel de 2 minutes pour tenter de combler l’indifférence de la jeune Union européenne sur ce conflit. Ainsi, Europapa de Joost Klein, musique de propagande euro-Atlantiste abrutissante, semble faire écho à ce court métrage, où Godard nous y offre une réponse lucide et pleine d’humanité : « Il est de la règle que vouloir la mort de l’exception, il sera donc de la règle de l’Europe de la culture d’organiser la mort de l’art de vivre qui fleurit encore à nos pieds… »

Arno-JRCF

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