Pour une nouvelle « bataille du livre »

par | Avr 28, 2024 | JRCF | 0 commentaires

 

Déclaration du secrétariat national du PRCF – 21 avril 2024 – Par  Georges Gastaud, philosophe, responsable du Secteur Etudes/Prospectives du PRCF ; Annie Lacroix-Riz, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Diderot, membre du CC du PRCF ; Aymeric Monville, philosophe et publiciste, membre du secrétariat national ; 

Et avec le soutien de Fadi Kassem, secrétaire national du PRCF, agrégé d’histoire ; Gilliatt de Staërck, secrétaire de la JRCF et syndicaliste des transports ; Gilda Landini et Diane Gillard, rédactrices en chef d’EtincelleS ; Vincent Flament, rédacteur en chef d’Initiative communiste ; Pauline Detuncq, secrétaire de la commission Formation du PRCF. 

Baptiste Poisson, militant ouvrier, membre de la Commission Luttes du PRCF ; Rachida El Fekaïr et Olivier Rubens, membres de la commission Culture du PRCF ;

Damien Parrot, secrétaire de la commission nationale Propagande et communication ;

« Il est à craindre que le public français, toujours impatient de conclure et avide de connaître le rapport des principes généraux avec les questions immédiates qui le passionnent, ne se rebute parce qu’il n’aura pu tout d’abord passer outre (sous-entendu, aux raisonnements scientifiques abstraits que comportent Le Capital – Note du PRCF). C’est là un désavantage auquel je ne peux rien, si ce n’est prévenir les lecteurs soucieux de vérité. Il n’y a pas de voie royale pour la science, et ceux-là seulement ont chance d’arriver à ses sommets lumineux qui ne craignent pas de se fatiguer à gravir les sentiers escarpés ». 

Karl Marx, Lettre au Citoyen Maurice La Châtre (en français dans le texte), à la veille de la publication de la première version française du Capital, Londres, le 18 mars 1872, premier anniversaire de la Commune de Paris.

Peu après la Libération, le Comité central du PCF, alors clairement marxiste-léniniste, décidait de confier à Elsa Triolet, Paul Eluard et Louis Aragon, trois écrivains français qui furent aussi des figures de la Résistance, l’animation permanente d’une « bataille du livre » destinée à impulser la pratique de la lecture, voire celle de l’écriture (notamment poétique), dans la classe ouvrière, la jeunesse populaire et le monde du travail en général. Sans oublier la bataille spécifique du PCF pour la diffusion méthodique du « livre marxiste » dans les milieux intellectuels, artistiques, éducatifs et scientifiques de notre pays. 

LE P.C.F. DE MAURICE THOREZ, LOUIS ARAGON ET ELSA TRIOLET MENANT LA « BATAILLE DU LIVRE »

Les ouvriers marxistes-léninistes qui dirigeaient alors le PCF (les Thorez, Duclos, Frachon, Fajon…) considéraient en effet comme un devoir de classe, voire comme une obligation patriotique pour le Parti – par ailleurs inlassable défenseur de la langue française, de la chanson militante et de la littérature nationale -, de faire entrer le livre, non seulement le roman, mais la poésie, la philosophie, les essais politiques, l’histoire, l’économie, les sciences de la nature, sans oublier la littérature française et internationale classique, dans le quotidien des classes populaires. Et avant tout dans l’emploi du temps régulier des militants et des dirigeants nationaux et locaux du PCF, de la JC et des syndicalistes de combat de la CGT, des syndicats enseignants, étudiants et paysans. Pour mener cette bataille étaient sollicités les dirigeants communistes de tous niveaux, à commencer par ces personnes-clés du communisme français organisé qu’étaient alors les secrétaires de cellule du Parti et les secrétaires des cercles de l’Union des Jeunesses Communistes de France, de l’Union des Jeunes Filles de France et de l’UEC.

Ces campagnes étaient alors relayées par L’HumaL’Huma-DimancheLa TerreFrance Nouvelle, les Cahiers du communismeLa PenséeLa Nouvelle CritiqueClartéL’Avant-GardeL’Ecole et la Nation, voire Vaillant, le magazine illustré destiné aux enfants, sans oublier les revues sportives Miroir-Sprint (cyclisme) et Miroir du Football. Nombre de secrétaires de comités d’entreprise sympathisants du PCF et délégués du personnel mettaient alors en place des bibliothèques d’entreprise accessibles à tout travailleur, allant jusqu’à organiser dans les boîtes des rencontres avec les écrivains, historiens, artistes, scientifiques, économistes et philosophes,du moment. 

A NOUVEAU, « RENDRE LES LUMIERES POPULAIRES » !

Car en la matière, rien ne saurait être purement spontané tant il est vrai que la division en classes de la société capitaliste, que les conditions de vie, de transport et de travail des prolétaires, que l’orientation d’une bonne partie des « productions culturelles » du monde capitaliste vers l’abrutissement des masses et/ou vers l’élitisme snob, coupent méthodiquement la classe ouvrière et la jeunesse populaire de la culture dite livresque. Une culture que se réserve la bourgeoisie, laquelle sait bien que l’accaparement du savoir, du bon usage de la langue, de la haute culture française et mondiale transmise par l’histoire, constituent des armes essentielles pour la domination de classe.

Raison de plus pour l’avant-garde communiste d’aller à contre-courant des tendances obscurantistes de la classe dominante en reprenant la devise du philosophe matérialiste Diderot et du mathématicien d’Alembert, coordinateurs de l’Encyclopédie, dictionnaire raisonné des sciences et des arts au XVIIIème siècle, et chefs de file du mouvement français et paneuropéen pour les Lumières : « Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire !« . Un mot d’ordre qui resurgit sous une autre forme dans la fameuse formule de Lénine s’adressant aux constructeurs du parti bolchevik : « pas de mouvement révolutionnaire sans théorie révolutionnaire ! ». Tant il est vrai que le communisme organisé est défini par ses fondateurs, Marx et Engels, comme la fusion organique du mouvement ouvrier révolutionnaire et du meilleur des acquis scientifiques et culturels de chaque époque. Des acquis au coeur desquels se trouvent du reste le matérialisme dialectique, le matérialisme historique, la critique marxiste de l’économie politique et le socialisme scientifique, ce qui explique du reste pourquoi la bourgeoisie devenue réactionnaire a trahi les Lumières dont la bourgeoisie du XVIIIème siècle était encore porteuse…

A L’INITIATIVE, LIVRES EN MAIN ET LECTURES EN TETE, CONTRE LA « DESTRUCTION DE LA RAISON »… 

Aussitôt, et durant plusieurs décennies, d’innombrables « initiatives communistes » pilotées par Triolet et Aragon, deux pionniers, avec Claude Morgan, des Lettres françaises clandestines, furent prises sous toutes les formes possibles pour promouvoir la lecture de livres dans les masses. Pour commencer, dans l’avant-garde ouvrière, mais sans mépriser pour autant de s’adresser à l’intelligentsia progressiste d’alors (écrivains, scientifiques, enseignants, ingénieurs, etc.) qu’il fallait disputer à l’antimarxisme, à l’antisoviétisme et à ce que le philosophe communiste hongrois György Lukàcs appelait alors « la destruction de la raison ». C’est à cela qu’en effet travaille sourdement l’oligarchie actuelle qui, depuis belle lurette, ne cesse de dénigrer Descartes et Rousseau, et qui s’appuie plus que jamais sur les pires forces obscurantistes, nazis et néonazis, intégristes religieux de toutes confessions, diffuseurs de sornettes antiscientifiques et autres vendeurs de mythes et de conceptions néo-magiques qui jouissent d’énormes moyens pour abêtir les populations. 

LA JEUNESSE CIBLEE PAR UN NOUVEL OBSCURANTISME

Eh bien cette « bataille du Livre » n’en est que plus urgente aujourd’hui où les études sociologiques démontrent l’écroulement quantitatif et qualitatif continu et rapide de la lecture en général, et de la lecture de livres en particulier, et c’est plus inquiétant encore s’agissant de la lecture de livres un peu exigeants: littérature classique et contemporaine, livres de philo, d’histoire, de sciences, etc. Le recul, voire l’effondrement, est singulièrement inquiétant dans les jeunes générations (et plus spécifiquement du côté des garçons). Pour une série de raisons renvoyant à la dérive ultraréactionnaire des sociétés capitalistes-impérialistes contemporaines, mais que la classe dominante a l’habileté de déguiser en « nouvelles pratiques créatives » (Clouscard nommait cela le « capitalisme de la séduction », La Boétie eût préféré parler de « servitude volontaire »), une masse de jeunes sont rendus de moins en moins aptes à une lecture exigeant une concentration un peu continue. Et cela a et aura de très lourds effets cognitifs, du moins en moyenne, sur la capacité d’attention, la créativité et l’esprit critique des générations futures avec les conséquences qu’on imagine à terme pour le niveau scolaire, scientifique, culturel, linguistique, civique et technico-ingénieurial du pays… de sa classe travailleuse et de son mouvement ouvrier à venir si une bataille acharnée n’est pas menée par les militants de l’avant-garde communiste. Et pour cela il ne faut pas craindre d’aller à contre-courant des habitudes pseudo-« fun » et « ludiques » de jeunes concitoyens que l’idéologie dominante convoie vers la facilité pour les neutraliser à partir d’une fausse conception de la « liberté » (cf. l’institution par Macron d’un « pass(e) culturel » qui est la négation d’une politique culturelle pensée et démocratiquement menée!). 

LE LIVRE, UN OUTIL POUR RESISTER A UNE ENTREPRISE GENERALE DE DESOCIALISATION 

A l’inverse, ces jeunes gens souvent livrés à eux-mêmes dans leurs loisirs dès leur plus tendre enfance du fait de la précarisation des familles et des couples, passent de plus en plus de temps sur des réseaux DITS sociaux où se déversent la haine et les règlements de comptes, quand ce n’est pas le harcèlement scolaire, ou encore sur des écrans où défilent addictivement et en continu des productions bas de gamme dominées par l’impérialisme culturel anglo-saxon (le fameux « soft power » des Etats-Unis). Les choses en sont au point que, les études le montrent, la France est en perdition dans le domaine de la maîtrise de sa langue – sacrifiée en outre au tout-anglais atlantique – , mais aussi dans le domaine scientifique et notamment, dans celui des maths. Car de plus en plus indispensables à toutes les sciences et à toutes les techniques, les maths ne sont rien sans la capacité à lire un énoncé précis et à rédiger/composer correctement un raisonnement. Tout cela n’est pas sans rapport avec l’écroulement maastrichtien de notre pays, l’ »intégration » euro-atlantique étant synonyme de désintégration de l’Education nationale, de l’Université, de la Recherche publique, du produire en France et des savoir-faire ouvriers, paysans, artisanaux, techico-ingénieuriaux, du recul du syndicalisme de classe et du rôle culturel des C.E., de la casse du tourisme social, etc. Ajoutons enfin que, tant à l’Université que dans les enseignements scolaires, la pesée obscurantiste de l’idéologie dominante est encore pire que dans les années 45-75 où existait en France un PCF léniniste et une CGT de classe qui ne conduisaient pas moins la bataille sociopolitique au quotidien qu’ils ne menaient le combat pour ce que Gramsci appelait l’hégémonie culturelle progressiste

DU BON USAGE DES TECHNOLOGIES

Entendons-nous bien : il ne s’agit nullement de condamner ces outils merveilleux que pourraient devenir, une fois affranchis de la tutelle et des dévoiements capitalistes, l’internet, les réseaux méritant enfin le qualificatif de « sociaux », les « écrans », voire l’I.A. et autres moyens porteurs d’émancipation pour peu qu’ils soient mis au service des hommes et du vivant au lieu de devenir trop souvent de moyens d’oppression insidieux aux privilégiés. Et il s’agit encore moins d’instituer une barrière de classe entre la culture dite « légitime » et les formes culturelles nouvelles qu’affectionne la jeunesse, BD, mangas, chanson et danses populaires qui ont évidemment leur place dans une vie culturelle créative – pour peu que ne s’effondre pas, par ailleurs, la lecture de ces livres dont Marx lui-même soulignait qu’elle est indispensable à qui veut remettre le monde du travail, apports issus des travailleurs immigrés inclus, au centre de la vie nationale. 

C’est pourquoi le Comité central du PRCF et la direction de la JRCF décident de lancer une campagne permanente à l’intérieur et à l’extérieur de l’organisation pour que, individuellement et/ou collectivement, les camarades se réapproprient à tous niveaux la lecture de livres. Les articles, les vidéos, les cercles de discussion, etc. ont évidemment toute leur place dans la bataille culturelle pour la Renaissance communiste et l’alternative révolutionnaire, et le PRCF continuera de faire effort pour les développer sans complexe ni restriction en direction des masses, conformément aux chantiers fixés par le Comité central d’avril 2024 ; mais, si attrayants soient-ils, ces moyens ne sauraient être des substituts à la lecture de livres et au travail personnel de chacun. Bien entendu, pour cela le PRCF, la JRCF, Initiative communisteEtincelleS, etc. étudieront tous les moyens organisationnels et militants à mettre en place pour qu’à l’avenir :

a) aucune activité du PRCF et de la JRCF ne se déroule dans une présence forte du livre, et spécialement du livre marxiste ; dès que possible, un membre du CC sera mandaté pour animer ce chantier essentiel ;

b) des initiatives soient systématiquement prises pour que, lors des débats et réunions organisés par le PRCF et la JRCF, soit méthodiquement promu le livre marxiste ;

c) les organisations locales du PRCF et la JRCF se constituent de petites bibliothèques marxistes en consentant des investissements financiers, fussent-ils modestes, en prêtant les livres aux camarades, notamment jeunes et aux camarades désargentés, en invitant les auteurs membres ou sympathisants du PRCF à des débats sur lesdits livres, etc. ;

d) la commission Formation, tout en continuant son remarquable travail actuel, soit encore plus partie prenante de la bataille du Livre

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